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Florian Noack dans un somptueux récital Prokofiev

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Serguei Prokofiev (1891-1953) : Contes de la veille grand-mère op. 31 ; quatre Études op. 2 ; Visions fugitives op. 22 ; Sonate pour piano n° 6 en la majeur op. 82. Florian Noack, pianno Steinway. 1 CD La Dolce Volta. Enregistré en avril 2019 en l’Immanuelkirche de Wuppertal. Textes de présentation (conversation entre l’artiste et Camille De Rijck) en français, anglais, japonais et allemand. Durée : 71:13

 
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propose pour ce nouveau disque un récital Prokofiev étonnant auto-portrait d'un interprète à la croisée des chemins par le truchement de cette sélection habile d'oeuvres-jalons au sein de l'impressionnant catalogue du compositeur-pianiste. Il y oppose trois cycles de jeunesse, aphoristiques, nostalgiques ou symbolistes, à la sixième et monumentale sonate, datant des années du retour en Russie soviétique. Un parcours musical et interprétatif exaltant.
 
Noack_Prokofiev_La Dolce VoltaNe nous y trompons pas, à l'opposé du piano poussiéreux et dévasté reproduit en couverture, renouvelle ici sensiblement son approche du clavier, plus directe et tranchante, « au fond des touches », entre douceur sans afféterie et affirmation sans dureté, même s'il reste fidèle à lui-même par la maîtrise technique altière et par les raffinements d'une réalisation très léchée.

Rappelons que le jeune pianiste belge s'est notamment fait remarquer à ses débuts par deux remarquables volumes entièrement dédiés à Sergueï Liapounov (Ars), idéaux par leur gourmandise sonore et leur réalisation impeccable et imaginative. L'« album d'un voyageur », premier disque pour son « nouveau » label, la Dolce Volta, dressait une sorte de premier bilan esthétique, partagé entre raretés éditoriales et transcriptions propres d'une indicible et poétique perfection. Avec le présent enregistrement, le jeune pianiste rebat les cartes, casse quelque peu son image (jusqu'à dans son look presque électrique, délicieusement capté au fil du livret par le photographe William Beaucardet), repense et recentre son répertoire par un retour à ses premières amours pianistiques. Il nous offre un jeu nettement plus physique et direct, une large variété de dynamiques de couleurs, et un plus vaste éventail de nuances expressives idéalement restitué par la prise de son de Martin Rust depuis d'impalpables – quoique toujours nourris – pianissimi (lentamentete ou pittoresco des Visions fugitives, avec une pédale particulièrement évasive) jusqu'aux fortissimi les plus péremptoires mais jamais rupteurs (temps extrêmes de la Sixième sonate opus 82).

Dans les deux premiers tiers du disque, plus passeur que penseur, plus poète qu'arpenteur, l'artiste aujourd'hui presque trentenaire, par sa ductile intelligence du texte et son sens de la narration, cerne au mieux la nostalgie sibylline des Contes de la vieille grand-mère opus 31, l'urgence tragique des Quatre études opus 2, les oppositions des climats expressifs et des inspirations symbolistes des Vingt brèves visions fugitives, opus 22 inspirées par Balmont, données ici intégralement tel un tout supérieur à la somme des parties, loin de l'individuation ultime des sélections pratiquées par un (Decca) ou un (dans les récitals au Concertgebouw réédités somptueusement par Fondamenta) pourtant au sommet de leur art.

Mais c'est dans le dernier versant de ce long parcours avec une version altière, plus aride dans son absence de concession, et puissamment architecturée de la sixième sonate que frappe le plus les esprits : il y ose, dès l'allegro moderato initial, par-delà une grande rectitude face à la partition, par un jeu polyphonique des plus maîtrisés ou par une confondante science des plans sonores, une approche tour à tour térébrante et épique, entre angoisse fébrile (ces premières mesures qui vous prennent à la gorge) et équivoque consolation (second groupe thématique). L'allegretto y apparaît vraiment scherzo sardonique et grinçant, tandis que le tempo di valzer lentissimo devient secrètement amer dans ses clairs-obscurs oppressants. L'ultime vivace final donne ici un sentiment d'irrésolu désolé, au-delà de ses effets de mémoire ou de sa conclusion péremptoire. Certes il est difficile d'oublier la gravure tellurique de Vladimir Ovchinnikov (Warner) ou la vision de démiurge de l'alors tout jeune (DG), ou de ne pas opposer à cette approche exigeante et racée des interprétations plus directement sensibles et séduisantes telle celle de chez Paraty. Mais incontestablement, Florian Noack, dans un très grand jour, pose de nouveaux jalons interprétatifs et offre de nouveaux éclairages pour cette œuvre-clé du Prokofiev de la maturité.

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Serguei Prokofiev (1891-1953) : Contes de la veille grand-mère op. 31 ; quatre Études op. 2 ; Visions fugitives op. 22 ; Sonate pour piano n° 6 en la majeur op. 82. Florian Noack, pianno Steinway. 1 CD La Dolce Volta. Enregistré en avril 2019 en l’Immanuelkirche de Wuppertal. Textes de présentation (conversation entre l’artiste et Camille De Rijck) en français, anglais, japonais et allemand. Durée : 71:13

 
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