Au festival Messiaen, le jubilé de Jean-François Heisser
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La Grave – Festival Messiaen. 25-27-VII-2025
25-VII 17h : église de Saint-Chaffrey : Olivier Messiaen (1908-1992) : Poèmes pour mi ; Luciano Berio (1925-2003) : Sequenza IV pour piano ; Philippe Manoury (né en 1952) : Das Wohlpräparierte Klavier, pour piano et électronique en temps réel). Jenny Daviet, soprano ; Jean-François Heisser, piano ; Miller Puckette, réalisation informatique musicale.
26-VII 21h : Salle du Dôme Le Monêtier-les-bains : Richard Wagner (1813-1883) : Ouverture des Maîtres Chanteurs de Nuremberg ; Morton Feldman (1926-1987) : Extensions IV pour trois pianos ; Franz Schubert (1797-1828) : Rondo en la majeur op.107 D 951 ; Luigi Dallapiccola (1904-1975) : Musica per tre pianoforti (Inni), extrait ; Jean-Frédéric Neuburger (né en 1986) T pour trois pianos ; Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Concerto pour trois claviers en ut majeur BWV 1064. Jean-François Heisser, Jean-Frédéric Neuberger, pianos ; Charles Heisser, piano et synthétiseur.
27-VII 17h : église de La Grave : Maurice Ravel (1875-1937) : Rapsodie espagnole, pour deux pianos ; Ma mère l’Oye pour piano à quatre mains ; Paul Dukas (1865-1935) : L’Apprenti sorcier ; Luciano Berio (1925-2003) : Linea pour deux pianos et deux percussions. Jean-François Heisser, Jean-Frédéric Neuburger, piano ; Eriko Minami, marimba ; Éric Sammut, vibraphone.
27-VII 21h : église de La Grave : Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Sonate pour piano à quatre mains en do majeur KV 521 ; Claude Debussy (1862-1918) : Six Épigraphes antiques, pour piano à quatre mains ; Olivier Messiaen (1908-1992) : Visions de l’Amen, pour deux piano. Marie-Josèphe Jude et Michel Béroff, piano.
Soliste et chambriste, pédagogue et chef d'orchestre, abordant le grand répertoire comme la musique d'aujourd'hui, le pianiste Jean-François Heisser, fidèle de La Grave, fête en 2025 son demi-siècle de carrière, invité par Bruno Messina sur la scène du festival pour trois concerts à 1, 2 et 3 pianos.
Avec Jenny Daviet
Dans l'église bien sonnante de Saint-Chaffrey, Jean-François Heisser et la soprano Jenny Daviet ont mis sur leur pupitre Poèmes pour mi d'Olivier Messiaen, sa première œuvre écrite à Petichet, entre 1936 et 1937. Les neuf mélodies du cycle chantent l'amour conjugal avec la première épouse du compositeur, Claire Delbos (surnommée « Mi ») et forment un diptyque avec Chants de terre et de ciel donnés en début de festival par le duo Barbara Hannigan et Bertrand Chamayou.
La voix de Jenny Daviet nous comble, alliant clarté d'articulation, homogénéité du timbre et vigueur du chant dans les grandes vocalises (Action de grâces, Épouvante, Prière exaucée). On apprécie la justesse de l'intonation et la sensualité de la phrase (Paysage, Ta voix, Le collier) : « Les mots de Messiaen sont agréables en bouche », nous confie-t-elle. Le piano est sur le même plan que la voix, qu'il double très souvent, déployant généreusement ses harmonies colorées dans un équilibre subtilement dosé sous les doigts de Jean-François Heisser.
Seul, le pianiste enchaîne avec la Sequenza IV (1966) de Luciano Berio, une pièce éruptive d'une grande virtuosité qui requiert l'utilisation de la troisième pédale dite « sostenuto » (encore peu exploitée à l'époque) pour enrichir et démultiplier le champ de la résonance. L'interprétation est magistrale, dans l'énergie du geste et l'effervescence colorée des morphologies sonores qui confèrent à la pièce une extraordinaire vitalité.
