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Tito Ceccherini, chef d’orchestre

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chef d'orchestre italien, s'est imposé sur la scène nationale et internationale avec un répertoire musical très vaste qui va de la musique ancienne à la musique contemporaine. Devenu le chef préféré de Salvatore Sciarrino après la direction de Luci mie traditrici, il a dirigé son dernier opéra présenté à l'Opéra Garnier en juin 2007 : Da gelo a gelo. C'est à cette occasion que nous l'avons rencontré.

« Je m'interroge sur le sens de la musique d'hier et d'aujourd'hui avec une conscience actuelle »

 : Il est bizarre que Gustav Kühn, qui ne dirige pas beaucoup de musique contemporaine, m'ait souvent parlé de son expérience musicale avec Maderna. , en revanche, est un artiste avec qui je discute régulièrement de traits fondamentaux de la pensée musicale traditionnelle, du sens et de la façon de raconter une phrase de Mozart ou de Bach, par exemple. Mon parcours est traditionnel dans le sens que j'ai étudié piano, composition et direction d'orchestre au conservatoire. J'ai travaillé en théâtre en tant que directeur de scène et pianiste. J'ai perfectionné le répertoire allemand ; j'ai appris à jouer avec une main et à diriger avec l'autre. Mon histoire personnelle est par contre très peu traditionnelle. La rencontre avec Gustav Kühn, dont j'ai été assistant, a précédé ma carrière de directeur.

RM : Comment êtes-vous arrivée à la musique contemporaine?

TC : La musique contemporaine fait partie de mon vécu depuis toujours. Mes premiers souvenirs musicaux à l'âge de trois ou quatre ans, concernent l'Orfeo de Monteverdi et Le Marteau sans maitre de Boulez. Mon approche à la musique n'a été jamais conditionnée par la date de naissance des compositeurs.

RM : Pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec

TC : J'ai connu Sciarrino il y a longtemps. J'ai suivi ses cours d'analyse publiés plus tard avec le titre de Le figure delle musica. Je n'ai pas étudié la composition avec lui mais il m'a aidé à saisir la pensée de certains compositeurs importants tels que Grisey ou Stockhausen. Compositeurs qui jusqu'à ce moment ne faisaient pas partie de mon répertoire. Ensuite j'ai eu l'occasion de diriger Luci mie traditrici. Sciarrino n'a pas eu la possibilité d'assister à la mise en scène puisqu'à l'époque il travaillait à son Macbeth. Il a écouté l'enregistrement live et il a voulu le publier parce que d'après lui, mon approche à sa musique mettait bien en valeur son invention. Tout a commencé à partir de là.

RM : À propos de Le figure delle musica dont vous avez parlé, il me semble qu'une grande partie de ses cours soit dédiée à la «forme à fenêtres» et à la «coupure» (qui sont des procédés de composition) que Sciarrino fait intervenir à des moments topiques pour surprendre les attentes du publique et maintenir vive l'attention.

TC : Ce sont des éléments caractéristiques du langage de Sciarrino qui sans doute jouent un rôle particulier même dans son dernier opéra, Da gelo a gelo. Le principe de coupure est un des traits les plus importants de la dramaturgie musicale déjà dans Luci mie traditrici et dans Lohengrin.

RM : Le dernier opéra de Sciarrino Da Gelo a gelo semble être une sorte de résumé des grands thèmes qui ont inspiré le théâtre du compositeur : l'amour, l'attente, l'impossibilité d'un dialogue entre l'homme et la femme, sa philosophie d'écoute écologique

TC : Oui, toutes ces thématiques sont présentes en raison d'une forte cohérence et importance que Sciarrino attribue à certains éléments. Le faux rapport de couple, l'histoire d'amour qui ne marche pas est déterminante dans la quasi-totalité de ses œuvres. L'histoire du rapport qui ne se développe pas est essentielle en Lohengrin, Perseo e Andromeda et Luci mie traditrici. Le langage de Da gelo a gelo est évidemment très en ligne avec les derniers opéras (à voir Luci mie traditrici et Macbeth) mais la dramaturgie est totalement différente. Chacun de ces travaux obéit à un principe très particulier. Lohengrin et Macbeth se caractérisent par des forts contrastes ; Da gelo a gelo par une grande continuité esthétique, une sensibilité très concentrée et radicale qui ne concède que très peu de place aux contrastes. Le seul élément de contraste est la musique de la nourrice à laquelle est confiée l'ouverture et le final de l'opéra (à l'exception de certains intermèdes décisifs). Sinon il y a une très forte univocité d'approche.

RM : Du point de vu musical, à part des fantasmes musicaux (une marche de Schubert et la Marche turque de Mozart), le motif des grillons, le tremolo serré aux cordes et le recours aux harmoniques sont bien une citation de Lohengrin ?

