Concerts, La Scène, Musique symphonique

Concert de clôture de Boulez 100 à la Cité de la musique

Plus de détails

Paris. Salle des concerts de la Cité de la musique. 12-XII-2025. Pierre Boulez (1925-2016) : Poésie pour pouvoir pour bande magnétique (récitant) et trois orchestres ; Igor Stravinsky (1882-1971) : Symphonies d’instruments à vents (version de 1947) ; Betsy Jolas (née en 1926) : Ces belles années… pour soprano et orchestre ; Alban Berg (1885-1935) : Concerto pour violon “À la mémoire d’un ange”. Tamara Bounazou, soprano. Diego Tosi, violon. Yann Boudaud, voix enregistrée. Marco Stroppa et Carlo Laurenzi, reconstitution et interprétation de l’électronique Ircam. Luca Bagnoli, diffusion sonore Ircam. Ensemble intercontemporain, orchestre du Conservatoire de Paris ; direction : Pierre Bleuse et Jean Deroyer

Partager

Les célébrations du centenaire de sa naissance se referment sur un concert faisant ressusciter Poésie pour pouvoir (1958), pièce mixte que Pierre Boulez avait retirée de son catalogue. Lui sont associés deux chefs-d'œuvre qu'il dirigea à plusieurs reprises et la dernière production de .

 

C'est une idée assez singulière de vouloir faire vivre une musique que son créateur, réputé perfectionniste, mésestimait, surtout, il est vrai, à cause de sa réalisation à sa création à Donaueschingen, l'année même de sa composition. En 1958, la technique n'était pas suffisamment aboutie pour synchroniser parfaitement une écriture très exigeante associant trois ensembles et une bande électronique. En effet, Poésie pour pouvoir superpose, entremêle ou entrechoque des sons enregistrés comprenant la voix d'un récitant déclamant le poème “Je rame” d'Henri Michaux (du recueil Poésie pour pouvoir [1949]) et ceux d'instruments répartis en trois phalanges – l'orchestre des solistes, celui du milieu et celui d'en haut (à l'origine, elles étaient étagées) – dirigées par deux chefs ( et ). On comprend que la démarche de et , les artisans de la renaissance de cette partition, a été d'ordre historique et scientifique, car il s'agissait pour eux de donner à entendre l'une des toutes premières œuvres de musique mixte et, partant, de mettre en lumière le « chaînon manquant » (expression reprise à Christian Merlin, qui ce soir présente les morceaux) d'un parcours compositionnel. Deux années auront été nécessaires pour cette restauration à partir d'archives incomplètes, dont un enregistrement. La volonté de coller à l'original est allée jusqu'à la déformation par un algorithme de la récitation enregistrée de Yann Boudaud, de façon qu'on ait l'impression d'écouter la voix originale, celle de Michel Bouquet. Mais voilà, cet ouvrage est très daté. Car, même si l'on retrouve et aime ce mélange de raffinement et d'hystérie propre à Boulez, d'orchestres aux timbres variés, tour à tour alternés dans un va-et-vient chambriste, synchrones ou complètement indépendants, l'environnement électronique – diction parfois criée et souvent distordue, violents contrastes de profondeurs, halos, silences de labyrinthes… – évoque immanquablement les univers de deux autres Pierre : Schaeffer et Henry. Beau travail sans doute, celui aussi des directions parallèles et , mais avant tout pour les chercheurs de l'Ircam.

Les quelque 90 musiciens présents sur scène laissent la place à la vingtaine d'interprètes des Symphonies d'instruments à vents d', dans leur version de 1947. C'est un bijou de perfection formelle, de clarté froide et d'unité condensée, de musique pure en somme, où se perçoit l'exploration des possibilités des vents. Netteté, formalisme et fraîcheur, mais aussi douceur parfois (les flûtes rêveuses évoquant directement Debussy, dédicataire posthume du morceau écrit dans sa première version en 1920), toutes nuances que porte haut.

 

Changement radical d'univers avec Ces belles années… pour soprano et orchestre (2022) de (présente ce soir), page symphonique d'une étonnante légèreté, faite de citations non clairement identifiables, comme autant d'îlots de mémoire, qui confère aux souvenirs d'étés de la compositrice au Festival d'Aix-en-Provence une tonalité toute joyeuse. Le son imposant de la masse orchestrale est ainsi jovialement ponctué, successivement, de claquements de mains, des murmures enthousiastes de discussions et de tapements de pieds… jusqu'à l'éclat de rire général de la fin (Pierre Bleuse plié en deux sur son pupitre). Et l'intrusion sur scène au milieu de la pièce de la chanteuse , outre un bel effet de surprise, donne une centralité et une densité dramatique étonnantes.

 

La peau frissonne aux toutes premières mesures du Concerto pour violon “À la mémoire d'un ange” (1935) d', avec les cordes à vide du violon (sol-ré-la-mi), jouées sans vibrato la première fois. D'emblée, se montre le soliste qu'il est réellement : fragile et impérial à la fois. Sa concentration extrême, son expressivité, sa justesse et sa projection même sur les harmoniques ne sont jamais mises en défaut. Œuvre dense, sensible et lyrique dominée par la mort, le Concerto débouche sur une forme de consolation – celle que donne la foi – par la citation d'un choral de Bach. Ce dernier ainsi que les références populaires auraient mérité d'être davantage mis en relief par l'orchestre. Encore une fois, le public est conquis.

Crédits photographiques :  © Quentin Chevrier/EIC

(Visited 9 times, 8 visits today)
Partager

Plus de détails

Paris. Salle des concerts de la Cité de la musique. 12-XII-2025. Pierre Boulez (1925-2016) : Poésie pour pouvoir pour bande magnétique (récitant) et trois orchestres ; Igor Stravinsky (1882-1971) : Symphonies d’instruments à vents (version de 1947) ; Betsy Jolas (née en 1926) : Ces belles années… pour soprano et orchestre ; Alban Berg (1885-1935) : Concerto pour violon “À la mémoire d’un ange”. Tamara Bounazou, soprano. Diego Tosi, violon. Yann Boudaud, voix enregistrée. Marco Stroppa et Carlo Laurenzi, reconstitution et interprétation de l’électronique Ircam. Luca Bagnoli, diffusion sonore Ircam. Ensemble intercontemporain, orchestre du Conservatoire de Paris ; direction : Pierre Bleuse et Jean Deroyer

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Reproduire cet article : Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le faire savoir sur votre site, votre blog, etc. ! Le site de ResMusica est protégé par la propriété intellectuelle, mais vous pouvez reproduire de courtes citations de cet article, à condition de faire un lien vers cette page. Pour toute demande de reproduction du texte, écrivez-nous en citant la source que vous voulez reproduire ainsi que le site sur lequel il sera éventuellement autorisé à être reproduit.