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Une réjouissante soirée de créations concertantes belges au Botanique de Bruxelles

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Bruxelles. Le Botanique, Salle du Museum. 30-V-2025. Daniel Capeletti (né en 1958) : …calme et volupté…, réminiscences autour d’ Il Viaggio de Mélanie de Biasio. Jean-Paul Dessy (né en 1963) : Concerto con piano. Jean-Luc Fafchamps (né en 1960) : Rousseurs amères, concerto pour violon et cordes. Apolline Jésupret (née en 1995) : Hêtre, concerto pour violoncelle et cordes. Frank Braley, piano ; Tatiana Samouil, violon ; Pierre Fontenelle, violoncelle. Ensemble Musiques Nouvelles, direction : Jean-Paul Dessy

 

La salle du Museum du Botanique, antenne culturelle bruxelloise de la Communauté de langue française de Belgique, accueillait le deuxième volet d'un triptyque de concerts en collaboration avec Arsonic et l' de Mons.


Tout en restant essentiellement centré sur le domaine de la chanson française et du rock alternatif, le centre culturel bruxellois du Botanique renoue depuis peu, ponctuellement, avec ses premières amours : le jazz et la création musicale contemporaine.

Le projet intitulé Au-delà de la Nuit, étalé sur trois sessions sous forme de biennale (2023-2027), programmé en coproduction avec Arsonic Mons et l', placé sous la direction bienveillante et scrupuleuse de son chef-concepteur  , prévoit la création  de neuf nouveaux concerti (pour violon, violoncelle ou piano) composés par la même triade de compositeurs belges : outre   lui-même,  l'expérimenté et la jeune mais déjà bien établie . Seule exigence commune, chaque œuvre plutôt chambriste doit être conçue avec l'accompagnement restreint à seize cordes.

Au gré d'un court prélude instrumental, chacun de ces trois concerts entend aussi jeter un pont entre discipline d'écriture la plus pointue et musiques davantage destinées au « grand public ». C'est à qu'échoit cette année cette redoutable tâche, avec ses réminiscences …calme et volupté…. inspirées de séquences de l'album Il Viaggio (2023) de la chanteuse et flutiste carolorégienne Mélanie de Biasio – aux frontières du jazz expérimental, de la chanson atmosphérique et des musiques électroniques. Fruit d'une étroite collaboration entre la conceptrice originale et son arrangeur, cette brève partition fait mouche, tant par son lyrisme immédiat et effusif que par l'utilisation ponctuelle mais très à-propos des micropolyphonies, déviations d'intonation ou autres effets « tachistes » parfaitement en situation.

Le Concerto con piano (son deuxième après le Concerto concreto de 2018) de nous a, avouons-le, laissé sur notre faim, malgré la présence, en soliste, de (par ailleurs jadis directeur musical de l'autre ensemble en résidence montoise, l'Orchestre de Chambre de Wallonie). Le compositeur-chef d'orchestre semble ici en panne d'inspiration : certes on retrouve l'explorateur du Son Nouveau et d'une nouvelle modalité « lisse » très consonante, mais la partition semble tourner à vide et chercher désespérément son envol, au gré d'une écriture soliste très fuste et  délibérément non virtuose. L'œuvre entend confronter une progression mélodique linéaire quasi cinématographique, de plus en plus tendue au fil du retour cyclique de motifs basiques assez sommaires, progressant souvent par degrés conjoints. Mais plus que de « nouvelle simplicité », on parlera davantage d'effets simplistes. Le mérite de la partition est qu'elle ne peut laisser indifférent, entre scepticisme et totale adhésion : elle  rencontre un beau succès… qui nous a totalement échappé.

