Nancy : Orlando de Haendel en excursion scolaire au musée
Après le Théâtre du Châtelet de Paris et avant Luxembourg et Caen, tous coproducteurs du spectacle, Orlando de Haendel fait escale à Nancy dans la mise en scène de Jeanne Desoubeaux et toujours sous la direction de Christophe Rousset mais avec une distribution et un orchestre entièrement différents.
Lors des représentations parisiennes, notre confrère Michèle Tosi a rappelé les circonstances de la création et le synopsis de cet opera seria de Haendel, moins célèbre et moins souvent représenté que Giulio Cesare in Egitto ou Alcina pour ne prendre que deux exemples. Elle a également détaillé la mise en scène de Jeanne Desoubeaux et en a souligné les points d'intérêt comme les faiblesses.
À Nancy, la largeur du cadre de scène étant moindre, le très soigné décor de Cécile Trémolières se voit amputé latéralement des toiles d'Élisabeth Vigée Le Brun et d'Eugène Delacroix. Mais nous sommes toujours dans un musée que visite une classe particulièrement turbulente durant l'ouverture (et même Christophe Rousset un peu avant) et où quatre élèves vont se laisser enfermer à la nuit tombée. Doubles enfants des personnages de l'opéra, lesquels sortent en costume XVIIIè siècle des tableaux ou des vitrines tandis que le magicien Zoroastro est le gardien du musée, ils vont les accompagner durant toute la représentation et mimer par la danse leurs états d'âme. Très bien préparés par Gösta Sträng, les quatre élèves du Conservatoire régional du Grand Nancy qui les incarnent réalisent une remarquable performance et font honneur aux chorégraphies initiales de Rodolphe Fouillot. S'instaure ainsi un intéressant dialogue entre présent et passé mais aussi entre enfance et âge adulte.
Le décor évolutif et les éclairages variés de Thomas Coux se chargent de renouveler l'intérêt au cours de ce long spectacle. Bien que précise et attentive à faire évoluer les chanteurs au travers de leurs arias et da capo, la direction de Jeanne Desoubeaux ne parvient cependant pas à expliciter plus clairement un livret assez pauvre constitué essentiellement d'émois amoureux satisfaits ou déconvenus. La fureur guerrière puis la folie qui s'empare du héros Orlando à la fin du second acte, quand il comprend que son aimée Angelica lui préfère un autre, s'avèrent ainsi bien sages et peu crédibles. Après l'entracte, avec son plateau vide et ses chorégraphies sibyllines, le troisième acte est tout particulièrement confus et inintelligible tout comme l'abrupt retournement final en forme de lieto fine.
Pour les deux rôles jadis dévolus aux castrats d'Orlando et Medoro, pas de contre-ténors mais deux mezzos travesties assez semblables dans leur physique et leur vocalité. Leur haute taille et leur costume assurent la part de masculinité alors que leur coiffure révèle une touche de féminité. Cette confusion des genres, typique de l'opéra baroque tout comme de notre époque contemporaine, se retrouvera magnifiée dans le superbe (et unique) trio « Consolati o bella » qui clôt le premier acte, où Medoro, Angelica et Dorinda se livrent à une séance d'effeuillage mutuel et de caresses aux connotations saphiques et à l'érotisme explicite. Pour Orlando, Noa Beinart possède de nombreux atouts : superbe texture vocale, homogénéité parfaite des registres, contrôle du souffle, vocalises staccato libres et aisées. Avec son visage très mobile, elle lui apporte beaucoup de douceur et d'humanité mais son célèbre aria « Fammi combattere » manque toutefois de caractère martial et d'autorité, choix vraisemblable de mise en scène comme on l'a vu. Rose Naggar-Tremblay campe elle aussi un remarquable Medoro, un tantinet moins homogène mais très investi d'émotions et intelligemment varié en intonation et émission.

Les deux sopranos ne sont pas en reste de qualité. Remarquable actrice au timbre assez corsé, Mélissa Petit apporte à Angelica un investissement scénique constant, de subtiles demi-teintes et l'inventivité de ses variations dans les da capo. Plus pointue de timbre, la Dorinda de Michèle Bréant séduit par la limpidité de ses aigus et l'espièglerie de son interprétation. Complétant cette distribution très homogène, Olivier Gourdy donne à Zoroastro une jeunesse et une clarté du timbre (non dénué de graves cependant) inhabituels et bienvenus pour ce rôle de magicien un peu philosophe, blasé et revenu de tout.
Délaissant temporairement son orchestre Les Talens Lyriques, qu'il retrouvera pour les représentations de Luxembourg et Caen, Christophe Rousset dirige cette fois l'Orchestre « maison » de l'Opéra national de Nancy-Lorraine. Et c'est une brillante réussite. Cordes très articulées et sans vibrato, cors sûrs et éloquents, bois toujours savoureux quoiqu'un peu en retrait, l'orchestre sonne presque comme un ensemble sur instruments d'époque. Le discours avance, riche de rythme et de vivacité mais sait se retenir et soigner les alliances de timbre pour des lamentos des superbe tenue. Le clavecin subtilement varié et jamais envahissant de Christophe Rousset, notamment aux récitatifs, complète cette touche d'authenticité. C'est une salle pleine qui, en cette soirée de première, a accueilli avec ferveur cet ouvrage moins connu de Haendel et tous ses interprètes.









