Festivals, La Scène, Spectacles divers

Immersions sensorielles au festival Aujourd’hui Musiques de Perpignan

Plus de détails

Perpignan. Festival Aujourd’hui Musique. 14 au 16-XI-2025
14-XI. verrière d’accueil. Philip Glass (né en 1937) : quatuor à cordes n°3 ; Marc Mellits (né en 1966) : Quatuor n°3, Tapas. Quatuor Opale.
14-XI. Grenat. Steve Reich (né en 1936) : Music for Mallet instruments, Voices and Organ ; Six Marimbas ; Proverb pour 5 voix et percussions ; ensemble Links ; ensemble Sequenza 9.3. Direction : Rémi Durupt.
15-XI. Studio. Bruits Blancs #15 : Claire Rengade ; Rémi Checchetto, Nathalie Yot, auteurs ; ErikM, Dafne Vicente-Sandoval, Bruno Chevillon, musiciens. Cie d’Autres Cordes ; Franck Vigroux et Michel Simonot, directeurs artistiques.
16-XI. Grenat. Gaspar Claus (né en 1983) : Simple Music for Difficult Times ; Gaspar Claus, composition et violoncelle ; Adrian Bourget, collaboration artistique et design sonore ; Maxime Baron, scénographie et lumières.

Partager

Festival de la création sonore et visuelle à Perpignan, Aujourd'hui Musiques, emmené par sa directrice Jackie Surjus-Collet, poursuit son exploration des territoires artistiques où son, geste, image et texte interfèrent et créent du lien avec le monde du vivant.

Le concert d'ouverture fait la part belle à la pulsation et à la répétition : avec le quatuor à cordes Opale d'abord – Anne Gallo-Selva et Alexia Turiaf (violons), Charlotte Chollet (alto) et Shani Megret (violoncelle), quatre filles épatantes (et professeurs au Conservatoire de Perpignan) « en phase » avec deux compositeurs américains, que l'on écoute dans la verrière d'accueil de l'Archipel avant le concert du soir. Deux quatuors à cordes sont au programme : de Philip Glass, le Quatuor n° 3 Mishima est en six mouvements et autant d'étapes d'un voyage auquel nous invitent les quatre musiciennes, entre vignettes sentimentales et vitalité de la pulsation. Post-minimaliste, est plus éclectique dans l'écriture des huit numéros de son Quatuor n° 3, Tapas, une découverte qui met en valeur toutes les facettes de cette belle phalange perpignanaise.

Fidèle du festival, l' (percussions et claviers) revient sur la scène du Grenat avec la musique de et un nouveau programme affichant trois pièces rares du minimaliste américain avec lequel il a tissé des liens étroits. Pour une musique appelant le calme intérieur des interprètes comme celui de l'auditoire, se diffuse une lumière douce mêlant le bleu sombre et l'orangé.

Quatre chanteuses de l'ensemble vocal sont dans les rangs des musiciens pour Music for Mallet instruments, voices and organ (1973), une pièce sans texte où les voix viennent iriser la résonance des claviers : voix hautes près des vibraphones et glockenspiel, plus sombres (alti) pour les marimbas. Elles chantent avec et comme les instruments, en phase avec l'orgue qui pose ses accords dans un balancement harmonique à plusieurs vitesses. La répétition creuse l'écoute, révélant sur la longueur des émergences mélodiques inattendues.

Les changements de plateau s'effectuent dans le noir, avec la voix off de , sereine autant que chaleureuse, au micro du producteur de France Musique Arnaud Merlin.

Le charme opère dans Six Marimbas (1986), entretenant la douce résonance des lames de bois à la faveur du geste aussi stable que détendu des six musiciens. La technique du déphasage (ajout ou retrait d'une note dans la boucle mélodique) maintient l'oreille en alerte, activant l'ambiguïté du mobile dans l'immobile.

