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Rejoignant dans cette passion des voix et de la mer Albert Roussel et Jean Cras, est un acteur de tout premier plan dans la vie musicale du début du XXe siècle.

« Ce qu'il faut mettre en relief d'abord, parce que là réside l'essentiel, c'est du plus loin que je me souvienne, l'attirance toujours exercée sur moi par la mer. Enfant, je restais des heures à flâner au bord des grands bassins du Havre. J'écoutais le rythme des vagues déferlant sur la grève et, bien avant que je ne puisse partir seul, quand un marin m'emmenait dans son bateau, j'étais heureux et j'imaginais, j'entendais des voix dans les voiles. Elles changeaient d'intensité selon la force du vent et semblaient répondre à quelque interrogation venant de moi. Je ne saurais expliquer ce que je ressentais alors mais, revenu sur terre, j'étais en exil. J'attendais toujours je ne sais quel motif d'émerveillement. J'entendais des voix dans les voiles. »

Il est né le 23 novembre 1878 sur un bateau entre Le Havre et Honfleur, dernier enfant d'une famille très modeste. Doué et précoce, confronté dès son plus jeune âge à la nécessité de travailler, il obtient à onze ans un engagement de pianiste répétiteur aux Folies Bergère du Havre et à douze ans, un poste de violoniste dans l'orchestre du Grand Théâtre municipal. Après avoir reçu de Henry Woolett ses premiers cours d'harmonie au Havre, il est l'élève de Charles Lenepveu, Xavier Leroux et Paul Vidal au Conservatoire de Paris (1896-1901). C'est à cette époque que, timbalier aux Concerts Colonne, il se fait remarquer pour ses capacités de chef d'orchestre. En 1899, à 21 ans, il est nommé directeur de la musique à l'Odéon.

Ses premières œuvres (Quintette pour piano et instruments à vent, Callirhoé, Suite persane, Pâques citadines) montrent une assimilation précoce de l'héritage de Franck et de Massenet ainsi qu'une évidente attirance pour l'impressionnisme. Après avoir obtenu avec la cantate Myrrha le Premier Grand Prix de Rome en 1901 devant Maurice Ravel, il parcourt l'Italie avec une insatiable curiosité. A l'occasion du centenaire de la Villa Médicis, il est désigné pour écrire une Marche solennelle exécutée sous sa direction à la cérémonie officielle commémorant cet événement en avril 1903. Avec Épiphanie, triptyque pour violoncelle et piano composé la même année, il entre dans une phase de musique plus évocatrice que descriptive qui débouche sur Le Masque de la mort rouge, fresque symphonique avec harpe principale, d'après Edgar Pœ (1908). Caplet remanie son œuvre en 1923 pour harpe et quatuor à cordes, lui donnant alors le titre de Conte fantastique. Cette partition comporte d'étonnantes trouvailles instrumentales dans l'écriture pour la harpe et dans la puissance d'évocation musicale. Il faudra attendre Krzysztof Penderecki ou György Ligeti pour voir certains de ses procédés réutilisés. Se sentant à l'étroit dans sa cage dorée de la Villa Médicis, il donne sa démission, quitte l'Italie pour l'Allemagne où, pendant une année, il suit les répétitions des grands chefs de l'époque : Arthur Nikisch à Berlin et Félix Mottl à Dresde.

En 1907, rencontre Claude Debussy dont il connaît déjà fort bien la musique, ayant transcrit plusieurs de ses partitions d'orchestre pour le piano. Une profonde amitié s'établit entre eux et, loin de se limiter à un rôle de disciple que lui attribuent de trop nombreux biographes, Caplet devient le plus proche collaborateur de Debussy, son interprète de prédilection d'abord, mais aussi l'orchestrateur de certaines de ses partitions (Children's Corner, La Boîte à joujoux, deux des Ariettes oubliées…). S'adressant à Georges Jean-Aubry en 1908, Debussy confie : « Hier pour la première fois j'ai entendu deux mélodies d'. Ce Caplet est un artiste. Il sait retrouver l'atmosphère sonore et, avec une jolie sensibilité, a le sens des proportions ; ce qui est plus rare qu'on ne le croie à notre époque de musique bâclée ou hermétique comme un bouchon ! »

Blond, le regard vague, une tête énorme posée sur de larges épaules, il est doté d'une puissante personnalité au dynamisme communicatif. A ce magnétisme naturel s'ajoute un charme indéfinissable auquel succombera Isadora Duncan. Il tombe gravement malade d'une pleurésie à l'automne 1909. Dès 1910 ses premières compositions figurent à l'affiche des concerts parisiens. Ses interprètes sont Claire Croiza, Jane Bathori, Philippe Gaubert, Gaston Poulet, Maurice Maréchal… Sa carrière de direction d'orchestre prend son véritable essor en 1910 lorsqu'il est nommé chef d'orchestre puis directeur de la musique à l'Opéra de Boston où il reste quatre années. Il y présente l'essentiel du répertoire contemporain français, y faisant notamment découvrir la musique de Debussy, Ravel, Satie, Milhaud, Aubert, Laparra… Il revient à Paris au printemps 1911 afin d'orchestrer, préparer et diriger les premières représentations du Martyre de Saint Sébastien, partition que Debussy achève dans la hâte. En 1912, il assure la première exécution de Pelléas et Mélisande en Angleterre.