Tout autre est le propos du concerto pour violon Rousseurs amères de , composition d'une grande rigueur formelle et d'une intense conduite motivique – l'intervalle de quarte y joue un rôle prépondérant. L'œuvre est segmentée en trois mouvements clairement distincts et aux appellations explicites : « retourné », plutôt modéré et campant le décor, suivi d'une sorte de scherzo rupteur « secoué » et d'un final lent « lessivé » à la péroraison désolée et tragique. Comme dans les deux premiers volets de sa trilogie opératique en cours d'écriture Is This the end? le compositeur bruxellois joue sur les ambivalences psychologiques, par ces bribes de fragments tonaux ou modaux, par ce savant brouillage stylistique, au gré de réminiscences jamais textuelles ou clairement identifiables, dans un environnement de langage pleinement actualisé. L'œuvre s'ouvre dans une lumineuse atmosphère néo-romantique alla Samuel Barber (dans un style proche de Knoxville summer of 1915) ; le climat devient orageux et s'assombrit au fil de l'œuvre pour évoquer clairement, lors d'un final vraiment déchirant, l'ambiance lugubre du concerto funèbre de Karl Amadeus Hartmann. On ne peut que louer l'admirable musicalité et l'engagement très lyrique et efflorescent de la violoniste russe installée en Belgique . La pureté d'intonation, la sûreté de l'archet et la sonorité chaleureuse sont entièrement au service de cette œuvre très effusive et éloquente malgré sa sombre et diffuse automnalité.

Pour ponctuer cette soirée assez passionnante, l'on retrouve avec plaisir la captivante avec Hêtre. concerto pour violoncelle et cordes. À peine trentenaire, cette ancienne élève de Claude Ledoux, déjà à la tête d'un appréciable catalogue d'œuvres pour tous types de formation s'est forgée un style très personnel, d'une intense effervescence, entre expressivité et intériorité, délicatesse et exaltation, rythme et contemplation. Elle est passée maître dans le déploiement du timbre au gré de textures sonores vraiment inouïes ou de l'utilisation insolite des instruments ; par exemple il est demandé ici durant une courte section, au soliste d'utiliser à différentes hauteurs la caisse de résonance de son instrument tel le dayan d'un tabla indien, effet bruitiste qui gagne peu à peu les pupitres de l'ensemble de cordes dans une joyeuse émulation.

trouve son inspiration au sein même de la Nature : Hêtre veut mettre en perspective « la vie humaine avec les autres formes de vie comme appartenant à un ensemble cohérent et partageant les mêmes besoins » : c'est le parcours d'une gésine épanouie, au gré de trois moments de la vie et de l'amour d'un arbre – consacré par l'enchaînement des trois mouvements « classiques » ici aux titres suggestifs. Prendre racine établit avec force et vigueur les éléments fondateurs de la partition, S'élever est une vaste méditation sur la croissance et  la métamorphose motivique et Éclore, sorte de danse sacrale printanière, célèbre par son enthousiasme mélodique ravageur et communicatif la perpétuation de la Vie avec une allègre efflorescence. Pianiste de formation, la compositrice a pu compter sur les conseils avisés du jeune violoncelliste belgo-américain , créateur et dédicataire de la partition, virevoltant soliste  aussi passionné qu'impliqué.

Au fil de ce concert de concerti donné devant une salle comble (exploit remarquable en ce week-end prolongé, et alors que la finale du Concours Musical Reine Elisabeth  médiatiquement bien couverte, bat son plein à quelques encablures), on ne peut que se féliciter de la pleine implication, bien au-delà d'un simple accompagnement, de l', aussi précis que finement coloré, placé sous la direction très calibrée et attentive de son directeur musical Jean-Paul Dessy.

Crédits photographiques © Cédric Hustinx- Label Cypres-Le Botanique Bruxelles

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Bruxelles. Le Botanique, Salle du Museum. 30-V-2025. Daniel Capeletti (né en 1958) : …calme et volupté…, réminiscences autour d’ Il Viaggio de Mélanie de Biasio. Jean-Paul Dessy (né en 1963) : Concerto con piano. Jean-Luc Fafchamps (né en 1960) : Rousseurs amères, concerto pour violon et cordes. Apolline Jésupret (née en 1995) : Hêtre, concerto pour violoncelle et cordes. Frank Braley, piano ; Tatiana Samouil, violon ; Pierre Fontenelle, violoncelle. Ensemble Musiques Nouvelles, direction : Jean-Paul Dessy

 
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1 commentaire sur “Une réjouissante soirée de créations concertantes belges au Botanique de Bruxelles”

  • Minnoy Louise dit :

    J’ai beaucoup apprécié cette soirée ,j’aimerais savoir où je pourrais réécouter ces 3 pièces de musique ! Bonne journée.

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