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Lettre d’amour à l’Angleterre ou le problème à sept corps de Hofesh Shechter

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Annemasse. Château Rouge. 3-V-2024. From England with love. Chorégraphie, musique et costumes : Hofesh Shechter. Lumières : Tom Visser. Musiques additionnelles : Edwar Elgar, Thomas Tallis, Henry Purcell, William H. Monk. Avec les danseurs de la Hofesh Shechter Company II : Holly Brennan (Royaume-Uni), Yun-chi Mai (Taïwan), Eloy Cojal Mestre (Espagne), Matthea Làra Pedersen (Islande), Piers Sanders (R-U), Rowen Van Sen (Pays-Bas) et Toon Theunissen (Belgique)

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Compagny II offre au Château Rouge d'Annemasse une partition dansée en hommage à l'Angleterre, From England with love, du chorégraphe et percussionniste , qui en  compose aussi la musique et les costumes. 

Cette ode contrastée à son pays d'accueil depuis 2004 (il s'installa à Londres où il créa notamment son premier opus, Fragments) se donne comme une lettre d'amour-désamour envers le flegme britannique, la rigueur policée de ses uniformes gris-souris : pantalons ou jupes plissées sur grandes chaussettes blanches, dont sont affublés les danseurs, en chemise blanche sous des blazers bleu cyan, avec des cravates bariolées, striées, moches, qu'on retrouve au cours de la transe qui s'empare des corps, ceintes autour de la taille, en bandana dans les cheveux, autour d'un bras ou tout ailleurs, tandis que les chemises se débraillent et les déhanchés s'accélèrent. Il en va d'un lancer étudié de bras et de jambes torsadés qui se jettent et se projettent, se rejettent aussi, puis se plaquent au sol dont ils s'échappent en s'élançant.

Quand la musique électronique s'arrête pour laisser place au silence, le méditatif s'immisce dans les halos de lumière qui éclairent chaque danseur, plongé dans le noir ; des chants sacrés d' montent vers le ciel du chœur, les mouvements de transe reprennent en toute fluidité élastique, tandis que des corps s'affalent et sont traînés comme morts par des danseurs encore vaillants, dans la hâte. Cela évoquerait des soirées de jeunes débridées, du « binge drinking » ou autres pratiques outrancières d'adolescents en péril, ou encore de vieil Anglais « so chic » rêvant de tomber la chemise pour se lâcher un peu, sortir d'un flegme pince sans-rire, quelque peu hautain. Mais le chorégraphe ne propose pas de pistes précises quant au paradoxe anglais, il semble juste s'interroger sur la violence latente, comme l'atteste cet arrêt sur image, de profil, des interprètes, mimant, entre deux déhanchés, des tirs au fusil coté jardin.

Le passage progressif du sérieux de façade en uniforme bien repassé du lycéen, au sac à dos gris, au solo transgressif, comme pris au piège du seul danseur en jupe, crâne ceint de sa cravate déplacée, pourrait nous porter vers la sacrifiée du Sacre du Printemps de Stravinski, interprété par Pina Bausch. Il se démène comme pris au piège, entouré de ses acolytes médusés. C'est une lettre d'amour cathartique qu' écrit avec ses jeunes danseurs, à l'Angleterre, terre d'accueil, respectueuse de la différence. Cependant affleure aussi l'idée d'une incompréhension sous-jacente. Qui est-on lorsqu'on est accueilli ? Quelles plumes laisse-t-on à l'ami ? Quelle inimitié cela suscite-t-il d'être Anglo-israélien dans un monde errant, que la guerre déchire ?

En voyant cette pièce sombre qui crie pourtant la soif de ne pas désespérer, nous pensons à une phrase de Gros-Câlin de Romain Gary, qui nous fait sourire suggérant que lorsque nous sommes tristes, il suffit de penser que nous sommes anglais et que rien ne peut nous atteindre à cause de notre côté imperturbable.

Le public de Château Rouge ovationne cette performance endiablée qui donne envie de creuser des chemins de traverse et de danser envers et contre tout, en saluant l'humour anglais et la résilience britannique.

Crédits photographiques : © Tom Visser

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Annemasse. Château Rouge. 3-V-2024. From England with love. Chorégraphie, musique et costumes : Hofesh Shechter. Lumières : Tom Visser. Musiques additionnelles : Edwar Elgar, Thomas Tallis, Henry Purcell, William H. Monk. Avec les danseurs de la Hofesh Shechter Company II : Holly Brennan (Royaume-Uni), Yun-chi Mai (Taïwan), Eloy Cojal Mestre (Espagne), Matthea Làra Pedersen (Islande), Piers Sanders (R-U), Rowen Van Sen (Pays-Bas) et Toon Theunissen (Belgique)

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