Définitivement revenu en France au printemps 1914, il est nommé chef d'orchestre à l'Opéra de Paris, mais la guerre éclate en août et l'empêche d'exercer ses fonctions. Caplet s'engage volontairement à la déclaration de guerre (il avait été exempté du service militaire). Il est affecté à la garnison du Havre et c'est avec le grade de sergent qu'il arrive au front en septembre 1915. Il est chef colombophile et, parallèlement, participe activement à la vie du quatuor fondé par Lucien Durosoir et Maurice Maréchal comme l'atteste cette lettre écrite par Durosoir à sa mère le 17 octobre 1915 : « Voici comment je compte faire pour organiser le quatuor. Il est arrivé hier matin, dans un nouveau renfort, André Caplet, le prix de Rome, chef d'orchestre bien connu qui dirigeait à Boston depuis plusieurs années la saison d'opéra. Je lui ai longuement causé hier et je l'ai même présenté au colonel. Il est sergent, on va lui trouver un filon, d'autant plus qu'il est malingre. Il faut vraiment avoir besoin d'hommes pour prendre des gens comme lui. Enfin bref, il jouerait l'alto dans le quatuor (Caplet est pianiste mais il a aussi appris le violon et a quelques rudiments d'alto). Inutile de dire qu'il sera intéressant comme musicien. Il paraît fort timide, il faut dire qu'il était désorienté de se trouver au front, c'est la première fois qu'il y venait. » En mai 1916, le général Mangin lui commande la Marche héroïque de la Ve Division. Blessé et sévèrement gazé, il revient du front très diminué physiquement.

Démobilisé au début de l'année 1919, il épouse le 4 juin à Chaville celle qu'il appelait « ma petite Geneviève ». De cette union heureuse naît un petit Pierre, le 20 octobre 1920. Ses activités musicales restent malgré tout aussi bouillonnantes. Francis Poulenc nous rapporte l'anecdote suivante : « André Caplet, récemment revenu du front, dirigeait une étrange chorale où l'on voyait parmi les basses mes deux maîtres Charles Kœchlin et Ricardo Viñes et, dans je ne sais quel emploi, Honegger et moi-même. Il s'agissait de chanter les Trois chansons a cappella de Ravel encore inédites. »

Décidant de se consacrer à la composition plutôt qu'à la direction d'orchestre que sa santé affaiblie rend trop fatigante, il refuse les postes de chef d'orchestre que lui proposent l'Opéra de Paris, les Concerts Lamoureux et les Concerts Pasdeloup. Il dirige cependant divers orchestres de façon intermittente. C'est ainsi qu'il fait entendre pour la première fois en France aux Concerts Pasdeloup les Cinq pièces pour orchestre opus 16 d'Arnold Schönberg en 1922. Il dirige également les premières auditions de Socrate d'Eric Satie et de La valse de Maurice Ravel. Toujours la même année, il assiste à la première française du Pierrot lunaire dirigée par Darius Milhaud. Sa curiosité étant toujours en éveil, il est présent lors des premières auditions du Roi David d'Arthur Honegger, Pour une fête de printemps d'Albert Roussel, Noces d'Igor Stravinsky…

Les horreurs de la guerre accentuent son mysticisme qui se traduit dans des œuvres intérieures, généralement destinées à la voix humaine. Ayant tiré de la leçon debussyste une libération vis à vis du passé, peu attiré par le courant Stravinsky de l'après-guerre, il est alors très attentif aux recherches de l'Ecole de Vienne mais reste attaché à une clarté et une fluidité bien françaises. Dès 1909, avec le Septuor pour cordes vocales et instrumentales, Caplet aborde une écriture plus dépouillée, faite de recherches de timbres et de simplicité. Les Inscriptions champêtres (1914), pour voix de femmes a cappella trouvent leur inspiration dans les paysages normands tout comme la Messe à trois voix dite « des petits de Saint Eustache la Forêt » (1920) qui emprunte certains procédés au chant grégorien. Son Panis Angelicus composé le 21 juin 1919 est d'une grande ferveur religieuse et témoigne d'une sincérité et d'une profondeur de sentiments assez rares à cette époque. En 1923, André Caplet termine son chef d'œuvre, Le Miroir de Jésus, triptyque sur les Mystères du Rosaire, poèmes d'Henri Ghéon où il associe à nouveau cordes vocales et instrumentales.