est à la tête de son ensemble (cinq chanteurs, deux orgues et deux vibraphones) dans Proverb (1995). Reich prend ses distances vis-à-vis de la pure répétition, le New-Yorkais puisant son inspiration dans la musique du Moyen Âge, celle de l'organum à vocalises de Pérotin. Les voix très pures des trois sopranos (Faustine Rousselet, Céline Boucart et Amélie Raison) qui débutent la pièce a cappella tissent des canons lents laissant aux ténors (Laurent David et Steve Zheng) la partie plus rythmée et vocalisée du « jubilus ». Superbes, les voix sont ici conductrices, accompagnées par les deux orgues (Laurent Durupt et Trami NGuyen) et la pulsation des vibraphones. Le texte à l'appui est chanté au début et à la fin de la pièce : How small thought it takes to feel a whole life (« Il suffit d'une pensée minuscule pour remplir toute une vie »). règle au cordeau les mécanismes de cette belle architecture sonore balançant entre ferveur du sacré et résonance contemporaine.

Duos in vivo

 

La performance a lieu au 7e étage de l'Archipel, répondant aux objectifs de « Bruits blancs », un festival itinérant imaginé par Franck Vigroux et Michel Simonot qu'accueille pour la deuxième fois la scène nationale de Perpignan. Sur ce plateau des hauteurs, s'invitent trois duos mettant en scène tous les artistes, des rencontres uniques (les deux partenaires ne sont pas censés se connaître et n'ont jamais joué ensemble) où le verbe croise le son dans l'instant de l'improvisation.

est assise à sa table de mixage, avec quelques accessoires et une platine qu'elle fait tourner par intermittence. C'est le son qui arrive en premier, une fréquence haute qui d'emblée signale l'économie de moyens qui sera celle de la musicienne. Sans doute les deux artistes se sont-elles parlées avant la performance, partageant dès le début les thématiques de l'eau et de la mémoire qui irriguent le texte écrit de Nathalie Yot. Son propos est au féminin, qui évoque ses souvenirs d'enfance, ses réflexions sur la vie, rien que des choses intimes dites dans un débit égal et une voix bien posée. Rythmant le flux de la parole, des « conjonctions de coordinations » lancées hors micros (donc, par ailleurs, en tout cas, alors que, ceci dit, malgré tout, quand bien même, sauf que, etc.) mettent de la distance et donnent de l'espace aux instances sonores de (souffle, halètement du chien, enfant qui compte ou qui rit, voix de l'autrice souvent en écho), autant de vignettes sonores aussi sobres qu'allusives qui rejoignent la voix parlée : sensible et envoûtant.

La matière est plus hérissée et le ton plus dramatique dans Et pourquoi ça s'arrêterait la guerre, deuxième duo où s'affrontent (plus qu'ils ne se fondent) le jazzman Bruno Chevillon et sa contrebasse « augmentée » (traitements sonores avec pédales d'effet) côtoyant Rémi Checchetto, poète et auteur dramatique dont la voix au débit soutenu et fort en décibel peine à s'harmoniser avec le jeu de son partenaire. On entend l'un et l'autre (ils interviennent d'ailleurs plusieurs fois en solo) mais plus rarement l'un avec l'autre… avant cette dernière séquence très réussie où Chevillon, sans son archet, joue avec les sons harmoniques amplifiés de sa basse, musique filtrée et discordante qui absorbe progressivement les mots de Rémi Checchetto décrivant de façon presque insoutenable les horreurs de la guerre.

 

Contrairement aux deux premiers duos, c'est l'autrice Claire Rengade, défiant son partenaire ErikM, qui devance la musique, s'adressant de manière très théâtrale au public avec ce propos plein d'ambivalence qu'elle conservera durant toute la séquence. Pas de texte écrit pour cette performeuse au verbe haut et à la verve d'enfer à laquelle répond de manière très pertinente l'univers bruité et éruptif d'ErikM. Platiniste très recherché des années 2000, l'artiste sonore a aujourd'hui sur sa console de nouveaux outils plus sophistiqués servant une improvisation qui allie beauté du geste et richesse des figures sonores. Claire Rengade est à l'écoute, mêlant avec une virtuosité confondante ses propres histoires et des réactions « à chaud » qui déclenchent le rire, y compris celui de son partenaire. Les deux artistes se reçoivent 5 sur 5, se stimulant l'un l'autre dans un ping-pong ludique autant qu'hystérique, comme s'ils avaient tenu la scène ensemble toute leur vie : fascinant !

