Avec L’Ancêtre de Saint-Saëns, Roméo et Juliette transposés en Corse
Superbe distribution pour un opéra de Saint-Saëns injustement tombé dans l'oubli. Le Palazzetto Bru Zane – Centre de Musique Française poursuit, pour le plus grand bonheur de tous, sa politique de redécouverte de l'œuvre lyrique de Camille Saint-Saëns.
Le concert donné en octobre dernier à l'Auditorium Rainier III de Monte-Carlo avait enthousiasmé le public comme la critique. Près de 120 ans après sa création dans la cité monégasque, l'un des derniers et des plus beaux opéras de Saint-Saëns était ressuscité par l'Orchestre Philharmonique de la Principauté.
L'enregistrement réalisé par le label Bru Zane ne fait que confirmer l'impression générale, qui interroge une fois encore sur les mystères et les aléas de l'histoire d'une œuvre qui font qu'un opéra, pour une raison ou une autre, finit par tomber dans l'oubli. Visionnaire autant que réaliste, Saint-Saëns lui-même avait affirmé au sujet de son opéra : « Si L'Ancêtre était de Puccini ou même de Mascagni, on le jouerait l'an prochain sur tous les théâtres du monde ; mais, c'est de moi, c'est tout différent ». Commandé initialement par le prince Albert 1er, créé à Monte-Carlo en 1906 du temps de la direction artistique de Raoul Gunsbourg, L'Ancêtre fut joué en France comme à l'étranger les années suivant sa création mais, de façon assez incompréhensible, disparut très vite de la scène. Musicalement, la pièce est un chef d'œuvre même si, à côté des audaces harmoniques d'un Richard Strauss ou même d'un Puccini, sa facture traditionnelle l'aura sans doute desservie en son temps. Avec le recul, nous n'en apprécions que plus sa dimension classique, exacerbée de surcroît par le recours à une intrigue elle aussi bien connue, quoique transposée dans un contexte bien spécifique. La rivalité ancestrale entre deux familles ennemies, remise en cause par les liens amoureux de leurs plus jeunes membres, est un thème bien connu qui a fait le succès de nombreux ouvrages montés sur nos scènes. Le contexte corse, alimenté par la thématique de la vendetta prônée par l'ancêtre – mot cité dans le texte – ne fait que renforcer le réalisme de la situation.
La distribution reprend les têtes d'affiche de la représentation d'octobre 2024. On y retrouve avec le plus grand plaisir Jennifer Holloway, initialement mezzo aujourd'hui devenue soprano dramatique, et qui incarne avec force et puissance la fureur vengeresse de la vieille Nunciata, personnage autrefois créé par la grande Felia Litvinne. À ses côtés, alliée à la famille Fabiani, Margarita est interprétée par Hélène Carpentier offrant un soprano frais et juvénile mais au grain relativement corsé, qui donne vie et corps au personnage, l'aimée de Tébaldo Piétra Néra ; le rôle avait été créé en 1906 par Géraldine Farrar. Sa sœur de lait Vanina, authentique Fabiani, est incarnée ici par Gaëlle Arquez, qui prête à son personnage éminemment tragique les accents chauds et cuivrés qui font d'elle une des plus belles Carmen du moment. Chez les messieurs, Julien Henric fait valoir en Tébaldo un ténor solaire et lumineux, malgré quelques difficultés à tenir la ligne dans les hauteurs de la voix. Dans le rôle de l'ermite Raphaël – l'équivalent du frère Laurent de Shakespeare – le baryton Michael Arivony peut se targuer d'un timbre clair et chaud et d'une diction qui rend son texte parfaitement compréhensible. Belle prestation aussi de la part du baryton-basse Matthieu Lécroart, parfaitement distribué dans la partie du porcher Bursica auquel il prête sans excès une gouaille tout à fait appropriée. À la tête de l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo et du Chœur philharmonique de Tokyo, le chef Kazuki Yamada sait trouver le ton de cette partition à la fois moderne et traditionnelle, d'une rare élégance d'écriture et d'une richesse mélodique, harmonique et instrumentale qui laisse songeur. Comment a-t-on pu si longtemps laisser en sommeil une si belle musique ! Le CD, en tout cas, l'aura immortalisée et rendue accessible à l'auditeur qui voudra bien s'y intéresser.
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