Le Miroir de Jésus

D'un grand mysticisme, puisant aux racines d'une foi authentique, l'œuvre est écrite entre avril et septembre 1923. « Mes intentions sont d'utiliser comme accompagnement le quatuor à cordes et la harpe ; de faire précéder chaque groupe du Mystère (de joie, de peine, de gloire) d'un petit prélude confié aux seuls instruments à cordes, et d'utiliser un groupe de voix de femmes (9 voix seulement divisées en 3) pour agrémenter comme fond sonore les Mystères joyeux et les Mystères glorieux. »

Une version pour chœur, orchestre à cordes et deux harpes est donnée pour la première fois à Lyon le 22 février 1924. Dans sa version de musique de chambre, Le Miroir de Jésus est exécuté en première audition le 1er mai suivant à Paris, au théâtre du Vieux-Colombier. André Caplet dirige et Claire Croiza y chante la voix principale. Le succès est tel que, toujours sous la direction de l'auteur, cet ouvrage est donné à plusieurs reprises et à guichet fermé au Vieux-Colombier. L'œuvre affirmant son rayonnement, d'autres auditions ont lieu dans différentes villes. C'est ainsi que la reine Elisabeth fait venir à Bruxelles le compositeur et ses interprètes pour entendre cette œuvre dans laquelle jamais encore la musique de Caplet n'a atteint une telle force dramatique et descriptive.

Confiant à trois voix a cappella le rôle d'annoncer : « Le Miroir de Jésus : Quinze petits poèmes sur les saints mystères du Rosaire qu'Henri Ghéon composa et qu'André Caplet de musique illustra », l'auteur établit un contact immédiat avec son auditoire. Puis, l'ouvrage se divise en trois parties : le Miroir de joie, le Miroir de peine, le Miroir de gloire. Chacune de ces trois parties est précédée d'un prélude confié aux instruments seuls, d'une écriture systématiquement différente.

Laissons à Yvonne Gouverné, fidèle disciple de Caplet, le soin de nous parler des derniers jours du compositeur : « Le lundi 9 mars 1925, un festival des œuvres d'André Caplet avait lieu à l'église Saint-Michel au Havre, avec les instrumentistes du Havre bien entendu, la chorale locale à laquelle se joignaient quelques fidèles des nôtres et Mme Claire Croiza interprétant le Miroir de Jésus. A la veille de ce concert auquel je ne pensais pas assister, Madeleine Vhita et moi-même reçûmes l'ordre de nous rendre immédiatement au Havre pour la répétition générale. Madeleine pour remplacer Mme Croiza venant seulement pour le concert. Moi, parce qu'André Caplet avait fait mettre un piano dans l'orchestre et j'avais comme mission de renforcer les basses qui, dans cette église, paraissaient sonner de façon insuffisante. Donc ce qui fut dit fut fait. A l'issue de cette répétition, l'auteur éprouvait le besoin de se détendre… Vers minuit, après avoir quitté les uns et les autres, André Caplet nous emmenait Madeleine et moi vers la mer ! Comment pourrais-je oublier cette promenade nocturne au bord des vagues houleuses, qui fut la dernière de toutes avec lui ? Il nous tenait chacune par un bras, devant cette immensité marine dont nous longions les vagues, et, comme s'il nous proposait une aventure merveilleuse : « Mais pourquoi ne pas partir sur une de ces barques ? Vous savez que je rame très bien » nous dit-il. Poursuivant son rêve, il se mit à fredonner presque joyeusement : « On s'embarquerait sur la mer et l'on ne reviendrait plus ».

Le concert ayant eu lieu le lendemain soir 9 mars 1925 fut la dernière escale du musicien devant une assemblée où son œuvre était à l'honneur. Le 14 mars, André Caplet fut immobilisé par une forte fièvre. Le médecin ne put lui cacher qu'il était très grave pour lui de sortir… » Il est mort le 22 avril 1925 à Neuilly-sur-Seine.

Ses dernières pensées ont peut-être été pour son maître, son ami, Claude Debussy qui lui écrivait en 1918, quelques semaines avant sa propre mort : « Si l'on a besoin de quelqu'un pour diriger la musique des sphères, je me sens tout à fait désigné pour ce haut emploi. » Diriger la musique des sphères, c'est certainement ce qui les attendait tous deux. Messagers des radieux espaces pressentis dont la matière ne possède pas la clé, c'est sur cette vérité si anxieusement recherchée que devaient se rouvrir les grands yeux de Mélisande et que l'extase paradisiaque du Martyre de Saint Sébastien devait précéder dans une aveuglante lumière le couronnement au ciel du Miroir de Jésus.

Article rédigé à l'occasion du concert Caplet donné à l'auditorium Saint-Pierre des Cuisines de Toulouse le 18 novembre 2006.

Le Miroir de Jésus
André Caplet
Isabelle Cals, mezzo-soprano
Gaëlle Thouvenin, harpe
Quatuor Johannes
Chœur du Capitole
Patrick Marie Aubert, direction
Auditorium Saint-Pierre des Cuisines
Toulouse
Samedi 18 novembre 2006 à 18h

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