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Le violoncelle antirouille de Mario Brunello

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Violoncelliste vénitien de renommée internationale, premier et seul Italien à avoir remporté un premier prix au Concours Tchaïkovski à 26 ans, en 1986, pratique une autre façon d'être musicien et rêve d'une musique classique débarrassée de la rouille des conventions et des clichés.

Marion Brunello« Il y a eu une sorte de miracle. Il y a eu le tremblement de terre de Kobe… »

Un jour de fin d'été, grand soleil sur les hautes collines couvertes de forêt de chênes verts qui entourent le village de Morra, dans un coin perdu de l'Ombrie, au centre de l'Italie. Morra est un hameau. Au-dessus, posé dans la pente, l'Oratoire San Crescentino. À 18h, y jouera la première et la dernière des suites de Bach.

Il était encore tôt, le parvis de l'église était vide, mais une aura de musique entourait l'édifice qui semblait une barque portée par les flots. L'artiste jouait pour lui même avant le concert. Attirée par l'océan des vibrations, je me suis glissée à l'intérieur de la petite église décorée de fresques de Signorelli.

Face à la nef vide, jouait une suite de Bach. Je me suis cachée sur le prie-Dieu d'un confessionnal à l'entrée. Les sonorités qui venaient à moi étaient profondes, multiples, enveloppantes, mystérieuses comme une forêt au crépuscule, sereines comme le silence des montagnes. Elles ouvraient un espace protecteur. Dans les notes basses, l'instrument sonnait comme un orgue, dans les notes hautes, comme une voix humaine. Parfois, le frôlement de deux notes faisait se serrer le cœur, avec des subtilités imperceptibles qui vont pourtant au fond de l'âme. J'ai attendu qu'il ait fini. Je me suis approchée. Nous avons parlé. Je lui ai demandé de m'en dire plus sur son extraordinaire instrument. Il a souri.

Son violoncelle est un instrument majestueux et aristocratique, dont le manche est orné d'une tête, comme une sorte de figure de proue. « Elle me tient compagnie », dit-il.

Mario Brunello : « C'est peut-être le plus ancien des violoncelles que l'on puisse entendre actuellement. Un examen dendro-chronologique a montré que le bois a été coupé pas plus tard que 1560 ! Il est l'œuvre de Giovanni Paolo Maggini, l'un des premiers luthiers de l'école de Brescia, un centre de lutherie actif avant celui de Crémone. Il semble être vivant, il respire, il est fait de très nombreux morceaux qui remuent suivant la température, l'humidité. En plus c'est un instrument qui a subi des transformations, il était probablement plus grand et lorsqu'on a normalisé les instruments, on l'a rétréci. Il a des blessures, il a souffert.

«  Quand je vais dans le Parco Paneveggio, dans le Val di Fiemme où Stradivarius venait choisir ses bois, je le sens qui s'oxygène et qui respire à fond. Comme moi ! »

Mario Brunello dit n'être vraiment bien qu'en montagne et chaque année, il participe au festival itinérant des  “Suoni delle Dolomiti”, sur les hauteurs des Dolomites: « Le silence est différent là-haut, et les sons vont directement dans les cœurs. » Ses deux maîtres mots sont silence, et espace. Il a joué au sommet du Mont Fuji et retourne régulièrement au Japon. Il a joué dans les déserts du Sahara. Il joue sur des places en ville, dans son jardin près de Venise…

Mais il a joué aussi en écoutant le chant des moteurs chez Ferrari, où pour le remercier on a laqué l'étui de son Maggini du rouge mythique des Testarossa, avec l'emblème du cheval.

Soucieux de sortir la musique classique et le concert traditionnel de leurs carcans, il invente Antiruggine (« Antirouille ») près de chez lui dans le Veneto, pour « dissoudre la pétrification du concert » et choisit pour cela un ancien atelier industriel de fer forgé. « L'endroit était noir, opaque. Hostile. Je me suis assis. J'ai joué deux ou trois notes et j'ai senti une incroyable acoustique. Le nom est venu tout seul. De même que l'antirouille nettoie les impuretés du fer, la musique peut purifier le mental. »

ResMusica : Mais ce son incroyable ?

MB : « C'est comme les Cremini, me dit-il, ces petits chocolats qui ont trois couches. Chaque note a trois strates, obscur, moyen, lumineux. On peut choisir sa couleur. Je ne vais pas entrer dans des détails techniques parce qu'il suffit d'y penser, et l'instrument comprend… ! Plus on se connaît, mieux on communique, » et il me sourit encore de ce même sourire intérieur, presque mystique.

RM : Quand vous jouez, vous semblez ne faire qu'un avec le violoncelle !

MB : « J'avais dix-sept ans lorsque je l'ai rencontré. Il était dans les mains du très grand Franco Rossi, membre du . J'ai été absolument fasciné par le son. Je suis tombé amoureux. Ensuite, un peu par hasard ou parce que c'était mon destin, j'ai étudié la musique de chambre avec Franco Rossi. Nous sommes devenus très amis. Il était un grand père pour mes enfants. Mais je ne lui avais jamais dit que j'aurais voulu son violoncelle, c'aurait été comme de lui demander son âme ! Lorsqu'il l'a vendu, je n'étais pas en Italie, et le temps que je lui dise que je le voulais, il l'avait déjà vendu à un Japonais ! »

RM : Et alors ? Comment avez-vous fait ?

MB : «  Il y a eu une sorte de miracle. Il y a eu le tremblement de terre de Kobe… L'acheteur a été obligé de renoncer. » Il se tait. Il me regarde, avec toujours son drôle de sourire.

Crédits photographiques : © Giulio Favotto

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