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Festival Pablo Casals : une ode à la jeunesse

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Prades
Festival Pablo Casals 4, 5 et 8–VIII-2025
4-VIII : Abbaye Saint Michel de Cuxa : Frédéric Chopin (1810-1849) : Nocturne n°21 en do mineur, op. posthume ; Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur, op.65 ; Serge Rachmaninov (1873-1943) : Mélodie pour violoncelle, op.21 n°9 ; Sonate pour violoncelle et piano, op.19. Edgar Moreau, violoncelle ; David Kadouch, piano.
5-VIII : église de Eus : Anton Stepanopoulos Arenski (1861-1906) : Quatuor à cordes n°2 en la mineur ; Louis Spohr (1784-1859) : Nonette pour cordes et vents en fa majeur, op.31. Jordi Prim, violon ; Esteban Megias, alto ; Thomas Duran, Quim Tejedor, violoncelles.
5-VIII : abbaye Saint Michel de Cuxa : Gustav Mahler (1860-1911) : Quartettsatz, pour piano et cordes ; Gabriel Fauré (1845-1924) : Quatuor n°1 pour piano et cordes en ut mineur, op.15 ; Johannes Brahms (1833-1897) : Quatuor pour piano n°1 en sol mineur, op.25. Anna Lipkind-Mazor, violon ; Lise Berthaud, alto ; Senja Rummukainen, violoncelle ; Jean-Frédéric Neuburger, piano.
8-VIII : Claude Debussy (1862-1918) : Danses. Danse sacrée – Danse profane, pour harpe et ensemble à cordes ; Hector Berlioz (1803-1869) : Les Nuits d’été, pour mezzo-soprano et orchestre ; Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Symphonie n°40 en sol mineur KV 550. Valeria Kafelnikov, harpe ; Juliette Mey, mezzo-soprano ; Orchestre de chambre du Festival Pablo Casals de Prades ; direction Pierre Bleuse.

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Chantre de la musique de chambre, que l'Abbaye Saint Michel de Cuxa fait si bien résonner, le Festival Pablo Casals sous la direction de est aussi une célébration de la jeunesse, offrant des programmes audacieux qui délectent nos oreilles.

Concerts en matinée

Il faut gravir les dernières marches de pierre pour atteindre l'église d'Eus (l'un des plus beaux villages de France) où a lieu le sixième et dernier concert des « Jeunes Talents & Friends » de cette 75ᵉ édition. Programmés à onze heures du matin, ces rendez-vous mettent à l'affiche des œuvres rares du répertoire de chambre que les musiciens et membres de l'Orchestre du Festival Pablo Casals de Prades ont travaillé avec leurs mentors.

Ainsi Thomas Duran, violoncelliste du Quatuor Dutilleux, partage-t-il la scène avec Jordi Prim (violon), Estela Megias (alto) et Quim Tejedor (violoncelle) dans le Quatuor à cordes n°2 (à deux violoncelles) du Russe . L'œuvre est écrite en hommage à son aîné Tchaïkovski dont l'influence se fait sentir dans toute sa musique. Le premier mouvement Moderato, dans l'assise des basses des deux violoncelles, expose un thème issu de la tradition orthodoxe russe. On est d'emblée capté par la vitalité d'une écriture très fouillée dont la tension dramatique est dûment entretenue par les quatre archets. C'est dans le mouvement central à variations, sur un thème de Tchaïkovski, qu'on mesure la richesse polyphonique, la science du contrepoint et la veine lyrique du compositeur. Le Final, très original, balance entre une séquence liturgique très sombre et l'explosion lumineuse d'un thème russe festif auquel les quatre interprètes donnent une dimension symphonique superbe.

