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Tarmo Peltokoski appliqué dans Mahler, Lugansky conquérant dans Prokofiev

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Paris. Maison de la Radio et de la Musique. Auditorium. 16-I-2025. Sergueï Prokoviev (1891-1953) : Concerto pour piano et orchestre n° 3 en do majeur op. 26 (1921) ; Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 5 en do dièse mineur (1902). Nikolai Lugansky, piano. Orchestre Philharmonique de Radio-France, direction : Tarmo Peltokoski.

nous avait séduit l'an dernier avec son Ring sans paroles, il nous déçoit aujourd'hui avec cette Symphonie n° 5 de , précédée du Concerto pour piano et orchestre n° 3 de Sergueï Prokofiev, avec en soliste.

Grand artisan de ce concert où il est difficile de trouver un thème fédérateur, nous livre, en première partie, une belle interprétation du Concerto pour piano et orchestre n° 3 de Sergueï Prokofiev. Composé en partie en France, en 1921 lors de son exil volontaire, il comprend trois mouvements : un Allegro initial entamé par la petite harmonie qui permet d'emblée de juger de la qualité du jeu du soliste tour à tour perlé, bondissant, percussif mais sans pesanteur, fluide, suspendu entre méditation rêveuse et violence motoriste, mais toujours virtuose, porté par un équilibre et une complicité certaine avec l'orchestre maintenu quelque peu en retrait par  ; suit un Andantino fait d'une suite de cinq variations : légère et énigmatique accompagnée par la flute et la clarinette, plus animée exaltée par la trompette, motoriste et obstinée soutenue par l'orchestre, méditative, suspendue et décantée magnifiée par le cor, percussive rassemblant piano, cordes et tutti dans une joute finale serrée  ; avant que l' Allegro ma non troppo final ne laisse la primeur au soliste dans une cavalcade virtuose, fluide et enflammée, dans un superbe dialogue avec l'orchestre et tout particulièrement la flûte de Magali Mosnier. « Lilas », extrait  des 12 Romances op. 21 de Rachmaninov, donné en bis conclut cette première partie sur un note  poétique et sereine.

Malgré son jeune âge et son amour bien connu pour Wagner, est un habitué du répertoire mahlérien, compositeur qu'il convoque régulièrement sur scène : Symphonie n° 1 en juillet 2023 à la Halle aux grains de Toulouse et ouverture de son mandat de directeur musical du Capitole de Toulouse (ONCT), en septembre 2024 avec la Symphonie n° 2 dite « Résurrection » de Mahler. Il réaffirme ce soir sa fibre mahlérienne avec la Symphonie n° 5 à la tête du « Philhar » de Radio France, phalange face à laquelle il fit ses débuts en France en avril 2022, remplaçant au pied levé son compatriote Santtu-Matias Rouvali.

Composée en 1901-1902, entre la peur de la mort due à une récente hémorragie intestinale et la joie de la rencontre avec Alma, plusieurs fois révisée, première des symphonies médianes purement instrumentales, Mahler abandonne dans cette Symphonie n° 5 tout recours littéral au Wunderhorn, ainsi que toute idée de musique à programme, pour tisser un immense patchwork orchestral, riche en couleurs et contrastes chargé de retracer le difficile et laborieux parcours tendu depuis les ténèbres du premier mouvement jusqu'à la Lumière irradiante du Finale : une progression quasiment initiatique qui oscille entre douleur et joie, entre amour et violence, entre sublime et trivial, en s'appuyant sur une instrumentation profuse et une polyphonie complexe dont Tarmo Peltokoski, hélas, nous livre une interprétation décevante, trop analytique, sans âme, qui peine à regrouper tous les éléments épars dans un tout cohérent. Certes, on pourrait louer la rigueur et la précision presque trop appliquée de la mise en place valorisant les belles prestations solistiques de la phalange parisienne, si celles-ci ne se faisaient aux dépens de la continuité du discours, de la progression et de la tension réduisant cette symphonie à un bel exercice d'orchestre sans émotion !

Annoncée par un appel de trompette et de cor, la Marche funèbre se montre justement pesante, plus élégiaque et douloureuse que terrifiante, interrompue par des fanfares aux accents circassiens au sein d'un phrasé trop fortement nuancé (nuances dynamiques et agogiques) qui peine à trouver sa voie.  Le second mouvement Stürmisch bewegt, rompt dans un contraste abrupt avec le statisme de la Marche funèbre, animé d'assauts cuivrés alternant avec des passages plus lyriques sur un phrasé teinté de dramatisme qui parait par instants quelque peu confus, sans ligne directrice. Faisant la part belle au pupitre des cors (on regrettera la sonorité un peu râpeuse du cor solo qui joue debout comme habituellement dans cette page) le Scherzo, pivot et tournant de la symphonie, se partage entre un ländler aux sonorités populaires et une improbable valse bien dansante, entrecoupés de parenthèses pastorales. Le célèbre Adagietto associant cordes et harpe parait étrangement plat, sans passion ni profondeur, plus berceuse que déclaration d'amour adressée à Alma. Mouvement conclusif joliment mené, le Rondo final, achève ce chaotique parcours haut en couleur dans un climat victorieux porté par une joie sans ombres recrutant tous les pupitres de l'orchestre (petite harmonie, cordes, cuivres), mais il est hélas trop tard…Dommage.

Crédit photographique : © Peter Rigaud / Marco Borggreve

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