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The Nine Jewelled Deer de Sivan Eldar au Luma d’Arles : plus rāga fusion qu’opéra

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Arles. Luma . Festival d’Aix-en-Provence. 8-VII-2025. Sivan Eldar (née en 1985) : The Nine Jewelled Deer, (CM), opéra de chambre pour deux chanteuses, cinq musiciens et électronique.. Texte de Ganavya Doraiswamy en collaboration avec Lauren Groff, d’après Le conte du Grand Cerf doré (tiré des Jātakas). Mise en scène : Peter Sellars. Artiste plasticienne : Julie Mehretu. Costumes : Camille Assaf. Lumières : James F. Ingalls. Ganavya Doraiswamy, Aruna Sairam, voix ; Nurit Stark, violon et alto ; Sonia Wieder-Atherton, violoncelle ; Dana Barak, clarinette ; Hayden Chisholm, saxophone ; Rajna Swaminathan, percussion ; Augustin Muller, électronique-Ircam ; direction musicale : Sivan Eldar

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Sous le signe de la rencontre de la musique écrite occidentale et des traditions de l'Inde du sud, The Nine Jewelled Deer (La Biche aux neuf bijoux) de invente une forme artistique hybride qui s'éloigne de l'opéra et n'évite pas l'ennui.

Du mélange des cultures

Le projet nait de la rencontre de avec l'artiste pluridisciplinaire (chanteuse, danseuse, poétesse) et l'écrivaine Lauren Groff. Se joint au trio féminin le metteur en scène , qui connaît bien le travail de l'artiste indienne, et la plasticienne américaine . Débute alors un travail collaboratif – une écriture de plateau – autour du conte du « Grand Cerf doré » devenu « La Biche aux neuf bijoux » que leur fait découvrir , une histoire ancienne issue des Jāquatas qui narrent les vies et les incarnations de Bouddha. Le conte sert de fil rouge à une trame narrative un rien décousue qui s'enrichit de textes en persan, sanscrit, et tamoul, (dits, lus ou chantés) et de la vie de Seetha Doraiswamy, ambassadrice de la musique carnatique et grand-mère de Ganavya à qui elle a transmis cet héritage. Avec les deux chanteuses – Ganavya et Aruna  Sairam – gardienne, elle aussi, de la tradition du chant karnatique – et les cinq musiciens conviés sur la scène,  l'enjeu est de créer un espace de dialogue entre la musique de l'Inde du sud, qui se libère des codes de la tradition, et le jeu, avec ou sans partition, des instruments occidentaux regardant davantage vers le jazz. Ainsi la voix d', dans une improvisation libre avec le violon lumineux de Nurit Stark et la clarinette fluide de Dana Bark, évoque-t-elle les accents d'une Patti Smith !

Où est  ?

Si l'esprit de l'Américain rôde alentour, l'apport personnel du metteur en scène est plus que diffus, laissant se succéder les « numéros » sans un véritable mouvement scénique qui en dramatiserait le propos. Le plateau du Luma est quasi nu, excepté l'ensemble de bols remplis d'eau rappelant le « kitchen Orchestra » de la grand-mère Seetha (un ensemble ouvert aux musiciens amateurs créé par la musicienne). Servant de décor en bord de scène, on l'entendra résonner, trop brièvement à notre goût, à la fin du spectacle sous les fines baguettes de .

Des tulles descendent des cintres donnant à voir, en alternance, les toiles translucides et colorées de et les ombres chinoises de Ganavya danseuse, évoluant derrière l'écran lumineux. Sur scène, s'enchaînent les « tableaux » éminemment statiques, avec changement de plateau et déplacements des musiciens comme au concert. Le seul à ne pas quitter la scène est le joueur de mridangan (tambour de l'Inde du sud) Rajna Swaminathan, fort sollicité, que l'on entendra également en soliste lors d'une improvisation aussi virtuose que spectaculaire irisée de sons de synthèse. Travaillée à l' (où la compositrice avait déjà conçu son premier opéra Like Flesh), la partie électronique est conséquente, infiltrant les textures instrumentales et spatialisant le son. Aux manettes, le RIM est assis sur un coussin, à cour, tout près des chanteuses et musiciens pour interagir avec eux en temps réel ; il montera même sur scène, rejoignant les instrumentistes, dans un des derniers tableaux, pour jouer en live le bourdon, note référentielle dans la tradition de l'Inde, sur lequel s'échafaude l'improvisation.

Le temps long de la musique indienne

De sa voix douce, Ganavya, qui prélude avec sa guitare, invite le public à chanter avec elle, en tamoul, le refrain de sa chanson (texte et mélodie). Elle y décrit la peau de la biche semblable à neuf joyaux, engageant les quatre musiciens assis à ses côtés (percussion, violon, clarinette et saxophone, tous très réactifs) à « broder autour ». La voix est envoûtante, sensuelle et ondoyante, mais le premier tableau est mal calibré (près d'une demi-heure !), même si les lumières/couleurs de James F. Ingalls contribuent à animer tant soit peu l'espace. Très longue également, chantée cette fois par accompagnée du mridangan, est cette séance quasi initiatique et portée vers la transe, où elle engage Ganavya et chacun des instrumentistes devant elle, à répéter ses formules selon l'enseignement de tradition orale que perpétuent les maîtres de la musique indienne.

Impressionnante autant que lancinante, la performance vocale de la chanteuse, qui confine à l'ennui, déclenche les applaudissements du public avant même la fin du spectacle ! On est davantage sensible à ces tableaux plus intimistes où Ganavya, livre en main, dit ses textes en compagnie de la violoncelliste , avec cette écoute mutuelle qui s'instaure où le son filtré (jeu vers le chevalet) de l'instrument rejoint le grain de voix mêlée de souffle de la chanteuse. Le récit du conte, en anglais, ne s'entend qu'au mitan du spectacle, par la voix parlée et amplifiée de Ganavya, déclenchant les réactions en chaîne des instruments solistes, multiphoniques rageurs du saxophone d'Hayden Chisholm, sons saturés et bruités des cordes du violoncelle, entretenant l'unique instant de tension dramatique de la représentation.

Partage, amour et compassion

Le spectacle, on l'aura compris, délivre son message d'amour et d'attention à l'autre : « Ils ont œuvré, cherché et partagé dans un esprit d'attention, d'introspection, d'écoute et d'improvisation pour apprendre à marcher et chanter ensemble », écrit dans sa note d'intention. Le spectacle ne fait certes pas opéra mais véhicule ses valeurs humanitaires. Et l'on retiendra particulièrement l'ultime duo entre Ganavya et Nurit Stark à l'alto, interprété dans l'épure et la profondeur de l'échange, qui est sans nulle doute la plus belle page de ce grand parcours en eaux mêlées.

Crédit photographique : © Ruth Walz

 

 

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