Plus rarement entendu encore est le Nonette pour cordes et vents en fa majeur op.31 de . En quatre mouvements d'une bonne trentaine de minutes, il est joué debout par les neuf interprètes comptant dans leur rang le bassoniste de l'Ensemble intercontemporain Marceau Lefèvre. L'écriture ciselée est d'une redoutable virtuosité, jouant constamment avec les relais de timbres, imitations et entrées fuguées qui mettent en verve les instrumentistes tous entendus en soliste. L'œuvre n'est pas dirigée, plaçant sous haute responsabilité le violon d'Oscar Hatzfeld dont l'autorité de l'archet et le rayonnement de la sonorité forcent l'admiration. Le scherzo (à deux trios et en deuxième position comme chez Beethoven), tout en dentelle, est aussi brillant que léger, dont l'écriture solistique permet à chacun d'intervenir : un bouquet de timbres aux attaques irréprochables et un bonheur pour les oreilles ! Après un Adagio jouant sur l'opposition cordes et bois, donnant, là encore, l'occasion à chacun de s'exprimer (le cor de Zoya Catta, le violoncelle de Carlo Lay), le Finale est pure énergie ; rondo bien ficelé, avec canon et autres subtilités d'écriture, il est mené avec l'élan de la jeunesse et la fraicheur des couleurs instrumentales, mesurant le talent de chacun et le travail de détail mené en amont pour parvenir à une telle synergie d'ensemble.

En soirée, à Saint Michel de Cuxa

Le violoncelliste , au côté du pianiste et fidèle partenaire , est sur le plateau de l'abbaye pour célébrer, une fois encore, l'instrument-roi du festival. Le programme réunit deux sonates du grand répertoire, celles de Chopin et de Rachmaninov, introduites par une courte page de chacun des compositeurs. Ainsi le Nocturne posthume n°21 (en réalité le premier de la série) de Chopin est-il entendu dans sa transcription pour violoncelle et piano avant la Sonate en quatre mouvements, pièce de maturité, quant à elle, écrite en 1846. L'œuvre est au répertoire des deux musiciens, bien évidemment, qui coule avec générosité et une assurance technique irréprochable ; mais le parcours du premier mouvement reste brouillon, sans que le jeu des interprètes ne nous guide véritablement dans les tours et détours formels de ce long Allegro molto, que le public applaudit d'ailleurs comme si l'œuvre était achevée. Le manque de respiration et de conduite formelle se fait sentir également dans le Scherzo, ciselé par Chopin, au centre duquel le trio délicieux aurait pu sonner avec plus de complicité sous l'archet du violoncelliste. C'est cette connexion, de l'ordre du timbre et de l'anticipation entre les deux musiciens, que l'on aurait aimé davantage ressentir tout du long.

Monumentale, la Sonate de Rachmaninov est d'une autre envergure, cheval de bataille des violoncellistes comme des pianistes qui les accompagnent, car le clavier est ici conducteur, qui énonce pratiquement tous les thèmes et tisse en profondeur la trame narrative sur laquelle s'inscrit le chant du violoncelle. Si ne démérite pas dans cette tâche redoutable, le piano effusif manque parfois d'un plein rayonnement sonore. Le violoncelle d' est souverain, réactif et expressif, dont les graves voluptueux impressionnent, réservant, dans l'Andante notamment, les plus beaux moments de la soirée.

On leur sait gré d'avoir choisi en bis la musique d'une compositrice – deux seulement sont à l'affiche du festival ! – un bijou, souligne , de la Française dont ils ont gravé la Sonate dramatique chez Erato.

Belles rencontres chambristes

Si le pianiste et l'altiste se connaissent depuis longtemps, ils n'avaient jamais encore partagé la scène avec la violoniste israélienne et la violoncelliste finlandaise . Cette rencontre de premier rang est à l'initiative de , porté par le désir de faire émerger de nouvelles formations. Au programme de cette soirée de quatuors avec piano, deux chefs d'œuvre du répertoire (avec Fauré et Brahms) que devance le Quartettsatz (1876), mouvement isolé d'un quatuor à cordes inachevé d'un Mahler de seize ans ; il est écrit sous influence (celle de Brahms notamment) et maintenu au catalogue du compositeur alors qu'il avait supprimé tous ses autres essais de jeunesse. La connexion n'est pas longue à s'instaurer entre les quatre interprètes. D'emblée se ressent la belle autorité du piano de Jean-Philippe Neuburger qui fera revenir, telle une obsession, le sombre thème du début sur lequel s'échafaude la texture chaleureuse des cordes animée d'un lyrisme intense que les musiciens portent jusqu'au climax.

