Éditos

Le grand retour du serpent de mer

 
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Les temps de la rigueur non assumée font ressortir les vieux dossiers du placard. Ainsi, le serpent de mer de la fusion des deux orchestres de Radio France refait surface. C’est un article de Marie-Aude Roux, publié dans Le Monde, qui a remis aux  premières loges médiatiques ce plan fumeux. On notera au passage qu’il est assez amusant de voir le Quotidien du soir, que l’on ne savait plus si soucieux de la musique classique, s’intéresser aux orchestres de Radio France.

Sur le fond du problème, il n’y a rien de nouveau, tant cette idée a déjà été battue et rebattue maintes et maintes fois sur l’air de « quand le Titanic a sombré, au moins il n’y avait qu’un orchestre ». Par contre, la disette des finances publiques et le triste exemple donné par le projet de réunion des orchestres radiophoniques allemands de Stuttgart et Baden-Baden/Freiburg (sans parler des phalanges regroupées aux Pays-Bas ces dernières années) redonnent du grain à moudre aux tenants de la fusion-suppression.  Quant à Paris, elle reste la seule ville au monde à posséder encore deux orchestres radiophoniques, les gorges chaudes de l’exception française y voient naturellement une source d’économies.

Pourtant, qui peut prétendre qu’un orchestre serait de trop ? Paris et son agglomération représentent un réservoir de public potentiel de près de 10 millions de personnes soit bien plus que certains pays  de l’Union européenne…L’inauguration des nouveaux auditoriums de Radio-France, fin 2014, sera enfin l’occasion d’offrir aux deux phalanges une vraie salle de concert, dans une partie de Paris et de l’Ile de France où  trouver du public cible ne devrait pas être trop difficile. C’est même une immense chance, en particulier pour le National de France, qui quittera enfin l’acoustique sèche et rédhibitoire (en dépit des récents travaux) du Théâtre des Champs-Elysées. A cela s’ajoute une profusion de lieux de concerts à venir : Philharmonie de Paris en 2015, Cité Musicale de Boulogne-Billancourt en 2016, Auditorium de l’Hermitage Plaza (à La Défense) en 2018. Supprimer un orchestre quand on ouvre des salles, drôle de conception de l’économie du spectacle.

Certains arguent que les deux orchestres chassent sur les mêmes terres du répertoire : si l’Orchestre National de France était envisagé comme une phalange de prestige, le Philharmonique aurait dû être centré sur les répertoires rares et contemporains. Dans l’absolu,  on ne fait pas le niveau d’un orchestre sans fréquenter les chevaux de batailles. Par contre, il est indéniable que les errements du management  de la direction capitularde et frileuse de la musique de Radio France  et de l’absence de coordination entre les salles parisiennes alliés à l’égo des directeurs généraux de salle (le syndrome du Diaghilev du pauvre) ont nui à la qualité globale de la programmation.  L’offre de concerts à Paris est pléthorique et sans égal au monde. Mais est-il nécessaire d’assister au défilé incessant des grandes formations orchestrales de la planète (certaines même en résidence) dans des programmes le plus souvent bateau et téléphonés ? Cette année, l’Orchestre national de France propose une intégrale des Symphonies de Tchaïkovski sous la baguette de son directeur musical Danielle Gatti. Par contre, est-ce que l’on a foncièrement besoin, dans la même salle, de convoquer annuellement le Philharmonia de Londres ou le Philharmonique de Saint-Pétersbourg, pour encore et toujours jouer les grandes symphonies du compositeur russe ? Si ce n’est pour torpiller ses propres orchestres (payés eux par le contribuable) ? Un orchestre permanent  ce n’est pas seulement des noms sur des affiches et des brochures épaisses, mais c’est des projets pédagogiques, des actions sociales, des commandes aux compositeurs et aux artistes nationaux…souvent formés par des Conservatoires nationaux, eux-aussi payés par les citoyens. Les ayatollahs de l’efficacité feraient bien de tourner plusieurs fois leur langue dans leur bouche avant de parler.

Qui plus est, dans un contexte général de fusion entre des régions. L’exemple de la disparition de l’un des deux orchestres serait un précédent à appliquer à travers la France, au nom de la « simplification administrative » et de la pseudo-bonne gestion des fonds publics. La déculturation des élites et le populisme ambiant feraient des phalanges régionales une cible facile (à l’inverse des stades de football ruineux en vue de l’Euro 2016) de petits marquis locaux.  C’est la culture qui est, en premier lieu, immolée sur l’autel de prétendues économies…pas les stades de foot.

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