Derniers visages de Florent Schmitt par Clément Canonne
Le pianiste Clément Canonne exhume quelques-unes des dernières pièces composées pour le piano par Florent Schmitt. Une musique étonnante, à l'image d'une personnalité aux multiples visages.
Curieux personnage que le compositeur Florent Schmitt (1870-1958), musicien tout autant passionnant qu'ambigu. Resté célèbre pour ses grandes fresques symphoniques (Tragédie de Salomé, Salammbô, Antoine et Cléopâtre…), Florent Schmitt lègue également un important corpus de musique de chambre pour des formations très variées (Quintette pour piano et cordes, Quatuor de saxophones, Quintette à vent, Quatuor pour flûtes, Suite en rocailles pour flûte, harpe et trio à cordes, etc), de nombreuses pièces pour piano mais une unique Sonate composée au crépuscule de sa vie. Derrière la façade opulente de la musique de Florent Schmitt, se cache aussi un esprit caustique avec des titres humoristiques proches de Satie (A contre-voix, Chants Alizés, Suite sans esprit de suite, Habeyssée…).
Elève de Massenet et Fauré, Florent Schmitt est aussi une personnalité indépendante, ennemie des dogmes, cofondateur en 1909 de la Société musicale indépendante avec Ravel, Fauré et Koechlin. Ambigu, Florent Schmitt l'est cependant par son passé controversé, notamment en tant que vice-président de la section musicale du groupe Collaboration pendant la guerre, ce qui ne l'a pas empêché de soutenir les avant-gardes de son temps (notamment Stravinsky) et des musiciens d'origine juive comme Alexandre Tansman et Arnold Schoenberg.
C'est cette personnalité multiple, complexe, que fait revivre le pianiste Clément Canonne dans un album, Scènes de la vie moyenne, consacré aux pièces tardives de Florent Schmitt, avec trois cycles composés à la fin des années 1940 et au début des années 1950. Mais ne vous fiez pas à la pochette « pastoralisante » de ce disque. Il n'y a rien de pittoresque ni de rustique dans la musique de Florent Schmitt. Quoique plus intimes que ses grandes fresques symphoniques, ces œuvres de la fin de la vie du compositeur (alors âgé de près de 80 ans) sont gorgées d'une énergie peu commune.
Sous le titre savoureux de Clavier obtempérant (1946), Florent Schmitt a voulu rendre hommage à sa manière à l'univers préclassique. Bien que dédiées à la claveciniste Marcelle de Lacour, les quatre pièces du cycle sont cependant extrêmement pianistiques, vives, martelées, percutantes, pleines de sauts d'octaves, de crescendos et decrescendos, d'arpèges, de résonances qui paraissent difficiles à rendre au clavecin. L'interprétation sèche et nerveuse de Clément Canonne est en parfaite adéquation avec l'esprit de l'œuvre.
Ce côté abrupt et nerveux, on le retrouve dans la Sonate pour piano de 1950. Clément Canonne a exhumé le manuscrit de cette pièce à la Bibliothèque nationale de France. On ne sait pas pourquoi Florent Schmitt n'a jamais publié cette pièce, composée à l'âge de 80 ans. Il a par contre réutilisé sa musique pour en faire son Quintette à vent Chants Alizés.
Même si elle débute par un appel de fanfare, la Sonate se révèle là encore une œuvre extrêmement pianistique, débordant d'accords plaqués, parfois cassés, de gestes abrupts, dissonants. Le mouvement Lent aux effets de cloches et de résonances demande une toute autre approche aux vents, tout comme le final Animé, sinueux et liquide, avant de s'éparpiller en de multiples cellules un peu comme dans certaines sonates de Scriabine. Clément Canonne, au piano superbement capté dans l'espace de projection de l'Ircam, réussit à démêler l'écheveau de cette œuvre complexe, sans chercher le tapage ni l'esbrouffe.
Il y a plus d'ironie dans les Scènes de la vie moyenne (1952) qui concluent le disque. Quatre pièces sarcastiques et fuyantes que n'aurait pas renié un Erik Satie, ne serait-ce que par l'ironie des titres (La marche au marché, Saut périlleux du poulet…).
Nous sommes ici très loin de l'orientalisme de la Tragédie de Salomé ou de la gravité du Psaume XLVII qui ont fait la gloire de Florent Schmitt. Mais cet autre visage du compositeur est tout aussi passionnant.









