Création française de Sémiramis de Ravel par Alain Altinoglu
Pour le dernier programme de l'Orchestre de Paris de cette année 2025, Alain Altinoglu a eu la primeur de diriger la première française de la cantate Sémiramis de Maurice Ravel, avant un ballet Daphnis et Chloé superbe d'expressivité.

Si nous pouvons encore trouver des inédits de Ravel aujourd'hui, c'est grâce aux archives de la maison du compositeur à Montfort-l'Amaury. Elles ont fait l'objet d'une vente aux enchères en 2000 ayant permis de retrouver plusieurs ouvrages de jeunesse, dont celui-ci. La Bibliothèque nationale de France a acquis le manuscrit du début d'une cantate, Sémiramis.
Le très complet programme de salle du concert, à consulter ou télécharger sur les sites de l'Orchestre de Paris ou de la Philharmonie de Paris apporte tous les détails sur cette œuvre. En réalité, la notion de « création française » est légèrement galvaudée par le fait qu'une première écoute en avait été donnée en comité très réduit en 1902. L'interprétation de ces concerts constitue donc la première « création publique française », mais cela reste un évènement ! Et par conséquent, si cette partition d'essai de l'artiste de 27 ans transpire encore Rimski-Korsakov dans les thèmes orientalistes comme dans l'orchestration (les deux adoreront orchestrer les œuvres de Moussorgski), elle est déjà d'une véritable qualité. Contemporaine de Jeux d'eau pour piano, l'œuvre profite d'abord du style élancé et en même temps très coloré recherché à l'orchestre par le chef Alain Altinoglu pour Prélude et Danse. Dans sa deuxième partie, Scène 1 – Air de Manassès, la justesse et la qualité d'élocution de l'un des meilleurs ténors français actuels, Léo Vermot-Desroches, font regretter qu'il ne chante pas plus de cinq minutes le texte d'après Édouard et Eugène Adenis.
Nous aurons moins de regret en revanche avec la violoncelliste remplaçante de Sheku Kanneh-Mason ensuite dans le Concerto n°1, opus 33 de Camille Saint-Saëns. Fille de Clemens Hagen, violoncelliste du célèbre Hagen Quartet, Julia Hagen mâche son discours musical dans un archet qui peine à donner du détail au magnifique instrument fabriqué en 1684 par le luthier crémonais Francesco Ruggeri. Malgré le bel accompagnement de l'Orchestre de Paris et plus particulièrement de sa petite harmonie, dès que le mouvement accélère, le message se noie sans vigueur et sans netteté. Le style cyclique de l'œuvre est bien mieux mis en valeur par le chef français dans l'Allegro con moto médian, mais là encore, le violoncelle ne parvient jamais à porter le message, l'émotivité y étant gommée par l'attention technique constante de la soliste. Pris trop vite puis émaillé de rubati perturbateurs, le Prélude de la Suite n°1, BWV 1007 de Bach donné en bis convainc encore moins que le finale du concerto.
En revanche, la seconde partie de concert ramène à de grandes effusions avec le ballet intégral de Daphnis et Chloé. Avec un Chœur de l'Orchestre de Paris parfaitement préparé par Richard Wilberforce, Alain Altinoglu peut se concentrer sur l'ensemble symphonique. Avec contrôle et souplesse, il développe l'apparition du son de l'Introduction par une construction soignée, qui met à nouveau en valeur la qualité des bois de la formation parisienne. Bien accueillies par le prélude du premier violon invité Julien Szulman, les cordes – définitivement plus touffues qu'avant l'arrivée de Mäkelä il y a cinq ans – offrent également de grands contrastes tout au long du ballet. Joué pour la dernière fois en intégralité par l'orchestre en 2022 avec Salonen, l'œuvre retrouve avec Altinoglu plus de subtilité et plus de variété.
On ne sait si l'affèterie vient de lui, mais après une vigoureuse Nocturne pour conclure la Partie I, la Partie II est introduite dans un noir quasi complet, avec seulement un projecteur sur le chef permettant au chœur plongé dans les ténèbres de tenir son chant a capella. Les premiers instruments à reprendre sont aussi livrés à eux-mêmes, notamment la trompette, avant que la lumière ne réapparaisse avec l'augmentation du son, puis l'explosion d'une Danse Guerrière transportées par les contrebasses et le timbalier. La Partie III remet encore une fois en avant la splendeur de la petite harmonie, mais aussi des harpes, puis retrouve l'expressivité de la gestuelle d'Altinoglu, jusqu'à une Pantomime douteuse et une Danse finale lumineuse. Pourquoi l'orchestre n'a-t-il pas pensé à ce chef pour les prochaines années ?