Avec l'électronique en temps réel
Das Wohlpräparierte Klavier (« Le clavier bien préparé ») fait écho au « Clavier bien tempéré » de Bach, deux œuvres « expérimentales », nous dit Philippe Manoury venu présenter au public sa nouvelle pièce pour piano et électronique en temps réel, donnée ce soir en création française. L'enjeu est de modifier la sonorité du piano, non pas comme John Cage, qui mettait vis, gommes et autres papiers dans les cordes du piano, mais avec les ressources de l'électronique et ses logiciels de transformation live « préparés » par le RIM Miller Puckette qui est aux manettes à côté du compositeur.
Six haut-parleurs sont distribués le long de la nef de l'église et assurent la spatialisation et l'immersion de l'écoute dans des conditions optimales. C'est le pianiste, à travers ses propositions instrumentales, qui provoque les réactions en chaîne de l'électronique : gerbes scintillantes, constellations percussives et autres distorsions du son aussi étonnantes qu'inattendues s'inscrivent dans l'espace tel un contrepoint à la partie instrumentale. Les mouvances graves du début reviennent dans une coda éblouissante mêlant virtuosité pianistique et sons toupie de l'électronique sous le geste puissant et dans la concentration maximale de Jean-François Heisser dont la performance sidère !
Une histoire de famille
Dans la Salle du Dôme du Monêtier-Les-Bains, trois pianos sont disposés en étoile, invitant le public à s'asseoir en périphérie. Jean-François Heisser s'est entouré de son fils Charles et de son élève – et fils spirituel – Jean-Frédéric Neuburger lors de cette soirée festive mise en espace où des œuvres rares pour trois pianos (dont une création) sont à l'affiche à côté de transcription. Ainsi débute-t-on dans l'emphase sonore avec l'Ouverture des Maîtres Chanteurs de Nuremberg transcrite par Max Reger et arrangée pour l'occasion par les trois interprètes. Le projet est ambitieux mais non moins exaltant, conduit de mains de maître, avec élan et ferveur, par nos trois artistes qui confèrent à cette page mythique la puissance orchestrale requise.
Le passage d'une œuvre à l'autre s'accompagne du déplacement des artistes d'un clavier à l'autre, Charles Heisser, excellent improvisateur, étant chargé de nous conduire d'une esthétique à l'autre à travers de subtils « chemins de traverse ». Extensions IV pour trois pianos (1952) de Morton Feldman est une œuvre de jeunesse, musique de blocs sonores distribués aux trois claviers, regardant vers le sérialisme d'un Stockhausen. Musica per tre pianoforti (Inni) de Luigi Dallapiccola (premier mouvement) est une fanfare polytonale un rien roborative évoquant la musique d'un Charles Ives. Le Rondo en la majeur op.107 D 951 du dernier Schubert est à quatre mains, installant Jean-Fréderic Neuburger et son professeur sur le même clavier. L'œuvre sans prétention n'en concentre pas moins toute la veine lyrique du maître viennois qui passe sous les doigts experts de nos deux chambristes.
T, comme Trio ou encore Toccata, est l'œuvre en création de Jean-Frédéric Neuburger. Inscrite dans la mouvance spectrale, elle est composée sur mesure pour les trois pianos auxquels s'ajoute le synthétiseur de Charles Heisser et sa dimension microtonale. Il intervient dans la seconde partie de l'œuvre, nimbant de ses trames électroniques de plus en plus envahissantes le jeu ardent des deux autres claviers bloqués dans l'extrême aigu du registre. L'écriture des pianos en tension se relâche dans une dernière section explosive (paumes et avant-bras sollicités) où s'hybrident les deux sources sonores.
Sous les doigts de l'improvisateur toujours, on glisse d'un tempérament à l'autre, celui de JS Bach et son concerto à trois claviers BWV 1064 en do majeur qui consacre cette soirée anniversaire. Concerto à ritournelle en trois mouvements, il est d'une éminente richesse polyphonique qu'entretiennent avec une égale énergie nos trois merveilleux artistes dans l'espace lumineux et foisonnant de la musique du cantor.
