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Étienne Dupuis, la passion du jeu

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À Paris pour chanter Sancho Pança dans le Don Quichotte de Massenet, nous fait part de son attirance pour le répertoire français et pour les ouvrages dans lesquels il lui est possible d'exprimer tout son jeu d'acteur.

ResMusica : Vous avez chanté dans de nombreux opéras de Massenet et prenez à présent le rôle de Sancho Pança. Pourquoi ce personnage vous a-t-il attiré ?

: Quand la discussion a commencé avec la nouvelle équipe de l'Opéra de Paris, nous avons d'abord parlé du Paolo de Simon Boccanegra, avec ma femme Nicole Car en Amelia, dans la reprise du spectacle de Calixto Bieito revu en ce début d'année 2024. Mais à peine quelques semaines plus tard, Alexandre Neef est revenu vers moi pour me demander si je ne voulais pas prendre aussi Sancho dans Don Quichotte de Massenet. J'ai donc réfléchi à cette partition, que j'avais vue quelques années plus tôt avec Furlanetto à l'Opéra de Sydney, en me rappelant qu'il faut être presque tout le temps sur scène et que le jeu d'acteur est très important pour faire vivre le rôle. J'ai donc accepté la proposition, mais en me demandant comment m'adapter aux deux chanteurs prévus dans le rôle-titre, Ildebrando D'Arcangelo et Ildar Abdrazakov, tous deux très reconnus pour leurs voix, mais moins portés sur l'action scénique.

Entre-temps, Ildar a annulé puisqu'il chante maintenant surtout en Russie, et Ildebrando a préféré se retirer dès le début des répétitions, de même que le chef d'orchestre Mikhail Tatarnikov et la Dulcinée initialement prévue, Marianne Crebassa. De la première distribution ne sont donc presque plus restés que moi et le metteur en scène, Damiano Michieletto. Gaëlle Arquez est arrivée à la dernière minute, ainsi que juste avant elle Christian van Horn pour le rôle-titre. Nous nous connaissions un peu tous les deux, mais n'avions jamais travaillé ensemble, or dès les premières répétitions, nous sommes presque tombés amoureux par l'intermédiaire de nos personnages, comme deux frères qui se retrouveraient après des dizaines d'années !

RM : Effectivement, on ressent une très grande complicité scénique entre vous et Christian van Horn, tout particulièrement dans la scène finale de l'opéra, qui fait penser à une relation amoureuse. Cette idée, d'ailleurs retrouvée en filigrane dans le roman de Cervantes, a-t-elle été développée surtout par vous ou d'abord par Damiano Michieletto ?

ED : Cela vient des deux et cette remarque m'a également été faite par ma femme dès la générale piano. Lors de la première journée de répétition, Damiano nous avait dit qu'il y a quelque chose d'important qui vient de Sancho vers Don Quichote, par le fait qu'il dévoue sa vie à un fou, qui le fait presque crever de faim pour des aventures sans consistances et qui ne mènent à rien. Donc forcément, cet attachement a dû se transformer en de l'amour, non pas au sens érotique, mais au sens fraternel et en tout cas, cela crée un rapport très fort entre les deux personnages, que nous avons cherché à montrer dans cette production.

Ce que j'aime d'ailleurs dans la proposition de Michieletto, c'est qu'au 4ème acte, on revient dans le passé plutôt que de continuer l'action au temps présent. Cela permet d'expliquer en partie pourquoi moi, Sancho, je suis resté, et justifie une partie de ma culpabilité d'avoir poussé Don Quichotte à faire sa demande à Dulcinée, alors que cette relation était impossible et ne pouvait qu'être rejetée. Avec les années, Sancho se rend compte que sa raison d'être et de vivre est de rester auprès de Don Quichotte. Donc finalement, l'idée de montrer une relation très forte en scène est apparue naturellement au fur et à mesure des répétitions.

D'ailleurs, les duos étant souvent les scènes les moins répétées des opéras, chaque représentation change en fonction de nos improvisations et comme Christian van Horn l'expliquait récemment sur son podcast, les spectateurs de la Première ont sans doute vu un spectacle à 20% différent de ceux du deuxième soir. Mon jeu sera encore sans doute très modulé lors des soirs avec Gábor Bretz, car le rapport d'âge ne sera plus du tout le même qu'avec Christian et cela va changer la relation scénique.

RM : Vous chantez souvent Massenet, dont l'Hérode d'Hérodiade, qui aurait d'ailleurs pu faire à Paris une belle mise en regard avec la Salomé de Richard Strauss reprise en alternance en même temps que Don Quichotte, puisqu'elle traitait de la même histoire. Est-ce une volonté de votre part, ou est-ce avant tout lié aux propositions des directeurs de casting ?

