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Soirée russe contrastée pour Beatrice Rana et Klaus Mäkelä à la Philharmonie de Paris

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Paris. Philharmonie, Grande Salle Pierre Boulez. 10-V-2023. Sergueï Rachmaninoff (1873-1943) : Rhapsodie sur un thème de Paganini op. 43 ; Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n° 7 en ut majeur op. 60, dite « Leningrad ». Beatrice Rana, piano. Orchestre de Paris, direction : Klaus Mäkelä

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Saisissante mise en miroir que celle opposant le lyrisme presque insouciant de la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Serge Rachmaninoff, à la violence et à l'ambigüité de la Symphonie n° 7, dite « Leningrad » de , poignant témoignage de la lutte contre tous les totalitarismes.

Soirée contrastée assurément, tant au niveau du programme qu'à celui de l'interprétation, car si la pianiste peine à convaincre totalement dans la Rhapsodie de Rachmaninoff, en revanche et l', chauffé à blanc, nous offrent une formidable (au sens étymologique du terme) et enthousiasmante interprétation, quasi expressionniste, de la Symphonie n° 7 de Chostakovitch qui n'a rien à envier aux lectures russes les plus âpres et les plus tendues (Gergiev et Kondrachine par exemple…).

La première partie est dévolue à Rachmaninoff. Dernière œuvre concertante (1934) du compositeur, véritable cinquième concerto pour piano, la Rhapsodie sur un thème de Paganini est un cycle de 24 variations composées sur le thème du 24e Caprice pour violon. Associant lyrisme et virtuosité, parcouru par le thème récurrent du Dies Irae, on peut lui reconnaitre une structure en trois mouvements : Allegro, de l'Introduction à la Variation XI ; Andante, de la Variation XII à XVIII ; Finale, de la XIX à la XXIV ème. nous en offre, hélas, une interprétation assez inégale, en demi-teinte, avec toutefois de beaux moments. Si l'Allegro parait un rien poussif et pesant du fait d'un équilibre précaire avec l'orchestre trop présent et d'un jeu qui semble manquer de brio jusqu'à la Variation VII , la pianiste parait, en revanche, plus à l'aise dans la Variation VIII succédant à l'énoncé du Dies Irae lorsque le piano se fait plus orchestral ; l'Andante semble, quant à lui, mieux négocié avec de belles couleurs (fanfares cuivrées, complainte du hautbois) exalté par une virtuosité sans faille doublée d'un lyrisme bien contenu qui trouvera son aboutissement et sa libération extatique dans la célèbre et très émouvante Variation XVIII ; le Finale plus équilibré voit orchestre et soliste se mesurer dans une cavalcade épique et symbiotique d'une belle ampleur et d'une époustouflante virtuosité.

Chostakovitch pour la seconde partie avec la Symphonie n° 7, composée en 1942, symphonie de guerre censée réconforter la population de Leningrad assiégée par les troupes nazies et l'encourager à l'effort de guerre. Chostakovitch explicitera plus tard son contenu : renvoyant dos à dos, sous le masque trompeur d'un hymne victorieux, la barbarie nazie et les grandes purges staliniennes conduites en 1937 par les serviteurs zélés de Staline, d'où ce constant sentiment d'ambigüité qui constitue le fil rouge de cette symphonie, hésitant constamment entre violence guerrière et désolation.

L'Allegro est abordé avec vigueur et autorité dés l'entame. Lui succède un long épisode habité d'un lyrisme inquiet, presque hésitant, avec force nuances rythmiques et dynamiques où se distinguent le violon solo de l'excellent Andrea Obiso, le hautbois d'Alexandre Gattet et le piccolo d'Anaïs Benoit. Née du silence et parfaitement amenée la rigoureuse caisse claire signe le début de « l'invasion » sur un haletant crescendo porté par un ostinato lancinant et hypnotique initié par la petite harmonie, puis amplifié par le tutti dans une progression (cordes, cuivres et percussions) de plus en plus déstructurée qui laissera place progressivement à un long épisode de désolation, vaste étendue musicale désertique d'où émerge le chant élégiaque d'une humanité agonisante (flute, clarinette et basson). Mäkelä y maintient une tension prégnante et oppressante jusqu'au retour du thème clamé par la trompette avec un bel effet d'éloignement.

Introduit par le quatuor, haut en couleurs, sautillant et presque galant, le deuxième mouvement Moderato mêle avec adresse et virtuosité, sous la direction affutée de Mäkelä, les épisodes empreints d'un lyrisme un peu nostalgique (hautbois) et les sections plus enlevées aux allures populaires et circassiennes (cuivres). Un superbe duo entre clarinette basse et harpe sur un tempo très ralenti et envoutant conclut le mouvement sans que Mäkelä, contrairement à d'autres, n'en souligne plus particulièrement la fibre lugubre.

L'Adagio pourrait à lui seul résumer la symphonie par son mélange de lyrisme tendu, de désolation et de marche guerrière (Moderato risoluto) dont organise parfaitement l'alternance par sa direction claire et précise dans un vaste lamento où se distinguent tout particulièrement des cordes exemplaires avec de magnifiques contrebasses, un pupitre d'altos à vous tirer les larmes, un superbe duo hautbois-cor anglais et de menaçantes percussions qui en soulignent toute l'ambiguïté.

Essentiellement dynamique, le Finale renoue avec l'Allegro initial dans une progression inexorable, pesante et affligée (cordes graves), véritable maelström orchestral cataclysmique engageant tout l'orchestre, superbement construit, riche en nuances, porté par une tension intense presque douloureuse qui achève en beauté cette exceptionnelle interprétation.

Crédit photographique : © Mathias Benguigui/Pasco and Co

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