La musique de chambre de Marie Jaëll, en quête d’infini
Nouvelle incursion dans la musique de chambre de Marie Jaëll (1846-1925), compositrice tourmentée et sensible, dont l'œuvre mérite la redécouverte.
Enfin la musique trop longtemps oubliée des compositrices françaises du XIXe et du début du XXe siècle refait surface grâce à des labels audacieux. Que ce soient Présence compositrices ou La Boîte à pépites, ces éditeurs indépendants ressuscitent avec talent les œuvres de Rita Strohl, Jeanne Leleu ou encore, pour le cas qui nous intéresse aujourd'hui, Marie Jaëll.
Etonnante personnalité que celle de cette Alsacienne d'origine, pianiste virtuose réputée en son temps, amie et élève de Camille Saint-Saëns, de César Franck, admiratrice éperdue de Franz Liszt, grande pédagogue (son traité sur Le Toucher fait encore référence aujourd'hui), première femme à être admise à la Société des compositeurs de musique de Paris, mais esprit indépendant et tourmenté en quête perpétuelle d'absolu, qui cessera mystérieusement de composer la quarantaine venue.
« J'aime mieux être un grain de poussière dans un monde, qu'un géant entouré de néant » écrivait Marie Jaëll, personnalité forte pour qui « l'élan passionné vers la beauté » était plus fort que la reconnaissance de la célébrité. Le recueil de musique de chambre de la compositrice proposé par La Boîte à pépites est l'occasion de nous plonger dans cette œuvre en « quête d'infini« , comme le suggère le sous-titre de l'album.
Composées aux alentours des années 1880, ces pages ne se tournent cependant pas vers les audaces d'un Gabriel Fauré ou du jeune Claude Debussy. Respectueuse des leçons de son maître Saint-Saëns, la musique de Marie Jaëll s'échappe rarement des grandes structures de la tradition romantique, mais elle est solide, charpentée sans surcharge, et emportée par un élan mélodique souvent irrésistible, à l'image de l'impressionnant Quatuor avec piano en sol mineur de 1875, ressuscité par quatre instrumentistes de grand talent (Manon Galy, Léa Hennino, Héloïse Luzzati, Celia Oneto Bensaid).
Pour sa première œuvre de chambre de grande envergure, Marie Jaëll révise ce qui devait être au départ un quatuor à cordes en y adjoignant un piano. L'instrument aux cordes frappées devient alors une entité indépendante des instruments à cordes frottées, apportant une dynamique indéniable. De structure très classique, l'œuvre est cependant puissante, passionnante de bout en bout. L'introduction est sévère, comme une affirmation de soi un peu péremptoire, avant un thème profond qui reviendra en vagues successives. Marie Jaëll est une grande mélodiste. Le thème tendre et épuré de l'Andante en est un bel exemple. Tout comme les chassés croisés de l'Allegro scherzando et du Vivace final. On sent les quatre instrumentistes de ce disque totalement engagées et convaincues par la force de ce Quatuor avec piano qu'elles ont redécouvert et défendent avec une passion contagieuse.
Les autres pièces de l'album n'ont pas tout à fait la même ampleur mais confirment l'intérêt que l'on doit porter à la musique de Marie Jaëll. Le trio Dans un rêve pour violon, violoncelle et piano (1881) est une succession de trois miniatures légèrement contemplatives appelant sans doute plus à la rêverie qu'au rêve proprement dit.La Romance pour violon et piano (1882) est une page intimiste et raffinée dans l'esprit des pièces de salon de l'époque. La Ballade pour violon et piano (1886) est une pièce plus ample, plus développée, d'un grand souffle, à l'introduction très lisztienne, et au foisonnement mélodique parfois véhément, mais parfaitement maitrisé par Manon Galy au violon et Célia Oneto Bensaïd au piano.
Après la magnifique Sonate pour violoncelle et piano, récemment enregistrée, voici donc un autre pan de la musique de chambre de Marie Jaëll qui sort de l'ombre. Il reste d'autres pépites (dont une Sonate pour violon). Vivement la suite.











