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Annulation de fusion

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Appels en (con)fusions

Jeudi 5 octobre 2006 : pourvoi en appel de Sony et Bertelsmann contre le jugement du 13 juillet dernier annulant leur fusion.

L’auteur de ces lignes a eu, dans une vie précédente, une activité fournie de chef de chœur. Pressé de faire découvrir à ses ouailles, entre deux Requiem de Mozart, des répertoires moins débroussaillés, il jette son dévolu sur la rarissime Messe op. 4 de Saint-Saëns.

Le concert approchant, le matériel d’orchestre importé depuis Milan (!!!!) se révèle une fois sorti du carton dater de l’époque de Saint-Saëns… La partition d’orchestre est une photocopie (mal faite et mal reliée) de l’original, le matériel est vieux, en partie déchirée (et pour 600€ de location n’espérez pas le rouleau de scotch en prime), à la limite du lisible et les parties de chœur écrites « à l’ancienne » comme au XIXe siècle, c’est-à-dire en ut1, ut3, ut4 et fa4. Un coup d’œil furtif à la fin de la partition décelait « Achevé d’imprimer aux ateliers d’impression XXX, octobre 1894 »…

Comment en est-on arrivé là ? Une impression de partition reste fort chère, surtout quand l’œuvre est oubliée… Mais la Messe de Saint-Saëns ne fait pas exception, et d’autres pièces plus souvent jouées ne sont pas mieux loties… Faut il en jeter la pierre aux éditeurs ? Pas si sûr.

Car Saint-Saëns, ce sont les éditions Durand. Et Durand, c’est à ce jour Durand-Salabert-Eschig, un « trois en un » intégré à Ricordi, bras armé –enfin, imprimé- de l’édition musicale du groupe allemand Bertelsmann, récemment fusionné au japonais Sony, et dont le mariage a été célébré début août 2004 par la Commission Européenne, par le biais de son (à l’époque) nouveau Président le très libéral José Manuel Barroso, et de sa Commissaire à la concurrence, l’ultra-libérale Neelie Krœs. Après une cure d’amaigrissement, les trois éditeurs français ont du transférer leurs fonds à Milan. Voila pourquoi louer le matériel d’orchestre du Boléro de Ravel doit se faire aujourd’hui en Italie.

Cet été coup de théâtre ! La Cour Européenne de Justice, sise à Luxembourg, avait été saisie en décembre 2004 sur ce sujet de fusion BMG/Sony par IMPALA, un réseau d’indépendants européens menés par Patrick Zelnik, patron de Naïve. Le verdict est tombé le 13 juillet dernier : les deux majors (qui totalisent 22% du marché européen de la musique enregistrée) doivent divorcer, la Cour Européenne estimant que Bruxelles avait révisé son jugement trop rapidement (la Commission avait d’abord refusé, mais le trop gauchisant Commissaire à la Concurrence Mario Monti n’a pas été jugé digne par son chef de gouvernement, un certain Silvio Berlusconi, de représenter l’Italie auprès de Barroso. Les accointances multiples entre Berlusconi homme d’affaire, Sony et BMG ne sont certainement qu’une coïncidence malheureuse…). L’affaire a créé une secousse sismique boursière : l’action EMI chutait de 10% le lendemain à la Bourse de Londres. La majorette des majors rêve depuis 2000 de fusionner avec Warner. Salauds d’indépendants brouilleurs de noces !

Mais on n’empêche pas deux mammouths de s’accoupler. Ce jeudi 5 octobre Sony et Bertelsmann se sont pourvus en appel contre le jugement de la Cour Européenne. D’ici un an ils vont représenter un projet de fusion à la Commission Européenne, après s’être séparés de plusieurs filiales. L’édition musicale en fait partie. Que vont donc devenir les maisons séculaires citées plus haut ? Nul ne le sait pour l’instant, mais le pire est à venir. Le matériel n’est pas entretenu, les rééditions de plus en plus parcimonieuses, la musique contemporaine délaissée (certains compositeurs français sont contraints de se faire éditer outre-Rhin), tout cela vendu à des tarifs exorbitants. Surtout qu’en 2012 la poule aux œufs d’or (Ravel et son Boléro) tombera dans le droit public.

Les parts de marché du disque sont l’arbre qui cache la forêt : les majors, qui sont eux-mêmes leurs propres distributeurs, ne se limitent pas à la musique enregistrée. Le réseau IMPALA a beau avoir gagné une manche – en faisant grincer quelques dents au passage, y compris chez les indépendants- il n’a pas pour autant remporté la partie. A se demander si aujourd’hui le pouvoir politique ou judiciaire peut se montrer plus fort que le pouvoir financier… N’oublions pas que ces mêmes majors, qui ont hurlé à l’agonie ces dernières années en raison du téléchargement, sont les premières à commercialiser des lecteurs de MP3. Nous ne sommes plus à un double jeu près.

Crédit photographique :© Cour de Justice des Communautés Européennes

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