Un final à deux pianos
Dans l'église de La Grave, le troisième concert est plus intimiste, réunissant Jean-François Heisser et Jean-Frédéric Neuburger dans un programme à deux pianos (voire quatre mains) davantage familier : c'est l'occasion de fêter les 150 ans de la naissance de Ravel (1875-1937) avec La Rapsodie espagnole (1907), dans sa version première pour deux pianos dont les interprètes soignent particulièrement la (fameuse) Habanera centrale. Ils ont sous les doigts Ma mère l'Oye où se rejoignent les quatre mains dans la même énergie et l'égalité du toucher ; ils ne font qu'une bouchée de L'apprenti sorcier de Paul Dukas (le maître de Messiaen) transcrit pour deux pianos par le compositeur.
L'œuvre pour deux pianos et percussions de Luciano Berio, Linea, rejoint quant à elle notre première thématique, invitant aux côtés des deux pianistes le marimba d'Eriko Minami et le vibraphone d'Éric Sammut. Musique de scène, elle accueille à sa création (1974) la chorégraphie de Félix Blaska… un geste qui nous manque peut-être pour mieux adhérer à la trajectoire d'une musique au demeurant très brillante sous les doigts et baguettes des quatre musiciens.
… dans la tonalité « bleue » d'Olivier Messiaen
Après Mozart et Debussy sous les quatre mains de Marie-Josèphe Jude et Michel Béroff, les visions de l'Amen à deux pianos d'Olivier Messiaen clôturent en beauté le festival, comme il est de tradition au Pays de la Meije. L'interprétation qu'en livre les deux pianistes qui ont beaucoup joué l'œuvre en concert et qui viennent de l'enregistrer, comble toutes nos attentes : profondeur du jeu, vitalité des couleurs, énergie et qualité du son, puissance et émotion : les sept visions musicales de Messiaen, vaste architecture digne de cathédrales, résonnent entre les murs de l'église de La Grave dans leur ampleur et leur plénitude quasi orchestrale.
Crédit photographique : © Bruno Moussier
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25-VII 17h : église de Saint-Chaffrey : Olivier Messiaen (1908-1992) : Poèmes pour mi ; Luciano Berio (1925-2003) : Sequenza IV pour piano ; Philippe Manoury (né en 1952) : Das Wohlpräparierte Klavier, pour piano et électronique en temps réel). Jenny Daviet, soprano ; Jean-François Heisser, piano ; Miller Puckette, réalisation informatique musicale.
26-VII 21h : Salle du Dôme Le Monêtier-les-bains : Richard Wagner (1813-1883) : Ouverture des Maîtres Chanteurs de Nuremberg ; Morton Feldman (1926-1987) : Extensions IV pour trois pianos ; Franz Schubert (1797-1828) : Rondo en la majeur op.107 D 951 ; Luigi Dallapiccola (1904-1975) : Musica per tre pianoforti (Inni), extrait ; Jean-Frédéric Neuburger (né en 1986) T pour trois pianos ; Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Concerto pour trois claviers en ut majeur BWV 1064. Jean-François Heisser, Jean-Frédéric Neuberger, pianos ; Charles Heisser, piano et synthétiseur.
27-VII 17h : église de La Grave : Maurice Ravel (1875-1937) : Rapsodie espagnole, pour deux pianos ; Ma mère l’Oye pour piano à quatre mains ; Paul Dukas (1865-1935) : L’Apprenti sorcier ; Luciano Berio (1925-2003) : Linea pour deux pianos et deux percussions. Jean-François Heisser, Jean-Frédéric Neuburger, piano ; Eriko Minami, marimba ; Éric Sammut, vibraphone.
27-VII 21h : église de La Grave : Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Sonate pour piano à quatre mains en do majeur KV 521 ; Claude Debussy (1862-1918) : Six Épigraphes antiques, pour piano à quatre mains ; Olivier Messiaen (1908-1992) : Visions de l’Amen, pour deux piano. Marie-Josèphe Jude et Michel Béroff, piano.