L'élan collectif et la transparence des textures ravissent dans le Quatuor n°1 de Fauré écrit dans la même année 1876. tient le discours, harmoniquement et formellement, dont le toucher sensible et la souplesse de la phrase font merveille. À l'écoute et mues d'une même énergie, les cordes chantent d'une seule voix dans un premier mouvement superbement conduit. La musique crépite sous leurs pizzicatti comme sous les doigts du pianiste dans un Scherzo très rapide et un Trio plus léger encore, d'une transparence elfique. L'Adagio réserve des moments de grâce, dans un temps suspendu, laissant apprécier le grain chaleureux du violoncelle de . Le Finale est « con brio », plus fougueux encore que le premier mouvement mais sans rien perdre de l'équilibre sonore ni de la stabilité rythmique que maintient sans faillir le pianiste. S'éploient le timbre au large spectre d' et la lumière rayonnante dispensée par les quatre musiciens.

La couleur change et le discours se resserre dans le Quatuor n°1 en sol mineur op.25 de où les cordes dialoguent à part égale avec le piano dans une envergure sonore quasi symphonique. Brahms y fait valoir chacune des sonorités, celle de l'alto – chaleureuse – qu'il ne manque pas de faire chanter au sein d'une polyphonie riche et constamment nourrie. L'intermezzo, en deuxième position, est pris un peu trop vite à notre goût, balayant ce rien de nostalgie qui plane au-dessus de chacun des thèmes et que l'on peine à savourer à une telle allure. L'Andante con moto avance comme le demande Brahms, laissant le piano sonner généreusement dans sa pleine dimension harmonique. Le célèbre Rondo alla Zingarese est ébouriffant mais toujours sous contrôle, pris à bonne vitesse lui aussi et traversé d'un courant qui électrise. Donnant chacun leur maximum, dans une complicité fusionnelle qui opère, les quatre virtuoses n'en font qu'une bouchée !

Émotion et perfection

L'émotion est palpable lorsque la mezzo-soprano Juliette Mey, venue du fond de l'abbaye et longeant la nef silencieuse, chante a cappella et avec les paroles en catalan, el Cant dels ocells en préambule de la soirée de clôture du festival.

Sur le plateau, la harpiste (et soliste de l'Intercontemporain) Valeria Kafelnikov est entourée de l'ensemble des cordes de l'orchestre du festival pour faire entendre les Danses de Debussy (1904). Entre élégance du geste et pureté de la sonorité, l'interprète fait résonner son instrument dans un juste équilibre avec les cordes dont le tapis homogène et enveloppant comme une caresse participe de la beauté hiératique du thème déployé en arpèges dans la Danse sacrée. Le mouvement s'anime dans la Danse profane, sorte de valse stylisée avec refrain où la harpe constelle l'espace de ses pixels de lumière : musique de l'ineffable et du mystère – on pense à la scène au bord de la fontaine de « Pelléas » que Debussy vient d'écrire – dont les musiciens restituent la grâce et la fluidité sous le geste attentif et inspiré de

Promue « Révélation Artiste lyrique » des Victoires de la Musique 2024, Juliette Mey est au côté de Pierre Bleuse dans Les Nuits d'été de Berlioz, « six morceaux de chant de divers caractères », prévient le compositeur qui emprunte à Théophile Gautier des textes provenant de « La comédie de la mort » du poète. Les mélodies sont écrites à l'origine pour voix et piano ; Berlioz en termine l'orchestration en 1856, exerçant un art du timbre dont l'Orchestre du Festival au complet (incluant la harpe de Valeria Kafelnikov) donne ce soir la pleine mesure.

