Belles histoires de transmissions au Festival d’Avignon
Alors que la langue arabe est l'invitée d'honneur du 79ème Festival d'Avignon, trois propositions artistiques de la Tunisie, du Liban ou du Maroc tissent des liens riches et poignants autour de la transmission.
Une très belle histoire de transmission entre femmes est au cœur de Laaroussa Quartet, entre ethnographie, danse et musique contemporaine. À l'origine de ce spectacle, une figure anthropomorphe, aperçue par Selma et Sofiane Ouissi dans une galerie parisienne. Ces statues en argile sont issues du savoir-faire ancestral des femmes tunisiennes de la région de Laaroussa, que les deux chorégraphes ont filmé longuement avant de s'immerger dans les gestes précis des potières. Du piochage de l'argile à la binette, au séchage et au tamisage de la terre obtenue, jusqu'au modelage à la paume de la main et au lissage avec le dos d'un coquillage, chacun de ces gestes a été filmé en gros plan et est projeté sur un écran géant sur le plateau.
Comme en écho aux images, amplifiant et multipliant leur impact, se déploie sous nos yeux une véritable partition de danse. Assises côte à côte ou séparément, quatre femmes en tenue de sport répètent inlassablement ce corpus de gestes amples et précis, transmis de la plus âgée à la plus jeune, suivant une partition installée sur un petit banc devant elles. L'appellation Quartet vient de cette partition, exécutée comme une création de musique contemporaine, avec une insolente virtuosité. Une vraie musicienne, la compositrice Aisha Orazbayeva, accompagne portant ce quatuor de danseuses, avec son violon et son alto dont elle joue alternativement. Une vieille paysanne assiste paisiblement au spectacle sur le côté. À deux reprises, elle chantera dans sa langue des montagnes – un chant profond et déchirant qui conclut ce très beau spectacle.
Avec When I saw the sea, un trio féminin consacré aux migrantes, victimes d'esclavage moderne au Liban, Ali Chahrour, habitué du Festival d'Avignon, s'insère lui aussi dans cette histoire de transmission orale et féminine. Les témoignages de trois femmes s'inquiétant pour elle-même ou leurs proches, après les attaques israéliennes au Liban, s'entremêlent en voix off, faisant instantanément écho à ceux qui vivent, chaque jour, au cœur de la guerre ou des bombardements. Aveuglés par un projecteur braqué vers le public, on ne voit pas tout de suite la silhouette d'une jeune fille qui raconte simplement son destin d'enfant abandonné par une mère violée. Les mots sont durs, bouleversants comme le seront ceux des autres femmes qui s'expriment ou raconteront leur histoire au cours du spectacle, à travers les corps et les voix de Zena, Tenei et Rania.
Si la seule présence des corps de ces femmes tient souvent lieu d'approche chorégraphique – un peu réduite – la partie musicale du spectacle en forme la véritable richesse. Interprétés par les danseuses elles-mêmes ou par les musiciens Lynn Adib et Abbed Kobeissy, les chants en arabe ou en amharique, la langue de l'Éthiopie, racontent aussi l'absence ou la perte de la mère, le désespoir de l'exil. Ces très beaux chants enrichissent le récit de ces femmes, victimes d'un système que l'on appelle « kefala » au Liban. En signant un contrat qui les prive de tous leurs droits, ces femmes migrantes travaillent pour des familles au Liban, et souffrent de la faim, de brimades et d'un isolement complet. C'est pour briser cet omerta sur un système contraire au respect des droits humain qu'Ali Chahrour et son équipe artistique ont enquêté et collecté des témoignages. Une œuvre intense et salutaire.
Dans le prolongement de son spectacle sculpture Corbeaux, la Tunisienne Bouchra Ouizguen a proposé à des amateurs du territoire d'Avignon de participer à un spectacle gratuit en ouverture du Festival d'Avignon, sur le parvis du Palais des Papes. Un bel hommage à la masculinité et la sensualité masculine. De nombreux chorégraphes, comme Christian Rizzo, Adi Boutrous ou encore Radhouane El Meddeb se sont intéressés à la douceur des hommes quand ils dansent, en particulier dans les cultures orientales. Pour They always come back, Bouchra Ouizguen réunis des hommes de tous âges, des plus jeunes aux plus âgés, pour une forme spectaculaire en plein air basée sur le travail d'improvisation en atelier.
Après une introduction par un homme seul, caché par un burnous blanc, les hommes en noir apparaissent un à un devant l'entrée du Palais. Leurs silhouettes sombres tranchent avec la pierre claire gorgée de soleil. Ils se lancent dans une forme de procession-farandole, grave et élégante, élevant les bras par mimétisme avec le danseur qui précède. La bande-son alterne musique orientale et inspiration occidentale, comme un air chanté par la Callas, ou une chanson pop qui libère joyeusement les énergies dans une cavalcade désordonnée. C'est ce qui fait tout le charme et l'authenticité de cette performance où la sincérité de l'amateur dansant n'est pas vraiment bridé par la chorégraphe, qui ne semble avoir imposé que peu de structure aux participants. Reste de beaux moments à deux ou à trois, engageant les corps l'un contre l'autre, des échappées salvatrices et joyeuses, bref, des hommes dans tous leurs états.
Crédits photographiques : Laaroussa Quartet, Selma et Sofiane Ouissi, 2025 © Veerle Vercauteren ; When I Saw the Sea, Ali Chahrour, 2025 © Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon ; They always come back, Bouchra Ouizguen, 2025 © Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon
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