Un violoncelliste en sa cage

Une cage de verre, de la fumée, quelques tubes LED et la magie des lumières : c'est le dispositif scénique (Maxime Baron) du one-man-show Simple Music for difficult times du violoncelliste et compositeur . Enfant du pays, il est accueilli avec ferveur sur la scène du Grenat archicomble : avec son violoncelle « augmenté » intégrant traitements sonores et dispositifs numériques, c'est une heure de spectacle immersif et chargé d'émotion qu'a conçue avec ses deux collaborateurs (Adrian Bourget aux manettes et Maxime Baron à la scénographiue et aux lumières), voyage itinérant qu'il interrompt à mi-parcours pour parler à son public.

Émergeant du nuage de fumée qu'accompagne au début de la performance le vrombissement puissant d'un drone, fait naître sous son archet la mélodie. Le principe d'accompagnement est simple : une cellule mélodico-rythmique jouée par le violoncelliste et relayée par l'électronique qui la met en boucle, sorte de « ground » qui donne le ton, la couleur et ouvre le champ harmonique, laissant alors l'archet libre de ses mouvements. Les sources d'inspiration sont multiples, de Bach au rock progressif. Le profil mélodique sur une échelle à cinq sons regarde vers l'Asie, les courbes plus lascives et les sons glissés ont un parfum de Moyen-Orient. Frappé sur la caisse de son instrument, on y entend (peut-être) le rythme d'une petenera andalouse, un répertoire que Gaspar Claus connait bien, légué par son père, le célèbre guitariste Pedro Soler. Le jeu est toujours sensible, la ligne très contrôlée et d'une parfaite intonation, s'élevant parfois dans l'extrême aigu du registre (sons harmoniques) ou gagnant en décibels dans des moments de saturation au bénéfice d'une spatialisation généreuse. À deux reprises, Gaspard délaisse son violoncelle, testant le pouvoir sonore (frottement, résonance, déflagration, etc.) de tubes métalliques sonorisés visibles au-dessus de sa tête. L'émotion culmine dans cette séquence en bariolages (mise en résonance des quatre cordes par le mouvement oscillatoire de l'archet), ce geste instrumental aussi simple que beau qu'active le violoncelliste pour diffracter les sons de la ligne mélodique.

Le retour de la salle est plus que chaleureux… Une standing ovation pour Gaspar Claus qui, sorti de sa cage pour être au plus près de son public, offre en bis et en acoustique la sarabande de la Suite en ré mineur de JS Bach.

Crédit photographique : © FAM Fabrice Laurent

(Visited 93 times, 1 visits today)
Partager

Plus de détails

Perpignan. Festival Aujourd’hui Musique. 14 au 16-XI-2025
14-XI. verrière d’accueil. Philip Glass (né en 1937) : quatuor à cordes n°3 ; Marc Mellits (né en 1966) : Quatuor n°3, Tapas. Quatuor Opale.
14-XI. Grenat. Steve Reich (né en 1936) : Music for Mallet instruments, Voices and Organ ; Six Marimbas ; Proverb pour 5 voix et percussions ; ensemble Links ; ensemble Sequenza 9.3. Direction : Rémi Durupt.
15-XI. Studio. Bruits Blancs #15 : Claire Rengade ; Rémi Checchetto, Nathalie Yot, auteurs ; ErikM, Dafne Vicente-Sandoval, Bruno Chevillon, musiciens. Cie d’Autres Cordes ; Franck Vigroux et Michel Simonot, directeurs artistiques.
16-XI. Grenat. Gaspar Claus (né en 1983) : Simple Music for Difficult Times ; Gaspar Claus, composition et violoncelle ; Adrian Bourget, collaboration artistique et design sonore ; Maxime Baron, scénographie et lumières.

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Reproduire cet article : Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le faire savoir sur votre site, votre blog, etc. ! Le site de ResMusica est protégé par la propriété intellectuelle, mais vous pouvez reproduire de courtes citations de cet article, à condition de faire un lien vers cette page. Pour toute demande de reproduction du texte, écrivez-nous en citant la source que vous voulez reproduire ainsi que le site sur lequel il sera éventuellement autorisé à être reproduit.