Mezzo clair au timbre idéalement homogène, Juliette Mey passe avec souplesse d'un climat à l'autre et d'un registre à l'autre : rayonnante dans la Villanelle, portée par les batteries légères des bois, elle donne une belle envergure lyrique, soignant l'articulation du texte, dans Le Spectre de la rose serti des sonorités somptueuses de l'orchestre. La couleur est funèbre et le temps de plus en plus étiré dans les trois mélodies centrales dont elle entretient l'intensité dramatique (Sur les lagunes) ; si la voix psalmodiée dans le médium-grave (Absence, Au cimetière) manque un rien de projection pour une bonne compréhension des paroles, la mezzo est toujours vaillante, en étroite connexion avec l'orchestre dont Pierre Bleuse détaille toutes les finesses timbrales et dose savamment l'équilibre. Il faut tout donner dans L'Île inconnue, qui ramène, in fine, la lumière du plein air : Juliette Mey n'est pas en reste, dispensant énergie et amplitude de la voix dans cette superbe mélodie traversée par le souffle du grand large qui referme le cycle.

La harpe de Valeria Kafelnikov résonne à nouveau, pour introduire et accompagner « l'Air du Saule » extrait de l'Otello de Rossini, le bis qu'offrent généreusement au public les deux héroïnes de la soirée.

On reste dans le drame avec la Symphonie n°40 en sol mineur de Mozart qui clôt cette 75ᵉ édition avec brio. C'est la version de 1791, ajoutant les deux clarinettes, qu'a choisi Pierre Bleuse, abordant ce chef d'œuvre planétaire avec une finesse et une profondeur remarquables. Le premier mouvement est admirable, qui file droit, cerné par les tenues des bois rarement entendues avec autant de délicatesse. Le drame se joue également dans l'Andante, musique sans bord d'une infinie tristesse dont la même cellule rythmique et les notes répétées et obsédantes étirent le temps dans l'interprétation pénétrante qu'en donnent le chef et ses musiciens. Le troisième mouvement darde les contrastes entre fermeté rythmique du menuet et articulation des vents sur le fil dans un trio plein de charme. Comme dans le premier mouvement, c'est la ductilité des cordes et l'homogénéité des pupitres qui font merveille dans un Finale balançant entre l'énergie du thème principal et la part d'ombre que charrie l'idée secondaire. Une lecture aussi précise qu'habitée.

Crédit photographique : © François Brun

 

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Festival Pablo Casals 4, 5 et 8–VIII-2025
4-VIII : Abbaye Saint Michel de Cuxa : Frédéric Chopin (1810-1849) : Nocturne n°21 en do mineur, op. posthume ; Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur, op.65 ; Serge Rachmaninov (1873-1943) : Mélodie pour violoncelle, op.21 n°9 ; Sonate pour violoncelle et piano, op.19. Edgar Moreau, violoncelle ; David Kadouch, piano.
5-VIII : église de Eus : Anton Stepanopoulos Arenski (1861-1906) : Quatuor à cordes n°2 en la mineur ; Louis Spohr (1784-1859) : Nonette pour cordes et vents en fa majeur, op.31. Jordi Prim, violon ; Esteban Megias, alto ; Thomas Duran, Quim Tejedor, violoncelles.
5-VIII : abbaye Saint Michel de Cuxa : Gustav Mahler (1860-1911) : Quartettsatz, pour piano et cordes ; Gabriel Fauré (1845-1924) : Quatuor n°1 pour piano et cordes en ut mineur, op.15 ; Johannes Brahms (1833-1897) : Quatuor pour piano n°1 en sol mineur, op.25. Anna Lipkind-Mazor, violon ; Lise Berthaud, alto ; Senja Rummukainen, violoncelle ; Jean-Frédéric Neuburger, piano.
8-VIII : Claude Debussy (1862-1918) : Danses. Danse sacrée – Danse profane, pour harpe et ensemble à cordes ; Hector Berlioz (1803-1869) : Les Nuits d’été, pour mezzo-soprano et orchestre ; Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Symphonie n°40 en sol mineur KV 550. Valeria Kafelnikov, harpe ; Juliette Mey, mezzo-soprano ; Orchestre de chambre du Festival Pablo Casals de Prades ; direction Pierre Bleuse.

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