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Cap sur l’Amérique au Printemps des Arts de Monte-Carlo

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Monte-Carlo Festival Printemps des Arts
24-III-2023 : Samuel Barber (1910-1981) : Symphonie n°1, op.9 ; Betsy Jolas (née en 1926) : bTunes pour piano et orchestre ; Jean Sibelius (1865-1957) : En Saga, op.9, pour orchestre ; Symphonie n°7 en ut majeur, op.105. Nicolas Hodges, piano ; BBC Symphony Orchestra, direction : Eva Ollikainen
25-III-2023 : 15h : Johann Jacob Froberger (1616-1667) : Toccata, Capriccio, Canzona et Suites, pour clavecin ; Christophe Maudot (né en 1961) : Désordres passagers, pour clavecin ; Jory Vinikour, clavecin
25-III-2023 : 20h : Alexandre Scriabine (1871-1915) : Sonates n°3, 6, 7, 10, 4, pour piano ; Svetlana Ustinova et Jean-Yves Clément, récitants ; Peter Laul, piano
26-III-2023 : 15h : Riccardo Del Fra (né en 1956)) : My Chet My Song, dédié à Chet Baker, pour quintette de jazz et orchestre ; Mystery Galaxy, pour quintette de jazz et orchestre. Riccardo Del Fra Quintet ; Orchestre des Pays de Savoie, direction : Léo Margue

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    Emmené pour une deuxième année par son nouveau directeur , le affiche une thématique américaine dont le troisième week-end du festival, entre musique symphonique et jazz, fait miroiter les différentes facettes sonores.

    Un des meilleurs orchestres au monde, sans aucun doute, le sous la direction de la cheffe finlandaise a investi le plateau de l'Auditorium Rainier III ; au programme la première Symphonie op.9 de Samuel Barber. La pièce est en un seul mouvement où les différentes parties de la symphonie s'enchaînent dans un flux continu et particulièrement bien conduit. L'écriture y est concentrée, richement colorée, alliant puissance des cuivres, complexité rythmique et élan énergétique du discours. L'épisode lent, d'un lyrisme ardent, mais sans débordement, fait apprécier le timbre ambré du hautbois solo de l'orchestre avant la plénitude sonore du finale portée par l'incandescence des cuivres en valeurs longues. La direction d' est claire dans ses intentions, tenant le fil dramaturgique du discours musical sans aucun relâchement.

    Elle défend avec la même ardeur son compatriote dont on entend d'abord la deuxième œuvre symphonique, En saga p.9. Plus enclin à la répétition, sous des couleurs et des contextes différents, qu'au développement, Sibelius choisit un thème conducteur emprunt de mélancolie. Il est confié aux altos puis circule aux différents pupitres de l'orchestre, mettant en valeur les timbres somptueux (celui de la clarinette en particulier) d'un orchestre dont la fluidité du jeu et la synergie des pupitres nous comblent.

    La septième et dernière symphonie de Sibelius est créée à Stockholm en 1924 sous le titre de Fantaisie symphonique n°1. La forme y est un rien errante, en un seul mouvement comme chez Barber, traversée par les nervures mélodico-rythmiques d'un chant populaire. L'élan vers la lumière est toujours réamorcé sans jamais trouver la plénitude ; c'est ainsi que l'on ressent cette musique sous le geste expert de la cheffe finlandaise modelant avec finesse les lignes d'une polyphonie complexe autant que ductile.

    Retenue à Paris par le mouvement de grève, la compositrice franco-américaine n'est pas dans les rangs du public de l'Auditorium pour entendre bTunes pour piano et orchestre, une commande du que la phalange britannique vient de créer à Londres. bTunes est une mosaïque de tesselles sonores qui met le piano au centre des opérations : saute d'humeur, fulgurance du geste, exploration du clavier dans ses registres extrêmes sont autant de stratégies pour appâter les musiciens de l'orchestre. Poésie de l'éphémère, farandole de couleurs, déchaînements rythmiques… Le propos est délibérément humoristique et théâtral, qu'assument avec beaucoup d'entrain les membres du et le soliste , ami et complice de Jolas.

