Festival Enescu 2025 : Argerich, Goerner et Dutoit dans Ravel
Au Festival Enescu de Bucarest, l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo donne les deux concertos pour piano de Ravel en deux après-midi. Il est toujours intéressant d'entendre deux jours d'affilée un même orchestre avec un chef différent…
Cette année, la comparaison est toutefois en défaveur de l'actuel directeur musical, car si le concerto pour la main gauche trouve une interprétation modérée par Nelson Goerner et Kazuki Yamada, celui en sol majeur le lendemain est transcendé par Martha Argerich et Charles Dutoit.
Le dimanche après-midi, dans la salle de l'Athénée roumain, l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo débute son programme par Isis. Joué à plusieurs reprises ces dernières années depuis son achèvement par Pascal Bentoiu, ce poème symphonique de Georges Enesco permet d'apprécier le Chœur de Chambre Preludiu. Par la suite, l'accompagnement trop strict et surtout rythmique de Kazuki Yamada dans le Concerto pour la main gauche de Ravel nous fait avant tout redécouvrir les liens forts entre cette partition et le Boléro, écrit juste avant. En seconde partie, le manque d'inspiration et d'idées fortes ne donne pas plus de force à la Symphonie n° 3 de Saint-Saëns, manquant de sensibilité au Poco Adagio, juste bien lancé au début par l'orgue de Vlad Vișenescu. Dans cette atmosphère dépassionnée, Nelson Goerner offre à la main gauche une prestation de bonne tenue, sans parvenir à développer l'émotion de son concerto en un seul mouvement, même dans la partie lente. [ndlr : lire notre compte-rendu du CD sur le même programme paru chez Alpha].
Le lendemain, l'orchestre et le piano sont les mêmes, mais tout a changé. Dès les premières notes de la Suite de Ma Mère l'Oye, Ravel a pris en grâce et en couleurs. Sous la direction de Charles Dutoit, les bois lumineux de Monte-Carlo colorent la Pavane de la Belle au Bois dormant introductive, puis les cordes se font mystérieuses avec le Petit Poucet, magnifiquement escorté lui aussi par la petite harmonie (hautbois, flûte, puis basson). Laideronnette est sans doute le plus grand moment de cette interprétation exceptionnelle. Un petit temps pour apporter le piano, et la grande Martha, elle qui a annulé tout l'été y compris sa première participation prévue au début du festival, est cette fois bien là. En compagnie de Charles Dutoit, elle entre dans l'œuvre le visage d'abord fermé, très concentrée et avec un toucher puissant, qui n'occulte pas quelques petites difficultés. Comme dans un combat, elle développe une forme de dualité à l'Allegramente, où la main gauche et la droite se suivent ou s'entraînent sans totalement vouloir exposer la même partition. L'Adagio assai lui donne plus de liberté, à faire pleurer nos deux voisines à notre rang, tant il développe de beauté. Le Presto engage une course parfaitement coordonnée avec le chef, aussi magnifique qu'auparavant dans son accompagnement.
Splendide, cette interprétation s'achève sur une Martha Argerich souriante, qui a sans doute maintenu sa participation parce qu'elle s'était entourée, notamment de son ami Nelson Goerner, présent la veille et encore là ce jour pour jouer avec elle un bis à quatre mains. Parfaitement adapté, Laideronnette fait le pendant à la version orchestrale entendue précédemment, et laisse le public tellement conquis qu'Argerich, couverte de fleurs offertes par différentes personnes du parterre, donne encore une pièce joueuse de Scarlatti.
En seconde partie, les Valses nobles et sentimentales sont jouées un peu vite et un peu en force par l'orchestre. Après une telle première partie, il faut faire retomber la pression, et c'est une bonne idée d'avoir intercalé cette pièce avant la dernière. Car pour La Mer, on retrouve le très grand Dutoit et un splendide Philharmonique de Monte-Carlo. De remous en relents, d'embruns en rythmes évanescents, parfois fracturés dans des rubatos toujours maitrisés, les mouvements du chef-d'œuvre de Debussy emplissent la salle, avant d'apaiser une dernière fois les esprits avec le bis, doucereuse Pavane pour une infante défunte, de Ravel.
Le lendemain dans la même salle, le Mahler Chamber Orchestra et Gianandrea Noseda ne déméritent pas. Mais si le violoniste Augustin Hadelich développe une jolie Ballade d'Enesco en introduction, il manque de ruptures et d'angles dans le Concerto pour violon n° 2 de Prokofiev. En seconde partie, la Symphonie n°2 de Schumann démontre une fois encore à quel point les chefs italiens sont à l'aise avec ce compositeur. Cependant, malgré une réelle dynamique, le style un peu brusque alourdit souvent la matière plutôt qu'il ne la laisse respirer, jusqu'à un Adagio espressivo lui aussi en manque de douceur.
Ensuite dans la grande Sala Palatului de 4 000 places, Simon Trpčeski ne démérite pas non plus dans le Concerto de Grieg, mais le Romanian Youth Orchestra ne lui offre pas le volume ni l'exaltation suffisants pour aviver véritablement sa partie. La Symphonie n° 9 de Beethoven permet surtout de conclure par un Hymne à l'Europe en soutien à l'Ukraine, de petits drapeaux européens ayant été distribués à tout le public avant d'entrer dans la salle, où un grand drapeaux jaune et bleu était projeté sur le mur du fond.
Crédits photographiques : © Cristina Tanase
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