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Figaro et les autres, une nouvelle version lyrique par Johanna Doderer avec Der Tollste Tag

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Munich. Gärtnerplatztheater. 10-X-2025. Johanna Doderer (née en 1960) : Der tollste Tag, opéra d’après la pièce de Peter Turrini, inspirée du Mariage de Figaro de Beaumarchais. Mise en scène : Josef E. Köpplinger ; décor : Heiko Pfützner ; costumes : Birte Wallbaum. Avec Daniel Gutmann (Figaro), Anna-Katharina Tonauer (Susanne), Daniel Schliewa (Comte Almaviva), Réka Kristóf (Comtesse Almaviva), Paul Clementi (Cherubin), Juan Carlos Falcón (Bazillus), Levente Páll (Bartholo), Anna Agathonos (Marcelline)… Orchester des Staatstheaters am Gärtnerplatz, direction : Eduardo Browne

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Sur un livret de Peter Turrini, la compositrice autrichienne crée à Munich un nouvel opéra trop efficace pour être profond.

Der tollste Tag, la plus folle journée, mais aussi, pourquoi pas, le plus beau jour : le titre du nouvel opéra de suffit à l'indiquer, il sera question de Figaro et de son mariage dans cette œuvre nouvelle, vue le soir de sa création mondiale au théâtre de la Gärtnerplatz, le second opéra de Munich, qui lui avait déjà commandé deux opéras. Le livret, lui, n'est pourtant pas nouveau ; il n'est autre qu'une version raccourcie de la pièce homonyme de Peter Turrini par lui-même. Le spectateur y retrouve d'abord ses habitudes, tant elle suit fidèlement la trame de la pièce et de l'opéra bien connus, tout en accumulant les mots d'esprit qui entendent donner un sens nouveau à la pièce. Progressivement cependant, le texte s'écarte de ces modèles : le procès intenté par Marcelline s'achève en catastrophe pour Figaro. Plus rien n'arrête le comte bien décidé à prendre son dû imaginaire : Figaro le prend sur le fait et le tue.

Dès l'ouverture, avec ses fanfares de cuivres néobaroques, nous met dans l'ambiance : l'efficacité presque cinématographique de sa musique est au service de la narration et des traits d'esprit de la pièce de Turrini. Un élément essentiel de structure de l'œuvre est la présence d'une série d' »airs », moments où l'action s'arrête pour laisser à différents personnages l'occasion de présenter leur point de vue. Ces arie ne sont pourtant pas des airs d'opéra au sens classique, et d'ailleurs Chérubin, interprété par un acteur, en a un au même titre que Marcelline ou Suzanne : ces monologues sont en quelque sorte des interprétations du destin des personnages par eux-mêmes, mais ils ne se distinguent qu'à peine, en matière d'écriture vocale, du reste d'une partition où le flux de la parole reste primordial. Il s'en dégage néanmoins une certaine émotion, et en cela ils jouent bien leur rôle : le moment le plus émouvant de la soirée est sans aucun doute l'air de Marcelline, qui revendique son droit d'exister et d'avoir des émotions sans se laisser mettre hors jeu comme tous les autres personnages le voudraient.

La pièce date de 1971, et cela se sent  – la satire sociale qu'entend présenter Turrini n'est pas grand-chose par rapport à ce que faisaient à la même époque ses contemporains comme Thomas Bernhard ou Martin Sperr, et bientôt Elfriede Jelinek, dont la première pièce en 1977 prend elle aussi appui sur un classique, La maison de poupée d'Ibsen, pour en décupler les résonances féministes contemporaines. Sans compter que le grand dramaturge Ödön von Horvath avait su réinventer un Figaro contemporain autrement plus pertinent en 1937, dans le contexte du nazisme. Mettre en avant les rôles féminins, s'intéresser aux désirs de la comtesse et de Marcelline, c'est un bon début, mais avec un esprit bon enfant qui se garde bien d'appuyer où ça fait mal. Le public se laisse prendre par la comédie, comédie de situations comme jeux avec la langue, et on entend quelques rires, ce qui n'est pas mauvais signe, mais on est plus proche du théâtre de boulevard que d'une véritable critique sociale. Ce n'était pas si audacieux pour les années 1970, et cela paraît aujourd'hui franchement dépassé.

La musique de est parfaitement en harmonie avec ce livret, et la mise en scène très classique de l'intendant de la maison, Josef Köpplinger, ne cherche pas non plus à trouver ce qui n'y est pas. La musique a une réelle vivacité, une capacité de caméléon à s'adapter à chaque situation, mais elle manque terriblement d'une identité sonore propre, d'une capacité à imposer sa voix au-delà de ce qui est déjà, (trop) explicitement, dans le livret.

L'équivalent des deux premiers actes de l'opéra de Mozart occupe dans l'opéra nouveau plus de 80 des 100 minutes que dure l'œuvre ; la scène de procès qui suit, où Figaro est condamné à épouser Marcelline, marque le début de la déviation, mais la musique ne suit pas vraiment, et on s'ennuie de plus en plus dans cette pourtant brève conclusion. Il reste encore un petit épilogue à cette comédie devenue drame : Bazillus, encore plus manipulateur que les Basilio de Beaumarchais et de Mozart, sort de sa tanière pour proclamer la révolution – fin ambiguë s'il en est, puisqu'il n'apparaît ici que comme le profiteur d'une colère légitime, comme si tout désir de changer les choses ne pouvait aboutir qu'à un détournement par des petits malins.

Si le spectacle se laisse suivre sans déplaisir, c'est d'abord grâce à la troupe des chanteurs du théâtre de la Gärtnerplatz : l'orchestre, certes, s'acquitte très honorablement de son rôle, mais l'écriture de Doderer n'est pas assez inventive pour qu'on y voie autre chose qu'un accompagnement. Le couple aristocratique ( et Réka Kristóf) ne manque pas d'atouts, mais les valets (Daniel Gutmann et ) sont autrement plus percutants, et pas seulement parce que leurs rôles le sont aussi. Dans le rôle de Marcelline, leur vole pourtant la vedette, naviguant avec maestria entre émotion et comédie.

Crédits photographiques : © Markus Tordik

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Munich. Gärtnerplatztheater. 10-X-2025. Johanna Doderer (née en 1960) : Der tollste Tag, opéra d’après la pièce de Peter Turrini, inspirée du Mariage de Figaro de Beaumarchais. Mise en scène : Josef E. Köpplinger ; décor : Heiko Pfützner ; costumes : Birte Wallbaum. Avec Daniel Gutmann (Figaro), Anna-Katharina Tonauer (Susanne), Daniel Schliewa (Comte Almaviva), Réka Kristóf (Comtesse Almaviva), Paul Clementi (Cherubin), Juan Carlos Falcón (Bazillus), Levente Páll (Bartholo), Anna Agathonos (Marcelline)… Orchester des Staatstheaters am Gärtnerplatz, direction : Eduardo Browne

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