    Au croisement des pratiques

    Montrer que la musique écrite se nourrit de l'improvisation et faire se rencontrer les deux pratiques dans un même concert voire une même œuvre, c'est tout l'enjeu du concert réunissant le Quintet et l' sur la scène de l'Opéra Garnier et sous la direction du jeune et fringant , chef d'orchestre mais aussi pianiste, saxophoniste et improvisateur, qui navigue lui aussi dans ces eaux mêlées. My Chet My Songs est un hommage rendu au trompettiste et chanteur Chet Baker par le contrebassiste Riccardo Del Fra qui a joué avec cette sommité du jazz durant les neuf dernières années de la carrière du Chet. L'idée est d'associer les jazzmen du Riccardo Del Fra Quintet (Matthieu Michel, trompette et bugle, Pierrick Pédron, saxophone alto, Ariel Tessier, batterie, Carl-Henri Morisset, piano et Riccardo Del Fra, contrebasse) à l'orchestre symphonique, en respectant les capacités de chacun : improviser pour les membres du quintette, lire une partition pour l'orchestre. Au sein des neuf titres au programme alternent les standards préférés du Chet ainsi que des compositions originales de Riccardo Del Fra. Et si les cordes restent complémentaires, un peu sages, se contentant d'ourler le thème dans plusieurs numéros, Riccardo Del Fra ne manque pas de les mettre en valeur à travers des introductions plus aventureuses (Oklahoma Kid) ou des contrepoints plus savants (Remember you). Elles sont même au premier plan, finement texturées, dans sa propre pièce Wayne's Whistle où la contrebasse est seule pour chanter le thème en pizzicati. L'accélération du tempo et l'énergie cinétique dans Moving People sont les bienvenues : l'orchestre est conducteur et la section des vents plus active, laissant à tout de rôle « chorusser » les membres du quintette dont on savoure chaque solo, conçu dans l'économie et l'élégance du discours. La concentration du chef est patente, soucieux d'équilibre sonore et de synergie.

    Mistery Galaxy, donnée en seconde partie de concert, est une composition toute récente de Riccardo Del Fra, créée à l'Opéra de Toulon en février 2022. Deux percussionnistes de l' se joignent à l'ensemble déjà cité dans cette pièce qui louvoie entre temps lisse (cette longue introduction du tutti ménageant l'attente et le suspens) et le temps pulsé qui ramène la batterie et le groove du jazz en même temps que l'espace de l'improvisation. Force est de constater que l'on passe de l'un à l'autre avec beaucoup de fluidité, le compositeur jouant aussi avec les ruptures (solo de piano dans un temps suspendu) et les contrastes de dynamiques (haut et bas régimes), assurant à chacun des jazzmen de superbes solos quand la partition exige des musiciens de l'orchestre de beaux déploiements sonores. Avec un ultime solo débuté a cappella, Del Fra rallie les univers, entre subtilités rythmiques du thème de jazz et exploration spatio-temporelle de la musique contemporaine.

    D'un clavier, l'autre

    Passée la génération des Ohana, Ligeti ou encore Xenakis, peu nombreux sont les compositeurs d'aujourd'hui à s'intéresser au clavecin, excepté Alain Louvier (Le clavecin non tempéré) qui en explore toutes les possibilités de scordature. C'est pourtant sur le clavecin et l'espace réduit de son clavier dont il n'extrapole nullement les limites que a conçu les douze mouvements de Désordres passagers, sorte de medley autobiographique (entendu en création mondiale par le claveciniste américain Jory Vinikour) dont les titres des douze tableaux sonores donnent (ou pas) un contexte et une clé d'écoute à l'auditeur.

    Jory Vinikour débute son récital par un florilège de pièces de Johann Jacob Froberger (1616-1667), un compositeur allemand qui va s'installer à Rome durant cinq ans pour étudier avec Girolamo Frescobaldi. Suites, Toccata, Canzone, Capriccio à l'affiche sont autant de genres hérités du maître dont Froberger perpétue également les audaces harmoniques souvent provoquées par l'usage du chromatisme. Elles s'entendent dans le Capriccio VI, véritable labyrinthe chromatique un rien banalisé par le claveciniste qui n'en fait pas goûter toute la verdeur. On s'interroge également sur les raisons qui l'amène à bouleverser l'ordre des danses dans les deux suites qu'il a choisies. On préfère sous ses doigts le lamento sopra la dolorosa perdita della Real Maesta di Ferdinando IV Ré de Romani ( Suite XII en do majeur), œuvre de circonstance comme on peut le lire, où la ligne mélodique expressive chemine au gré des changements harmoniques inattendus.

