Organon, ou l’art du dialogue entre Noé Soulier et Tarek Atoui
Le travail commun du chorégraphe Noé Soulier et du performeur sonore Tarek Atoui, Organon, montré à la Ménagerie de Verre avec le Centre Pompidou, dans le cadre du Festival d'Automne à Paris, donne un résultat bluffant et interpellant, où le corps et le son s'épousent, et se complètent.
L'un, Noé Soulier, est chorégraphe précoce, aujourd'hui directeur du prestigieux CNDC d'Angers (Centre national de danse contemporaine), l'autre, Tarek Atoui, est artiste sonore, exposé à la Biennale de Venise, dans la Collection Pinault, ou à la Tate Modern. La danse et le son. Un mariage de raison, qui devait bien finir par se faire entre les deux artistes, Noé Soulier aimant à décortiquer la naissance d'un geste.
Ici, dans cette création pour le Festival d'Automne, dont il est familier, ayant fait l'objet d'un vaste « Portrait » en 2023, il est dans son élément avec les installations délicates et complexes de son complice libanais. On regrette d'ailleurs de ne pas comprendre davantage la façon dont fonctionnent les « instruments » de Tarek Atoui. Il faut aller ensuite (mais l'idéal eût été de les décrypter avant, ce qui n'est pas vraiment proposé) sur le plateau de la Ménagerie de verre (un simple lino accessible puisque le public peut même choisir de s'y installer pour le spectacle). On découvre alors de géniales constructions : un vieux bassin en pierre qui recueille des gouttes d'eaux tombant sur une cymbale, des panneaux en fer grattés mettant alors en route des sons externes, une vielle à roue électrique, des carrés de tissus se mettant à résonner lorsqu'on bouge dessus, une grosse caisse accueillant une boule sonore, des fils électriques qui permettent de donner du son aux mouvements de deux danseurs en danse contact permanente.
Tous ces instruments sont soit indépendants des corps, soit activés par les corps, soit issus de ces mêmes corps en mouvement. La performance est donc à part égale entre le son et la danse, qui sont tous deux l'origine et la conséquence de l'autre. L'idée est forte et fait venir une foule de questions. Mais le fait même de ne pas connaître auparavant les instruments nous laisse pour une part au bord du chemin. Comme si la performance chorégraphique devait dominer sur l'installation muséale. Sans doute est-ce le but même de ces deux créateurs qui se suffisent aussi à eux-mêmes. Cela montre aussi la timidité du public qui n'ose pas fouler le sacro-saint plateau de scène.
Reste la danse de Noé Soulier. Elle est âpre, et sans concession pour ses six danseurs, soumis à rude épreuve. Car son style est, l'air de rien, extrêmement physique, misant sur la lenteur qui n'est jamais ennuyeuse d'ailleurs, mais qui donne à comprendre toute la douce maturation du mouvement. Une longue arabesque corps en avant peut soudain lentement bouger par le simple torse qui se tourne et se soulève vers le haut. Deux filles se touchent lentement par le bras, la main, la joue, et d'autres se rejoignent formant un curieux amalgame de corps cherchant leur place. Les torses se meuvent en alternant mélodie et rythme, douceur du mouvement et jet soudain de la jambe, épousant ainsi de manière bluffante le jet du son. Mais qui mène quoi ? Les danseurs doivent-ils majoritairement écouter les sons ? Ou en sont-ils majoritairement à l'origine ? Mystère… L'expérience de ce mariage son-mouvement-image est vraiment belle, et laisse, en sortant, un effluve d'émotions et d'étonnement aussi hypnotisante que somnambulique…
Crédits photographiques : © Anna Van Waeg
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