Intégrale des Mélodies de Bizet : une aussi longue attente
Portée par la passion des Amis de Georges Bizet, et divers soutiens dont celui du Palazzetto Bru Zane, de la Fondation La Forlane-Institut de France et d'Harmonia Mundi, cette intégrale de ses mélodies parachève en beauté le cent cinquantenaire de la mort du compositeur de Carmen.
Carmen, opéra le plus joué de par le monde, et probablement le seul que l'on peut fredonner de A à Z, dit assez le grand mélodiste que fut Georges Bizet, emporté par un infarctus à 36 ans. « Petit par la taille mais déjà grand par le savoir » aurait proféré le père devant le rejeton qui, à neuf ans, composait déjà sa première mélodie, ce « Ah! Qu'elle est belle à voir » un des huit inédits de ce coffret de trois disques (comme le récent Bizet du label Bru Zane), copieusement habités des soixante-trois productions en la matière (dont vingt-deux connaissent ici leur premier enregistrement) d'un Bizet qui s'adonna régulièrement à ce format intimiste de la musique des salons, dans lesquels il aimait à tenir la partie pianistique.
Idéalement ouvert avec les très séduisantes Chanson d'avril et Le Matin, des Vingt Mélodies op. 21, le coffret se referme, sur de bien charmants Chants des Pyrénées, six adaptations de pièces traditionnelles rappelant à point nommé que, pour L'Arlésienne, Bizet demandera à Daudet quelques fragrances typiquement provençales. A l'écoute de ce passionnant coffret, on n'est jamais tenté par le traditionnel « tout n'est pas du même niveau » pour qualifier une production plus proche de Berlioz que de Massenet. On connaissait les très beaux Adieux de l'hôtesse arabe, Le Matin et Lamento (tous deux bâtis sur des numéros de L'Arlésienne) mais plus d'un titre fera figure de révélation (Vœu, N'oublions pas). Bizet sollicite poètes de premier plan (Ronsard, Musset, Hugo…) comme de second rayon, ne se privant pas d'adapter les uns et les autres à ses desiderata dans une curieuse auto-invalidation d'une sienne profession de foi : » Ce n'est pas aux musiciens de mutiler les poètes. »
Présentées par corpus respectifs, les mélodies (dont certaines sont tirées des Pêcheurs de perles, de Djamileh, de La Jolie fille de Perth, de Vasco de Gama), et duos (Quatre duos édités) sont judicieusement accompagnées par trois types de pianos respectifs de l'époque de leur composition (un pianino Pleyel de 1835, un Pleyel à queue de 1857) ou plus tardif de quelques décennies ( un Erard de 1898). Une intelligence éditoriale prolongée par la convocation de deux pianistes différents, Luca Montebugnoli et Edoardo Torbianelli, dont les touchers respectifs font jeu égal en matière d'attention au texte, à la ligne, gâtés par un compositeur renouvelant à chaque fois son langage, ainsi que par une prise de son d'un rare velours.
La longue attente est récompensée par l'actuelle excellence du chant français qui épargne à l'oreille les mignardises et le chant pointu du passé. Si le timbre sépulcral du jeune Guilhem Worms peut apparaître surdimensionné dans ce cadre intimiste (sur L'Esprit saint la beauté du timbre, indéniable, reste à contrôler), ce que fait, par exemple, Cyrille Dubois, en terme d'ambitus et de nuance, entre flamme (J'aime l'amour) et confidence (Aimons, rêvons), est assez stupéfiant. Le soprano lumineux et ductile de Marianne Croux fait des ravages. Et le mezzo automnal de Coline Dutilleul, articulé, naturel, chaleureux, enchante dans cette parution majeure.