    Des grappes d'accords colorés généreusement déployées en ouverture (« à la française ») au brouillage harmonique évoquant les Campaniles de Mantoue, l'écriture en accords et la manière de les faire sonner sur le clavecin focalisent l'écoute dans les premières pages de désordres passagers de . Les techniques de studio qu'il a longuement pratiquées dans les années 80 sont transférées sur l'instrument à cordes pincées, le clavecin devenant générateur de sons dans Oscillations. Ludique et espiègle, Tétracordes (suite de quatre notes) parcourt le registre de l'instrument dans un mouvement synchrone des deux mains. Elles se désynchronisent et la polyrythmie se déchaîne dans En mesure s'il vous plait qui lorgne vers les « désordres » d'un Ligeti ; il en est de même pour En passant par la côte Ouest dont l'énergie cinétique poussée à l'excès crée des illusions acoustiques. Comme Froberger (et bien d'autres collègues compositeurs), écrit des tombeaux, musique adressée aux personnes/amis disparus : l'écriture est sonore et musclée pour rendre hommage au chanteur Robert Palmer ; un motif obsessionnel tourne dans les aigus du clavecin (le jeu de luth agit comme un filtre sur la sonorité de la corde pincée) dans l'hommage à , fondateur de la Muse en Circuit. Pour honorer la mémoire de l'inventeur des sons paradoxaux Jean-Claude Risset, Maudot instaure un long processus de chute, inéluctable, d'un même motif jusqu'aux limites inférieures du clavier. C'est sur cette élégante figure de rhétorique que Jory Vinikour choisit d'achever cette « suite pour les goûts réunis » tout en finesse et rebondissements.

    Vers la flamme

    Blessée à l'épaule, la pianiste Varduhi Yeritsyan, qui a gravé les dix Sonates d' sous le label Paraty, est remplacée par le Russe Peter Laul, premier prix du Concours international Scriabine à Moscou en 2000 dans l'intégrale des Sonates pour piano du compositeur russe.

    Le public de l'Opéra Garnier est invité à se laisser bercer par le verbe sonore d'Anna Akhmatova, poétesse russe dont les textes sont dits par Svetlana Ustinova puis, dans leur traduction française, par , avant chaque sonate. Donnée en deux soirées, cette intégrale s'achève par les numéros 3, 6, 7, 10 et 4 jouées dans cet ordre par Peter Laul. On est d'emblée saisi par l'énergie qui sourd du jeu de l'interprète dans la Sonate n°3 (1897-98) sous-titrée États d'âme : musique de l'urgence et écriture touffue où l'on sent le compositeur se démarquer de ses modèles romantiques pour accéder à d'autres rivages de l'expression. L'œuvre est dominée techniquement autant que musicalement par un interprète qui joue par cœur une musique qu'il habite totalement. Le langage harmonique est nouveau, modelant le timbre scriabinien dans la Sonate n°6 (1911-12) en un seul mouvement. Le jeu du pianiste s'est délié mais reste frénétique, avec des accélérations spectaculaires. La Sonate n°7, dite « Messe blanche », approche le mysticisme recherché par Scriabine. Elle s'ouvre sur des clartés nouvelles dans un processus d'ascension où le trille envahit progressivement l'écriture. La virtuosité est folle, que le pianiste semble totalement ignorer! La Sonate n°10, achevé en 1913 (deux ans avant sa mort) est en un seul mouvement toujours. Elle n'est que vibration, « une musique d'insectes » comme le disait Scriabine, à l'écriture décantée, assagie, quasi extatique dans l'admirable interprétation du pianiste. Il a voulu terminer par la quatrième (1903), en deux mouvements quasi enchaînés. Cette musique elfique est jouée avec une aisance et une souplesse prodigieuses, qui termine le récital dans un poudroiement lumineux et, comme les Études de Chopin dont elle conserve encore la trace, par une éloquente cadence parfaite.

    Crédit photographique : © Printemps des Arts de Monaco

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    24-III-2023 : Samuel Barber (1910-1981) : Symphonie n°1, op.9 ; Betsy Jolas (née en 1926) : bTunes pour piano et orchestre ; Jean Sibelius (1865-1957) : En Saga, op.9, pour orchestre ; Symphonie n°7 en ut majeur, op.105. Nicolas Hodges, piano ; BBC Symphony Orchestra, direction : Eva Ollikainen
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    25-III-2023 : 20h : Alexandre Scriabine (1871-1915) : Sonates n°3, 6, 7, 10, 4, pour piano ; Svetlana Ustinova et Jean-Yves Clément, récitants ; Peter Laul, piano
    26-III-2023 : 15h : Riccardo Del Fra (né en 1956)) : My Chet My Song, dédié à Chet Baker, pour quintette de jazz et orchestre ; Mystery Galaxy, pour quintette de jazz et orchestre. Riccardo Del Fra Quintet ; Orchestre des Pays de Savoie, direction : Léo Margue

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