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Messie à Grande Vitesse à Beaune

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Beaune. Basilique Notre-Dame. 25-VII-2025. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Le Messie, oratorio en trois parties sur un livret de Charles Jennens. Avec : Saskia Salembier, soprano ; Anthea Pichanik, alto ; Marc Mauillon, ténor ; Florian Hille, basse. Ensemble Liberati

L'on n'est pas près d'oublier le MGV (Messie à Grande Vitesse) dans lequel a décidé d'embarquer son auditoire. Une soirée mémorable à plus d'un titre, mais qui n'évacue pas la question : pourquoi tant de hâte ?

Une fois encore le Festival International de Musique Baroque et Romantique de Beaune n'a pas failli à sa mission en révélant l'existence d'un nouvel ensemble. est né en 2022 d'un désir de faire entendre, après moult questionnements à partir de sources d'époque, « un son profondément différent » : de quand date la toute puissance du chef d'orchestre, passé de simple batteur de mesure à usine à choix interprétatifs ? et, dans le cas du plus célèbre oratorio au monde, triomphalement accueilli dès sa création en 1742 à Dublin, comment l'œuvre fut-elle dirigée ? Haendel était-il au clavecin ? dédaigna-t-il la baguette (qu'il n'avait peut-être pas en main) pour diriger de l'orgue dont on sait qu'il joua ce soir-là ? Résultat : est un ensemble de musiciens sans chef. « Toutes et tous ressentent… les influences de leurs voisins directs, du passage d'informations tel qu'il existe dans les groupes d'animaux (bancs de poissons, oiseaux migrateurs…». Liberati préfère « l'écoute mutuelle » au regard d'une personne et le privilège d'un contact direct avec l'auditeur. Prolongeant le geste de David Grimal et de ses Dissonances, Liberati délaisse le traditionnel arc de cercle rivé sur le regard central d'un chef, et dispose l'ensemble de ses musiciens face public en lignes horizontales. Autre innovation : les seize choristes sont placés en bord de plateau. Enfin, à Beaune, tout ce petit monde a émigré en contre-bas du grand orgue Riepp-Formentelli de la basilique Notre-Dame tenu par Benjamin Alard, la disposition du public se voyant elle aussi remise en question dans ses habitudes. Une disposition des plus frontales, pour ce Messie annoncé en préambule par Maximilien Hondermarck comme ne ressemblant à rien de connu.

Mais Maximilien Hondermarck, s'il savait de quoi il parlait, ne savait peut-être pas qu'il était de fait en train de relire l'inscription inscrite au fronton de L'Enfer de Dante : « Vous qui entrez, laissez toute espérance. » Car Liberati, peut-être pour imprimer sa marque, a cru bon de rajouter une ultime innovation : la vitesse ! À l'exception de Behold the lamb of god et de He was despised, où l'on se dit qu'après une première partie en forme de course contre la montre de toutes les versions discographiques existantes, auditoire et interprètes vont pouvoir reprendre leur souffle, le choix interprétatif d'une course à la vitesse se confirmera par KO jusqu'à un Amen conclusif, d'ordinaire divinement interminable, ici donnant le sentiment de se finir à peine commencé.

Les quatre solistes passent la ligne d'arrivée sains et saufs. , à peine déstabilisé après avoir agrémenté de prenants mélismes quasi orientaux un Comfort Ye qui semble avoir été écrit pour son « baryténor », paraît même s'être beaucoup amusé au terme de ce Messie performatif où, à l'instar de ses trois collègues, il a dû aussi assurer la totalité de la partie purement chorale. , superbe « ténoryton » fait également forte impression, impassible à la tornade ambiante, même au fil d'un Why do the nations so furiously rage plein de suspense. , très appliquée, a davantage de mal à exister avec un Rejoice, dont les ornementations étonnent dans la célérité de ce numéro habituellement tranquillement lumineux, et mâtiné, dans sa partie centrale, d'un long silence inédit tranchant curieusement avec l'option générale. Chacun étant convié dans Liberati à « libérer ses talents… prendre des initiatives… les partager », est-ce qui a obtenu le tempo plus à même de déployer son prégnant velours ?

Magnifiquement engagé, peu intéressé par une partie de timbales noyées dans la masse, mais délivrant effectivement des sons nouveaux (dont une partie de cors surprenante), l'orchestre, pour brillant qu'il est, apparaît sur le fil dès la Sinfony, mais c'est surtout le chœur, obsédé par l'obsession des décalages (pourtant perceptibles), qui fait les frais de ce MGV, forcé malgré lui (le premier rang de sopranos) à surjouer la virtuosité des vocalises, l'expression des affects à un point tel que le pittoresque l'emporte sur l'intériorité. Inutile de dire que dans une optique où plus d'un professionnel se noierait (ce qui n'est pas le cas du haute-contre , imperturbable), la très discrète montée dans le train en marche (sur quelques numéros dont un Hallelujah à l'accélération exténuante) du chœur amateur nouvellement créé à Beaune, et préparé par Lucile de Trémiolles et Valentin Rouget, est loin de produire l'effet escompté.

Le Messie dure habituellement 2H30. Celui de Liberati, avec sa Pifa et son The Trumpet shall sound amputés de moitié, ne fait que 2h10. Une durée qui inclut deux extraits des 1er et 3e concertos pour orgue opus IV donnés, entre chacune des trois parties, façon Haendel du XXIe siècle, par Benjamin Alard, auquel sont dévolues aussi quelques interventions bien marquées, les dernières mesures autorisant même à l'excellent organiste l'improvisation de quelques mesures inédites.

Accueilli par une salve d'applaudissements, le MGV de Liberati, tout sauf une cathédrale de spiritualité, reste une indéniable performance. Mémorable, elle n'en révèle pas moins l'extrême fragilité d'un concept qui, pour passionnant qu'il est, apparaît, peut-être plus encore qu'un concert traditionnel, périlleusement inféodé à l'humeur du jour comme à la forme de ses artisans.

Crédit photographique :© Ars Essentia

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1 commentaire sur “Messie à Grande Vitesse à Beaune”

  • Franz aus Berlin dit :

    Un concert indigne du Festival de Beaune qui nous a habitués, depuis des années, à une qualité exceptionnelle de performance musicale.
    Avec ses nombreux décalages (dès l’allegro de l’ouverture), ses choristes bousculés, savonnant à qui mieux mieux les nombreux passages en doubles croches, et ses solistes malmenés par des tempi d’enfer, Liberati a réussi à transformer l’un des plus beaux oratorios du répertoire en une course de Formule 1 avec ses nombreuses sorties de route.
    Grâce soit rendue à Anthea Pichanick qui nous a offert dans « He was despised » le seul beau moment d’intériorité et de recueillement de cette soirée.

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