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Noé Soulier, jeune chorégraphe français d’aujourd’hui

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Créations souvent confidentielles, univers élitiste peu représenté dans les cursus des conservatoires et bien trop absent des programmes de l’éducation musicale dans les écoles… Difficile pour un spectateur lambda de percevoir les nouveaux langages de la musique et de la danse contemporaines ainsi que ses nouveaux acteurs. Quels sont aujourd’hui les jeunes compositeurs et chorégraphes de notre pays qui vont nourrir la création musicale et chorégraphique de demain ? ResMusica propose une série de portraits de cette nouvelle génération de compositeurs et chorégraphes français qui, portés par une ferveur créatrice, ont encore tout à démontrer. Pour accéder au dossier complet : Jeunes compositeurs et chorégraphes français d’aujourd’hui

 
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Tout juste nommé au Centre national de danse contemporaine d'Angers, dont il prendra la direction en juillet 2020, est un jeune chorégraphe atypique au pedigree parfait. Formé à la danse classique au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, il parfait sa formation d'interprète à Parts à Bruxelles. C'est également en Belgique que naîtra une vocation de chorégraphe qui conjugue précision du mouvement et exactitude du geste.

Mouvement sur mouvement3_ © Noé Soulier

« Je suis passé directement de L'Oiseau bleu à Set and Reset. »

Le premier contact de avec la danse est un spectacle de , sur la musique de , qu'il voit à l'âge de six ans et qui lui paraît comme un monde parallèle. « J'habitais à Nîmes, où la présence du corps dans la rue à travers la feria et la corrida dégageait quelque chose d'assez fascinant. » Dès l'âge de sept ans, il fréquente le Conservatoire de Montpellier, où son professeur n'est autre que Jean Pierre Alvarez, un ancien danseur de . Il garde un excellent souvenir de ses cours pleins de douceur, de rigueur mais sans tension. « J'ai eu envie de faire de la danse classique car nous avons la chance, en France, de bénéficier d'un maillage exceptionnel de conservatoires. »

Après un an et demi à Montpellier, il rejoint le Conservatoire de Lyon, où ses parents avaient déménagés. « Je me suis davantage plongé dans la danse classique car j'avais l'impression qu'il n'y avait pas une technique aussi identifiée et répertoriée dans les cours de danse contemporaine. » Admis à l'École de danse de l'Opéra de Paris, il n'y reste que deux semaines, avant d'étudier au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris en section classique. À 16 ans, il obtient une bourse pour l'École nationale de ballet du Canada, à Toronto, très innovante dans sa pédagogie et sa méthodologie, et de fait très stimulante. Enfin, il parfait sa formation de 19 à 22 ans à l'école Parts à Bruxelles, qui forme à la fois des interprètes et des créateurs.

A Parts, il aborde les techniques de 1970 à nos jours, sans continuité avec ce qu'il avait étudié auparavant. « Les techniques allant des années 30 aux années 60 sont peu explorées dans mon parcours. Je suis passé directement de L'Oiseau bleu à Set and Reset. Il y avait dans ce répertoire nouveau pour moi une volonté organique de partir du corps lui-même, sans le brusquer, en étant le plus économe possible en matière de tensions musculaires. C'était à l'opposé de la danse classique, où la discipline et le contrôle du corps portent sur la forme. »

« Les mouvements classiques ont une capacité surprenante à être enchaînés, même par ordre alphabétique. »

En entrant à Parts, pensait qu'il passerait par la case « interprète ». Mais pendant ses années d'études, il a utilisé le temps et l'espace qui lui étaient proposés « pour tester des choses » et devenir chorégraphe… En 2009, il crée le solo Le Royaume des ombres qu'il tourne toujours aujourd'hui. « J'avais eu l'idée de prendre les pas classiques et de jouer uniquement sur la syntaxe en les classant par ordre alphabétique : arabesque, attitude, ballonné… Ces mouvements ont une capacité à être enchaînés qui m'a surpris. Suivait une autre séquence avec uniquement des pas de préparation dont le résultat était beaucoup plus en ligne et produisait un effet comique. » Noé Soulier va reprendre cette pièce avec en décembre 2019 au Festival de danse de Cannes, où elle sera complétée par Signe blanc, qui décline quatre-vingts gestes de la danse classique en partant du vocabulaire de la pantomime. Bluffées par sa connaissance du vocabulaire de la danse classique, des compagnies françaises de ballet lui passent commande. En 2011, il créée D'un pays lointain pour le Ballet du Rhin, puis Corps de ballet pour le en 2014. « Je suis assez content d'avoir tout de suite travaillé avec d'autres compagnies, en France, mais aussi à l'étranger comme le Los Angeles Dance Project, sur mon approche du mouvement. Comment transmettre à des danseurs qui n'ont pas l'habitude de travailler avec moi, dans un temps restreint ? »

