Disponible en Blu-Ray, la mise en scène des Noces de Figaro par Barrie Kosky
Les Noces de Figaro de Mozart à Vienne dans la mise en scène de Barrie Kosky : un spectacle vif et stimulant, enlevé par une jeune et brillante distribution.
C'est depuis le printemps 2023 que les Viennois ont la chance d'admirer cette très belle production des Noces de Figaro, tout à fait fidèle à l'esprit de Mozart et de Da Ponte dans son pétillement permanent et dans le message social qu'elle cherche à faire passer. Située à l'époque moderne à en croire les superbes costumes, velours et soieries de Victoria Behr, très années 70 avec leurs cols pelle à tarte et leurs pantalons pattes d'eph, l'action ne se déroule pas moins dans les salles d'un superbe château rococo, même si le premier acte ne montre guère plus que les murs blancs moulurés de la future chambre de Figaro et de Suzanne. Le quatrième se passe sur un plan incliné sur lequel est peint une forêt, et qui présente de multiples trappes d'où entrent et sortent tous les personnages au gré de l'action. Très habile dispositif qui permet de rendre compte avec clarté et précision d'une action scénique qui n'est tout de même pas de la plus grande simplicité et qui est ici scrupuleusement respectée. De ce château très XVIIIe siècle, Suzanne, vêtue en simple soubrette d'hôtel, astique et fait briller les cuivres, aidée en cela des divers produits qu'elle véhicule sur son chariot de camériste. Figaro lui aussi porte l'uniforme d'un domestique, détail qui remet en perspective les relations complexes entre les quatre principaux personnages de l'opéra.
La distribution est très convaincante, autant pour son jeu que pour son chant. Sans doute est-elle dominée par les deux barytons, qui rivalisent de santé vocale et d'à-propos dramatique. Accentuant peut-être plus que de raison sa ressemblance physique avec le regretté Hermann Prey, grand Figaro d'un autre âge, Peter Kellner crève le plateau par son élan et sa vivacité, faisant valoir un baryton chaud et vibrant ainsi qu'une musicalité sans faille qui en fait incontestablement un des meilleurs titulaires du rôle. Pour son troisième conte d'Almaviva en vidéo pour le même label, Andrè Schuen semble incomparable dans un rôle dont il maîtrise tous les aspects vocaux et scéniques. Carnassier au point d'en être menaçant – le deuxième acte n'est pas loin de montrer un viol conjugal –, il sait évidemment se faire séducteur et enjôleur quand il s'agit d'arriver à ses fins. Vocalement, il est sans rival aujourd'hui, autant dans les vocalises de son air que dans l'onctuosité de son legato. Face à lui, Hanna-Elisabeth Müller est une comtesse dans la meilleure tradition viennoise, munie d'un soprano lyrique autrefois léger et aujourd'hui d'une belle ampleur, à telle enseigne qu'on ne serait pas étonné de voir cette belle interprète se diriger vers les grands emplois straussiens et wagnériens dans les années à venir. Sur ce DVD, Susanna est jouée par Ying Fang mais, en raison d'une indisposition passagère de la soprano, le rôle est chanté depuis la fosse par Maria Nazarova avec un timbre délicatement fruité visiblement très apprécié du public qui lui fait une ovation au dernier acte. Le réalisateur Leopold Knötzl n'hésite pas à filmer les deux chanteuses, créant à certains moments des effets de distanciation tout à fait intéressants sur le plan dramatique. Si l'on peut avoir quelques interrogations sur la manière dont Barrie Kosky choisit de montrer Chérubin, un jeune garçon à la recherche de son identité de genre, on ne peut que se féliciter de la manière délicieusement comique, légèrement outrancière, dont il traite le trio Marcellina-Basilio-Bartolo. Ces derniers sont interprétés par les solides troupiers de l'Opéra de Vienne, dont on admire une fois encore la qualité et le professionnalisme. Cherubino est superbement chanté par la mezzo-soprano Patricia Nolz, très saluée à l'applaudimètre.
La fête ne serait pas complète sans la partie orchestrale et chorale. Le chœur n'est pas très sollicité dans cet opéra, mais Barrie Kosky sait utiliser ces rares instants pour suggérer toute la grogne sociale qui menace les équilibres politiques atteints au château d'Almaviva. À la tête de l'orchestre de la maison, Philippe Jordan crée des effets dynamiques et rythmiques tout à fait plaisants, insufflant force et vivacité à l'une des partitions les plus stimulantes du répertoire lyrique.
On se réjouit qu'ont pu être fixés pour l'éternité les premiers interprètes de cette mise en scène particulièrement réussie. Une production en tout point mémorable qu'on verra sans doute de nombreuses années à Vienne.















