Rattle, BRSO et Bruckner à Aix : vers l’infini et au-delà
Pour apaiser des neurones bien sollicités par Louise, Giovanni et Calisto, quoi de mieux que le concert en apesanteur offert au Grand Théâtre de Provence par Sir Simon Rattle et l'Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise…
L'on avait espéré que, dans la salle qu'il étrenna en 2006 avec le Ring, Rattle ferait jouer la version achevée du chant du cygne inachevé de Bruckner qu'il avait enregistrée en 2012 avec les Berliner Philharmoniker et qu'il donnait encore en concert en 2024. Mais c'est à la version la plus connue de la Neuvième, celle en trois mouvements, qu'il a décidé de revenir à Aix, la symphonie inachevée du Ménestrel de Dieu lui apparaissant certainement plus à même de clore un programme dédié rien moins qu'à la stratosphère. Frustrante par sa brièveté (moins d'1h30), la soirée s'avère nourrissante par son intensité.
Hantée par les linceuls fantomatiques des Cinquième, Septième, et Huitième symphonies et même des Messes, la Neuvième Symphonie en ré mineur, à laquelle il travaillait encore quelques heures avant sa mort, fut dédiée par Bruckner « au Bon Dieu », un dieu dont la bonté fut toute relative à son égard, le compositeur, consumé par l'hydropisie, par une vie sentimentale jusqu'au bout contrariée, terminant sa vie dans le plus grand abandon. Cette audacieuse dédicace à un dieu même sourd à son dernier vœu (« Qu'il me soit seulement donné de finir ma neuvième symphonie ! ») lui vaut ce soir d'être précédée d'Atmosphères de György Ligeti. Composée en 1961, il s'agit d'une de ces œuvres avec lesquelles le compositeur entendait se démarquer du « sérialisme intégral » de Darmstadt. Atmosphères, « popularisé » par Kubrick dans son 2001, l'Odyssée de l'espace, est une pièce brève qui plonge immédiatement l'auditoire dans une autre dimension. S'enchaînent, passé un envoûtant cluster, dix minutes statiques faites d'alternances d'aplats de textures empilées, de crescendos scintillants, de souffles mystérieux, de surgissements de pupitres (et quels : ceux de l'Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise) jusqu'au retour à un néant que Rattle parvient même à faire entendre en continuant de battre sur le silence qui suit.
A la barbe de toutes les velléités d'applaudissements, de cette battue naît cet autre morceau stratosphérique, enchaîné donc dans la foulée du Ligeti, qu'est le toujours si moderne Prélude de l'Acte I de Lohengrin avec ses violons divisés jusqu'à l'impalpable. Celles du BRSO, dont la ductilité avait fait merveille dans Don Giovanni, sont à la hauteur de la nostalgie du Lohengrin intégral que, dans les années 70, la phalange avait immortalisé chez DG avec son chef de l'époque Rafael Kubelik.
Alors que l'on s'était pris à imaginer qu'il allait faire de même pour la transition entre Wagner et Bruckner, ce qui n'aurait pas manqué d'allure, Rattle laisse le public exprimer déjà sa reconnaissance, avant de se lancer dans la pièce maîtresse du concert. Fondée par Eugen Jochum en 1949, le BRSO, confié par la suite à Kubelik, Davis, Maazel et Jansons, est depuis 2023 sous la férule de Rattle, son sixième chef. Beaucoup plus difficiles à cerner que celles de Mahler, même si, en ce qui concerne la seule Neuvième, les premières notes de leurs adagios finals se ressemblent étrangement, les symphonies de Bruckner sont généralement décrites comme une alternance répétitive de cuivres et de cordes. Celui dont les bouillonnants disques Sibelius avec le City of Birmingham Symphony Orchestra révélèrent au monde la personnalité, passé ensuite par le Berliner Philharmoniker et le London Symphony Orchestra, arbore aujourd'hui la stature des grands sages face aux mirifiques pupitres du BRSO. De ses huit contrebasses à son armada de violons, avec ses cuivres et ses bois parfaitement infiltrés, la machine BRSO tourne à plein régime. De la naissance d'un monde (comme dans la plus célèbre des neuvièmes, elle aussi en ré mineur, celle de Beethoven) à la péroraison du Feierlich, Misterioso, avec ses cuivres en plénitude, l'orchestre, sonne comme comme un orgue dans la trajectoire cosmique de la soirée. Le péremptoire Scherzo ramène sur Terre, sa terrifiante architecture, globalement quasi-identique à toutes celles des huit qui l'ont précédé, semblant vouloir définitivement mettre un terme au prévisible des scherzos brucknériens.
Rattle laisse à l'Adagio final, avec ses bois désolés, son tournoiement cataclysmique, ses prophétiques quasi-clusters, le soin de conclure avec la plus prégnante intériorité l'ascension vertigineuse vers l'impossible Au-delà.












Le public à la sortie : « mais il n’a pas joué le Wagner ? »
Quel niveau …