Avec Emiliano Gonzalez Toro, le baroque en mode décontracté au Festival de Froville
Pour ce 28e Festival de Froville niché dans la campagne lorraine entre Nancy et Épinal, le ténor Emiliano Gonzalez Toro a réuni une fine brochette de talents baroques, de Lea Desandre à Francesca Aspromonte en passant par Théotime Langlois de Swarte et le jeune Arnaud Gluck, dans une ambiance détendue mais qui sait communiquer l'amour de la musique.
Voilà donc vingt-huit saisons que le public du Festival de Musique Baroque et Sacrée de Froville gravit le petite côteau qui sépare le parking improvisé dans un champ à l'entrée du village du Prieuré bénédictin où sont donnés les concerts. Joyau de l'art clunisien, l'église paroissiale de Froville-la-Romane est un des plus anciens édifices religieux du Nord-Est de la France encore intact, réceptacle d'une des nefs romanes les mieux conservées, auquel s'ajoutent les senteurs des jardins du prieuré, anticipant ou prolongeant les délices de l'écoute musicale.
Spécialiste incontestée de l'opéra italien du seicento, Francesca Aspromonte a concocté pour le Festival un programme tout Haendel, constitué de quelques-unes de ses plus belles cantates de jeunesse italiennes. Sous-titré « Un'alma innamorata » (Une âme amoureuse), le programme décline toute la gamme du sentiment amoureux, le message porté par Francesca Aspromonte étant que c'est aux humains de faire face aux affres de l'amour plutôt que de blâmer le pauvre Cupidon qui, finalement, n'y est pour rien. Dotée d'une technique irréprochable, capable aussi bien de vocalises précises et agiles que d'un legato crémeux et onctueux, la belle Italienne se rit des difficultés de ces pages, qu'elle commente avec humour tout au long de la soirée. S'appesantissant peut-être plus que de raison sur le froid régnant dans l'église et sur la nécessité pour elle de porter châle et doudoune, sans doute pour ne pas prendre froid entre les deux représentations de Siegfried qu'elle doit assurer à la Scala, elle n'hésite pas à dire qu'elle trouve « un peu moche » l'aria inédite « S'un dì m'appaga la mia crudele » que le public pourra bientôt entendre en CD. Ambiance détendue, donc, ce qui n'enlève rien au talent et professionnalisme des musiciens de l'ensemble Arsenale Sonoro, emmené depuis son violon par le chef Boris Begelman, dont la jeune soprano ne manque pas d'informer le public qu'il est son compagnon à la ville. Amour, quand tu nous tiens…
Toute autre ambiance, malgré la thématique intitulée « Amore langueo » (Je me languis d'amour), pour le concert du jeune contreténor Arnaud Gluck, deuxième prix du jury ainsi que le prix Gemelli Factory lors du Concours 2024. Superbement accompagné au théorbe et à la guitare baroque par Alice Letort, à la viole de gambe et à la harpe par Manon Papasergio, Arnaud Gluck conduit le public dans une fascinante exploration du premier baroque italien encore marqué par la découverte de cette seconda prattica qui devait donner au texte verbal tout son poids et tout son sens. La première partie, consacré à la musique sacrée, permet notamment d'entendre trois mises en musique des paroles « Quam pulchra es » du Cantique des cantiques, celles d'Alessandro Grandi, de Giovanni Rovetta et de Claudio Monterverdi. La deuxième partie, plus profane, ne contient pas moins de découvertes avec notamment des pages de Carlo Calvi, Caccini, Frescobaldi, Sigismondo d'India et Barbara Strozzi. Littéralement angélique dans la première partie, notamment dans les attaques aériennes dont il semble avoir le secret, très convaincant en amoureux langoureux dans la deuxième, Arnaud Gluck dispose d'un instrument encore un peu vert pour rendre justice aux pages plus animées qui font état de la folie amoureuse. Le dernier numéro du programme, la pièce de Barbara Strozzi « È pazzo il mio core », tombe ainsi un peu à plat. Le temps fera son œuvre, et l'on ne peut que se réjouir d'avoir en réserve cette pépite vocale dont la musicalité sans faille permet d'augurer de belles prises de rôle pour les années à venir.
Avec Lea Desandre et l'ensemble Jupiter, conduit par son chef et créateur Thomas Dunford, le public est davantage en terrain connu. Entièrement consacré à des airs d'oratorio du compositeur naturalisé anglais, le programme fait alterner pages virtuoses et morceaux d'introspection et de recueillement. Lea Desandre excelle dans les unes comme dans les autres, et les acrobaties vocales de « Fly from the threatening vengeance, fly », « Prophetic raptures swell my heart » ou « No, no I'll take no less » ne lui font visiblement pas peur. Nous la préférons encore dans les pages mélancoliques de Theodora, de Solomon ou de The Triumph of Time and Truth, où les dialogues instrumentaux lui permettent plus de variations de couleurs. Attentif à ses musiciens, Thomas Dunford fait preuve de fermeté et précision à la tête de son ensemble. On n'en dira pas autant de ses commentaires patauds, qui ont néanmoins l'avantage de dérider le public, visiblement amusé de tant de confusion dans des explications en rien nécessaires mais divertissantes à entendre. Ambiance détendue et familiale, nous l'avons dit.
Pour son concert de clôture, c'est à Théotime Langlois de Swarte et à l'Orchestre de l'Opéra royal de Versailles qu'a fait appel la direction du Festival. Belle occasion d'entendre les concertos pour un, deux et trois violons de Bach. La première partie est consacrée aux la mineur et mi majeur, la deuxième aux concertos pour deux, puis trois violons, pour lesquels les violonistes Magdalena Sypniewski et Ludmila Piestrak prêtent leur concours. Le concert commence dans le plus grand recueillement, avec une pièce pour violon seul jouée du fond de l'église, Théotime Langlois de Swarte se rapprochant progressivement de la scène en arpentant les travées de l'église. Très remarqué récemment pour ses interprétations vivaldiennes, le violoniste français est très à l'aise également dans un idiome musical dont il maîtrise toutes les facettes. Virtuose dans les mouvements rapides, il suspend le cours du temps dans des legatos infinis pour les pièces les plus lentes. Il parvient également à captiver le public par la pertinence toute décontractée de ses commentaires et explications, preuve qu'on peut apporter du contenu sans se prendre nécessairement au sérieux. Trois bis généreusement octroyés viennent ponctuer une soirée acclamée par un public conquis par tant de professionnalisme et de simplicité : outre la célébrissime badinerie et l'extrait tant attendu par certains des Quatre saisons de Vivaldi, un arrangement du choral « Jésus, que ma joie demeure » extrait de la cantate BWV 147. Pour accompagner le thème principal joué au violon, le public est prié de prêter sa voix pour interpréter le choral. Belle occasion d'entendre également le directeur artistique du Festival, le ténor Emiliano Gonzalez Toro, se livrer à l'exercice depuis le premier rang de l'église. Un festival à l'ambiance familiale et décontractée, mais marqué depuis toujours par le plus grand professionnalisme.