Alain Louvier fête ses 80 ans dans « son » conservatoire
Le Conservatoire de Boulogne-Billancourt a fêté les quatre-vingt ans de son ancien directeur Alain Louvier lors d'un riche concert tissant le fil d'une carrière où se mêlent créations, transmission et audaces sonores.

Appelé au sortir de sa résidence de trois ans à Rome – il est le dernier Grand Prix de Rome en 1968 – pour diriger le Conservatoire de Boulogne-Billancourt où il a commencé sa formation, Alain Louvier y reviendra en fin de carrière après avoir piloter le CNSM de Paris de 1986 à 1991. Compositeur, chef d'orchestre, pédagogue et homme d'institutions, Alain Louvier a légué l'ensemble de son œuvre au Conservatoire où il a fait rayonner la musique et la pédagogie. Une exposition de ses partitions – parmi elles les célèbres Études pour Agresseurs débutées en 1964 qui révolutionnent le geste pianistique – à l'entrée de l'auditorium donne à voir les inventions graphiques d'une notation allant au plus près de l'exécution.
Messages et vignettes sonores
Fidèle à la politique de commandes pédagogiques – plus de 80 ! – qu'a initiée Alain Louvier lors de ses deux mandats, le Conservatoire de Boulogne-Billancourt et son directeur Jean-Luc Tourret ont demandé à cinq professeurs de l'établissement une nouvelle œuvre, vignettes sonores de 2 à 3 minutes, adressées à celui qu'ils ont côtoyé à un moment ou à un autre de leur formation ou carrière et destinées à être jouées par les étudiants. Les compositeurs ne sont pas tous dans la salle mais apparaissent à tour de rôle sur l'écran pour faire passer leur message et donner, ou non, quelques clés d'écoute.
Professeur d'électroacoustique, Roque Rivas s'est servi des notes, selon le solfège anglo-saxon, qui correspondent aux lettres du prénom Alain. Convoquant deux cors, Appel est une pièce aussi virtuose que bien sonnante que les jeunes interprètes restituent avec un panache sidérant. L'orchestre du Conservatoire dirigé par Jean-Luc Tourret joue ensuite Stasis, page aux textures délicates inscrites dans un temps suspendu de Pierre Farago, professeur d'orchestration. David Hudry, qui enseigne l'analyse, envoie son message de Montréal où il est en mission. Analogies II qu'il écrit pour flûte, clarinette et tom est une pièce pleine d'élan et de fraicheur où la percussion, jouée d'abord à main nue, maintient ferme l'équilibre. On admire, chez Jean-Luc Hervé, professeur de composition instrumentale, cet art de la miniature orchestrale qui, dans Ivraie, sait faire advenir tout un monde sonore dans un soupir. Dans L'Envol léger du nombre, Fabien Touchard (professeur d'écriture) reprend l'idée de Roque Rivas mais va plus loin dans la combinatoire, partageant avec son dédicataire la fascination des nombres et un amour certain pour les mathématiques !

Spéculation formelle
Cette appétence pour la combinatoire et la complexité s'exerce dans Chant des Aires d'Alain Louvier, une pièce de 1988 rarement donnée si ce n'est par les forces d'un (voire de deux) conservatoires, le CRR d'Aubervilliers-La Courneuve venant ce soir en renfort. La pièce, commandée par l'orchestre français de flûtes fondé par Pierre-Yves Artaud, est écrite pour une flûte soliste (prenant aussi le piccolo) et 24 flûtes distribuées en six quatuors de gauche à droite du chef. Les flûtes des deux premiers groupes sont abaissées d'un quart de ton, préfigurant les recherches plus avancées du compositeur dans le domaine de la microtonalité. Les trois premiers groupes jouent la flûte et le piccolo, le cinquième la flûte alto et le sixième la flûte basse : « un orchestre-camaïeu » qui plait au compositeur. L'œuvre enchaîne 10 séquences explorant toutes les configurations envisageables autour d'une cellule unificatrice Fa – Sol – Fa#, « véritable miroir autour duquel tout s'articule », prévient notre musicien-géomètre. Le flûtiste Óscar Catalán est au côté de Jean-Luc Tourret, interférant, dialoguant, fusionnant avec ses 24 complices, dardant parfois la couleur de son piccolo au-dessus des quatre flûtes basses. On voit le chef, poings tendus, tourné sur lui-même lors d'une séquence semi-improvisée (« aléatoire contrôlé ») où le soliste s'est rapproché de la flûte basse pour jouer avec elle des mélodies en doublures d'octaves, à l'instar de l'antique aulos grec. L'invention le dispute à la spéculation dans cette pièce d'une vingtaine de minutes tenue de main de maitre par Jean-Luc Tourret à la tête de cette magnifique communauté de souffleurs.

8 sonnets, des stances une chanson et…un baiser
Maxime le Forestier est dans les rangs du public, qui a créé en 1985 Poèmes de Ronsard pour voix amplifiée et orchestre de chambre, une commande de l'Ensemble Orchestral de Paris passée à Alain Louvier – et une découverte toujours – qui associe au chanteur/récitant (le jeune baryton Mathis Jeanne) une formation légère (28 musiciens) distribuée en miroir autour du chef. Onze poèmes sont retenus par le compositeur, célébrant l'amour et la nature, la sensualité voire l'érotisme. L'orchestration y est épurée, procédant par touches suggestives : écriture oiseau des deux piccolos, trame immobile tenant la ligne vocale ou la suivant comme son ombre… Les interludes sont très soignés, libérant le geste instrumental et anticipant la musique à venir. Quant à la voix, elle modifie à chaque numéro son mode d'émission : parlé ou chanté, parlé modulé, parlé rythmé, murmuré ou ânonné bouche fermée, etc., une stylisation qui met le texte à distance et l'humour à fleur de lèvre. Agile et clair, le baryton léger de Mathis Jeanne donne aux mots leur saveur et aux images leur langueur. Comme on le dit des Chansons Madécasses de Ravel, Poèmes de Ronsard est sans doute l'œuvre la plus licencieuse de Louvier.

Intégrer dans le programme une œuvre d'Olivier Messiaen était une évidence. Il fut le professeur d'analyse d'Alain Louvier et partagea comme lui l'amour des « créatures ailées » : le Garrulaxe à huppe blanche, la Grive des bois, le Tétras Cupidon des prairies… Ils chantent tous dans Les oiseaux exotiques du maître de Petichet, une œuvre redoutable commandée à Messiaen par Pierre Boulez en 1956 pour les concerts du Domaine musical. Digitalité lumineuse et qualité du toucher s'entendent dans les solos de Aliocha Matheron. Avec une vaillance de tous les instants, Jean-Luc Tourret galvanise ses jeunes musiciens dont l'énergie du geste, les couleurs et la réactivité font merveille dans une interprétation qui, certes, reste perfectible mais témoigne de l'élan donné à la musique d'aujourd'hui au Conservatoire de Boulogne et des talents qui contribuent à la faire vivre.
Crédit photographique : © Isabelle Rouville (Alain Louvier) ; ResMusica