Titulaire d'un master de philosophie de la Sorbonne obtenu à la suite de ses études à Parts, Noé Soulier se révèle aussi un brillant théoricien du mouvement. « Je me suis intéressé à la facture du mouvement et j'ai essayé de décrypter les différentes approches du mouvement de chorégraphes majeurs comme , , ou . » Il observe que si l'on aborde le mouvement géométriquement, ou théâtralement, ou musicalement, on forge des réalités différentes. Il voit, par exemple, que la différence majeure entre Cunningham et Balanchine, c'est l'alignement par l'extension pour l'un et l'alignement par agencement pour l'autre. Il compare le corps fragmenté, ergonomique, du travail de dans les années 90, un corps nouveau qui reflète quelque chose de cette époque, au corps joyeux et utopique mis en mouvement par qui insuffle quelque chose de l'esprit des années 70. Enfin, il s'intéresse au lien très profond qui existe entre ces problèmes formels et la dimension humaine, existentielle, éthique ou politique. « J'ai passé beaucoup de temps à regarder des vidéos et des années à les analyser avant de parvenir à développer un langage clair, commun, compréhensible par tous. » Cette réflexion théorique trouve son aboutissement dans le livre Actions, mouvements et gestes, publié en 2016 aux éditions du . Elle est au cœur des interventions, des conférences et des ateliers qu'il donne régulièrement. Il envisage de les diffuser davantage via d'autres médias, comme de courtes vidéos qu'il pourrait, pourquoi pas, diffuser sur YouTube.

« En abordant la danse par des gestes pratiques qui ne permettaient pas forcément de reconnaître l'action, j'avais envie de rendre l'expérience du mouvement possible. »

Le travail chorégraphique de Noé Soulier n'est pas éloigné de l'analyse théorique des chorégraphes qui l'ont précédé. En 2010, il est lauréat du premier prix du concours Danse Élargie, organisé par le Théâtre de la Ville et le Musée de la Danse, avec le trio Petites perceptions. « Dans mon travail, j'ai essayé de développer une écriture chorégraphique qui s'articulerait à partir d'autres paramètres, de créer des mouvements qui ne soit pas définis géométriquement, mais mus par des buts concrets : lancer, attraper… En abordant la danse par des gestes pratiques qui ne permettaient pas forcément de reconnaître l'action, j'avais envie de rendre l'expérience du mouvement possible. » Suivront Removing, Faits et gestes et enfin Les Vagues, créé en 2019 au Théâtre national de Chaillot.

Avant de la présenter aux Subsistances à Lyon, il a créé au à Pantin une pièce un peu particulière, Portrait de Frédéric Tavernini, commande initiale de la compagnie réunissant des danseurs ayant déjà une carrière importante. « J'ai demandé à Frédéric Tavernini la liste de tout ce qu'il avait dansé et de tout ce dont il se souvenait, comme Les quatre tempéraments ou Apollon, et je lui ai demandé de décrire ces pièces par des gestes. Il ne peut plus danser ces variations exactement comme avant. Cependant, il ne pourrait pas les montrer comme il le fait, s'il ne les avait pas beaucoup dansées auparavant. » Une autre strate est apparue aux deux hommes en retravaillant sur ce solo. « Frédéric Tavernini a plein de tatouages, tous liés à des événements importants de sa vie personnelle. C'est une sorte de biographie gravée sur son corps. Cela génère une autre dimension plus personnelle qui vient croiser ce parcours de danseur. Je l'accompagne au piano en reprenant des extraits musicaux des pièces, ce qui permet de jouer la musique originale sur les pièces qui décrivent la danse. » Car Noé Soulier est aussi claveciniste et pianiste, à un niveau qui lui permet de jouer sur scène.

« Je cherche à explorer des modes de composition indirecte, décentralisée, où les interprètes sont libres d'associer les séquences de mouvement pour générer un tissu chorégraphique très organique. »

Les années qui viennent seront riches pour Noé Soulier, qui tournera en 2020 dans le cadre de Monuments en mouvement avec le projet Passages. « Il s'agit de développer un répertoire de modules qui peuvent s'adapter à un volume plus ou moins important de danseurs et dans des lieux historiques très différents, qui pourront révéler différentes dimensions. » En 2021, sa prochaine création poursuivra l'exploration de la relation avec la musique live initiée dans Les Vagues. « Je cherche à explorer des modes de composition indirecte, décentralisée, où les interprètes sont libres d'associer les séquences de mouvement pour générer un tissu chorégraphique très organique. Nous prolongerons cela avec une création musicale en explorant différents types de relations dans le mouvement. » Il y a aussi d'autres projets comme une création pour , une reprise de Performing Art, créé au Centre Pompidou, dans d'autres musées comme la Biennale d'art contemporain à Istanbul ou le Mucem à Marseille.

Dès juillet 2020, il prendra la direction du Centre national de danse contemporaine d'Angers. « Le ministre de la Culture vient de signer la lettre d'agrément, ce qui me laisse un an pour préparer et établir la transition avec l'équipe en place. » Alors qu'il y a de plus en plus d'écoles de danse dans le monde et une concurrence qui grandit, l'enjeu pour Noé Soulier est d'attirer à Angers les meilleurs profils et de réinventer ce qu'est une école supérieure de danse. « L'enseignement des langages chorégraphiques est inséparable de la question de la transmission et de la formation. Il y a encore un certain nombre d'écoles dont le socle technique va des années 30 aux années 60, comme la Julliard School ou de nombreux conservatoires, qui offrent une formation d'interprète. La formation du doit permettre aux élèves de trouver leur identité. »

Crédits photographiques : © Noé Soulier

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