TC : Tout ça fait partie du langage de Sciarrino, de son idée d'écoute écologique. Appliqué à la dramaturgie cela signifie que la partie orchestrale n'est pas un simple commentaire mais représente la scène dans laquelle les personnages agissent. La plupart des sons de l'orchestre sont bruits et sons qui entourent les personnages, qui les habitent et qu'ils écoutent. Qu'il s'agisse du chant des grillons ou de celui des cigales, ils font partie de leur domaine psychologique. Ils représentent l'état d'âme et leurs réactions psychologiques. Le chant des grillons et des cigales est un trait très relevant de la littérature japonaise auquel Sciarrino ne pouvait pas rester insensible. Son utilisation est le résultat d'une étude dramaturgique très subtile puisqu'il change selon les saisons et selon un parcours chronologique, psychologique et écologique qui est à la base de la structure temporelle de l'opéra.

RM : Je crois que l'Opéra Garnier n'a pas été l'espace idéal pour cet opéra très raffiné du point de vue sonore ?

TC : Je n'en suis pas sûr. Da gelo a gelo demande une grande concentration de la part du public. Ce qui est un vrai défi. Ce n'est pas la salle qui fait la différence mais le public qui est d'habitude moins attentif aux particuliers à la première représentation. Cela dit, effectivement la première a été plus dérangée que les autres représentations.

RM : Probablement le public n'a pas totalement saisi l'invention dramaturgique et musicale de Sciarrino, n'est-ce pas ?

TC : L'acoustique de Garnier [ndlr : scène où a été créé Da gelo a gelo] a été étudiée et mise au point pour l'opéra traditionnel et de ce point de vue, il est vrai que certaines parties de la partition ont été pénalisées. L'impression que j'ai eue à travers l'oreille de a été celle d'une sorte de filtre alors que mon impression personnelle a été différente à cause de ma position. Des parties de trame orchestrale que je pensais être très bien passées se sont perdues un peu dans la salle. La scène par contre a été très bien valorisée. Cela a beaucoup aidé dans la compréhension de l'opéra de Sciarrino qui est riche en finesses vocales.

RM : Quel a été votre approche à cet opéra ?

TC : Une approche de découverte devant une partition volumineuse et particulièrement riche que j'ai vu naître dès la première rédaction du livret jusqu'à ses nombreux remaniements, coupures et révisions réalisées avec une attention aux équilibres dramaturgiques et formels qui n'appartient qu'à . J'ai eu accès à l'opéra au fur et à mesure qu'il se développait. La lecture des neuf premières scènes met en lumière par exemple, le traitement des formes fermées tel que l'aria. L'opéra est réalisé avec une radicalité et conscience tout à fait nouvelle. Il se compose d'arie et recitativi. Les poésies sont traitées au même degré que les chansons, ces dernières s'appuyant sur un langage déjà expérimenté en Quaderni di strada. La compénétration de ces deux éléments formels donne au langage un aspect tout à fait nouveau qui récupère en même temps un trait emblématique de l'opéra traditionnel. À l'aide d'un jeu savant et surprenant, l'échange entre orchestre et scène ouvre sur une lecture renouvelée de l'aria traditionnelle, selon des critères de dramaturgie sonore très « sciarrinienne ». Ainsi dans la première partie de l'opéra, l'orchestre présente une mélodie qui est ensuite reprise par la voix à la manière du mélodrame italien.

RM : À part Sciarrino, vous avez dirigé et enregistré d'autres compositions de musique contemporaine comme par exemple les musiques de Grisey. Comment envisagez-vous la diffusion de la musique contemporaine ?

TC : Le CD de Grisey réalisé avec l'ensemble Risognanze et qui contient entre autre Vortex Temporum et Périodes (CD Stradivarius 33734). Quant à la diffusion de la musique contemporaine, je ne me pose pas le problème. La perspective dans laquelle un interprète travaille est toujours en relation avec le présent. Cela signifie que je m'interroge sur le sens de la musique d'hier et d'aujourd'hui avec une conscience actuelle. Le futur est pour moi un stimulant, une curiosité. Au fur et à mesure que je connais la musique du passé et celle contemporaine, je vois agrandir mes attentes pour la musique à venir. Je ne me demande pas ce que Sciarrino ou d'autres compositeurs écriront d'ici 10 ans. Probablement on vise au futur quand on s'approche de compositeurs très jeunes et dont le talent est encore en pleine formation. Mais on peut se rendre compte de l'évolution et de la croissance seulement à posteriori. La musique est vraiment nouvelle seulement si on ne peut pas la supposer à l'avance.

RM : Quels sont vos projets futurs ?

TC : Je travaille à deux nouvelles productions pour le Théâtre National de Mannheim. Il s'agit de Maria Stuarda et la première mondiale de Superflumina commissionnée à Salvatore Sciarrino. Je dirigerai en suite le nouvel opéra d'Ambrosini Il killer di parole sur des textes de Daniel Pennac au Théâtre La Fenice à Venise.

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