ED : Même si c'est avant tout lié aux propositions des salles, les ouvrages de Massenet sont souvent un choix prioritaire de ma part et je n'ai jamais caché mon adoration non seulement pour sa musique, mais plus généralement pour le répertoire français. Cependant, j'aime ces ouvrages sans les aborder comme du chant français au sens où on peut l'entendre habituellement, mais plutôt comme des œuvres assez proches de celles de Verdi, ou peut-être plus encore comme des opéras véristes, dans lesquelles on peut totalement s'exprimer par le jeu. J'ai chanté deux fois l'Hérode d'Hérodiade, et en effet cela aurait été une bonne idée à Paris, où j'aurais pu en plus l'aborder pour la première fois en version scénique, car lors des soirées de Lyon et Berlin, je jouais déjà littéralement sur scène, bien qu'il s'agisse de versions de concert. A Lyon, j'ai aussi adoré chanter la version baryton de Werther, qui donne une autre dimension au rôle.

RM : Nous avons parlé surtout de Massenet et vous touchez à tout le répertoire français, mais on va vous entendre beaucoup chez Verdi dans les mois et les saisons à venir, avec notamment la prise de rôle de Macbeth, ou encore Rigoletto. Comment choisissez-vous ces rôles ?

ED : Rigoletto est une offre que je ne pouvais pas refuser, car c'est la tournée japonaise d'adieu d'Antonio Pappano avec le Royal Opera House Orchestra. Pour le reste, et donc en premier lieu pour Macbeth, c'est un choix souvent en rapport avec ce que j'évoquais précédemment sur la possibilité de pouvoir jouer. Chez Verdi et tout particulièrement dans ses opéras shakespeariens, on est totalement libre de s'exprimer en scène.
Quant au choix des rôles, je m'en tiens majoritairement aux répertoires anglais, français, italien et allemand, car dans ces langues, je peux faire sans problème mon mot à mot sur la partition pour tirer la substance de chaque idée.

Avec les autres langues comme le russe, j'apprends les rôles en phonétique, mais cela ne m'empêche pas d'en adorer certains, comme Oneguin par exemple, qui m'est très évident, même si les fragments de la pièce de Pouchkine repris textuellement dans le livret sont complexes à comprendre. Il est évident que ces partitions sont beaucoup plus longues à apprendre, surtout si on veut savoir exactement quel mot veut dire quoi, afin de lui donner la meilleure justesse possible. Complexe à apprendre également, le répertoire contemporain me passionne aussi, avec tous les enjeux qu'il comporte.

RM : Vous étiez effectivement dans la création de Dead Man Walking à Montréal en 2013, ville où vous avez créé tout récemment La Reine-garçon de Julien Bilodeau. Ce répertoire vous attire donc toujours ?

ED : Oui, il m'attire beaucoup car je suis très intéressé par l'avenir de l'opéra, donc par son présent. Le fait de toujours rejouer les mêmes œuvres fait par définition de l'opéra un art conservateur, avec les qualités qui en découle, à commencer par la conservation du passé. Mais cela entraîne aussi des risques, dont celui d'oublier de penser l'avenir. Certains s'y retrouvent parfaitement, mais avec une fibre conservatrice trop forte qui empêche de pouvoir modifier une note ou une virgule, même dans des ouvrages joués à une époque où la liberté d'interprétation voire de réécriture était très forte, ne serait-ce que pour les traduire. Je ne suis évidemment pas du tout contre le fait de rejouer les œuvres, au contraire, mais si on veut faire venir tous les publics et plus particulièrement les jeunes générations, il ne faut pas passer à côté du monde et des sujets actuels. Par exemple, j'aimerais qu'un compositeur utilise Game of Thrones pour en faire un opéra, à condition qu'il prenne le projet vraiment au sérieux.

C'est un peu la même chose avec le baroque d'ailleurs : je suis moins proche de ce répertoire car je peux parfois m'y sentir bloqué et moins adepte des codes, mais j'ai le souvenir dans mes premières années d'avoir participé à une Calisto de Cavalli que nous avions rendue totalement déjantée, où le public avait ri du début à la fin. C'est aussi ce type d'émotions que l'opéra doit faire passer, d'autant que les défenseurs d'un conservatisme rigoriste n'ont aucune idée de comment auraient été acceptées d'autres propositions par le compositeur si elles lui avaient été faites sur le moment. L'important est de respecter l'œuvre, le reste ne doit être qu'un moyen de rendre l'opéra vivant pour encore longtemps.

Crédits photographiques : © Emilie Brouchon/OnP (Portrait & Don Quichotte) ; © Yves Renaud (Dead Man Walking)

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