Dans un passionnant programme, composite en diable, Anna Prohaska et Julian Drake convient l'auditeur à une nouvelle exploration du répertoire chant-piano.
Anna Prohaska a l'art, pour ses récitals, de présenter des programmes thématiques ambitieux. Certains ont encore en mémoire la tournée « Behind the lines » dans laquelle la jeune soprano évoquait les horreurs de la guerre. Dans ce nouvel album, c'est un autre sujet qu'elle aborde en traitant du traumatisme de la Chute originelle. Savamment construit comme à l'accoutumée, le programme est divisé en six phases distinctes : Matin au paradis, Ève s'éveille, Arcadie / Idylle pastorale, Jouer avec le feu / Ève et le mal / La chute de l'homme, Bannissement / Exode / Souvenir et enfin Vie terrestre. Dans ces axes structurants se calent vingt-cinq pièces pour chant et piano, chantées en quatre langues et couvrant près de trois siècles et demi de musique occidentale. Plusieurs des compositeurs retenus sont encore en vie. Dans cette thématique de l'innocence perdue et forcément recherchée, on ne s'étonnera pas de trouver un certain nombre de morceaux issus du monde américain : Bernstein, Ives et Crumb. Si les grands noms du lied allemand sont dûment représentés – Brahms, Schubert, Schumann, Mahler, Wolf, Pfitzner, Eisler, Reiman. Le CD fait aussi la part belle à la mélodie française : les extraits retenus de Ravel, Fauré, Debussy, Messiaen, Daniel-Lesur, dont on notera qu'ils illustrent essentiellement la phase prélapsaire du programme, s'inscrivent à la perfection dans la trajectoire dessinée par la jeune artiste.
L'instrument d'Anna Prohaska est d'évidence celui d'un soprano léger. Trop léger, peut-être, pour certaines pièces pour lesquelles on a l'habitude d'entendre des voix plus dramatiques. « Auflösung », par exemple, fait partie des Schubert qu'affectionnaient autrefois Kirsten Flagstad, Jessye Norman, Leontyne Price ou Grace Bumbry. La comparaison n'est pas forcément à l'avantage de la jeune novice. Dans les vocalises de l'air du feu de L'Enfant et les sortilèges, donné ici dans sa transcription pour voix et piano, notre soprano est en revanche dans son univers vocal, et elle s'en donne à cœur joie. La diction n'est pas toujours exemplaire non plus, et l'on aura parfois du mal à discerner si Prohaska chante en allemand, anglais ou français. Pour notre langue, nous avions un peu perdu l'habitude de cette articulation précieuse et affectée qui était presque devenu la règle dans les années 1980 et 1990, quand les bons chanteurs français étaient si rares. Mais de façon générale, la voix est bien conduite, et les couleurs fraîches et légères du timbre conviennent tout particulièrement aux premières parties du programme, lorsque s'exprime encore l'innocence de la première femme de l'humanité.
L'accompagnement de Julius Drake est un bonheur pour l'esprit et pour l'oreille, et le pianiste y est pour beaucoup dans la cohérence dramatique et musicale d'un programme passionnant et original, qui renouvelle notre approche de la mélodie et redonne ses lettres de noblesse au rituel du récital chant-piano.
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