Naissance à Auch dans l'église de Saint-Orens, d'un nouvel instrument, le « Modalio » (orgue augmenté) intégrant dans la console une interface de transformation des sons en direct : ou comment placer la spiritualité au centre de la pensée et de l'esthétique contemporaines.

Restauration et innovation

L'idée trottait dans la tête de Jean-Christophe Revel – cotitulaire des orgues Jean de Joyeuse de la Cathédrale d'Auch et responsable du département de musique ancienne au CRR de Paris – depuis 2019 ; à ses côtés, et pour mener à bien le projet, Alexander Mihalič, musicien et scientifique (qui a enseigné à l'Ircam) et Teresa Rosenberg (membre de la société Alter Instruments SAS), tous deux présents lors de la soirée d'inauguration. Ils ont conçu le « Modalio » et installé ce dispositif de transformation dans la console de l'orgue de Saint-Orens, en collaboration avec le facteur d'orgues Jean Daldosso alors en charge de la restauration de l'instrument.

Lors de la visite organisée par Jean-Christophe Revel, on admire d'abord la série des vitraux commandés au maître verrier toulousain Henri Guérin pour cette église néo-romane de toute beauté, avant de monter à la tribune où Alexander Mihalič nous explique comment cela fonctionne. Ainsi le Modalio repose-t-il sur un processus de captation (des micros placés à l'intérieur de l'orgue) et de transformation du son en temps réel contrôlée par des pédales (installées devant le pédalier de l'orgue) à l'instar des pédales d'effets de la guitare électrique. Une fois transformé, le son est diffusé à travers des enceintes situées de part et d'autre du buffet tandis qu'un retour son permet à l'organiste situé derrière le buffet d'entendre les sons transformés. Un écran tactile au-dessus du pupitre lui donne accès à la gestion des configurations et à l'enregistrement des concerts. Car l'orgue est augmenté et connecté, permettant d'archiver et d'exporter les fichiers sons.

En soirée, le concert luxuriant offert au public répond à deux objectifs : le premier est de laisser s'exprimer au clavier de l'orgue augmenté les cinq organistes conviés pour l'inauguration et le second de faire sonner l'instrument dans tous ses registres et potentialités, Modalio à l'œuvre, ou pas, car ce Poirier-Lieberknecht du XIXème siècle peut aussi être « déconnecté » et retrouver ses sonorités d'origine.

L'ouverture est à haut voltage (frisant la saturation) avec une improvisation échevelée de l'orgue augmenté (Jean-Marie Colin) et du glissotar, nouvelle lutherie née en 2016. C'est une sorte de saxophone soprano sans clefs muni d'un ruban magnétique sur lequel la main de l'interprète se déplace comme celle du violoniste sur ses cordes. Il permet les divisions les plus fines jusqu'au glissando et bien d'autres morphologies sonores inouïes qu'Étienne Rolin donne à entendre, volant un rien la vedette au Modalio !

Un répertoire pour le Modalio

Une commande a été passée à la jeune hispano-péruvienne Pia Alvarado Arróspide qui poursuit son cursus d'études en composition au CRR de Paris. Yohann Tardivel (professeur d'orgue au CRR de Toulouse) est à la console pour la création de Paisaje inmerso, première pièce conçue pour le Modalio que la compositrice a pu expérimenter in situ durant son travail d'écriture. Le passage entre monde extérieur et espace intime qu'elle mentionne dans sa note d'intention s'incarne dans une écriture fluide qui glisse du registre clair aux trames plus sombres et moirées dont elle fait valoir la richesse du spectre sonore.

Les deux « Annonciations » de Jacques Lenot s'inscrivent dans le cycle Vie(s) de Marie – 14 fois l'Annonciation (2019) inspirés par des tableaux de la Renaissance consacrés à la Vierge Marie. Le cycle est créé en octobre 2022 par Jean-Christophe Revel sur l'orgue de Saint-Pierre-des-Chartreux, dans le cadre du festival Toulouse les Orgues. Des micros avaient été disposés dans l'instrument pour une transformation live contrôlée à l'époque par le RIM Étienne Démoulin. En fin connaisseur de la musique de Lenot qu'il joue et grave depuis bientôt trente ans, Jean-Christophe Revel offre ce soir la version Modalio de l'Annonciation selon Perugin, une nouvelle registration en quelque sorte, subtile autant que sensible, faisant appel aux sollicitations de l'orgue augmenté – filtrage, halo sonore et sons fixés qu'accueille également le Modalio. L'Annonciation selon Pontormo, modifiant l'éclairage et la substantifique « moelle » du son, est entendue sous les doigts de Joris Verdin. L'organiste et compositeur joue également en création son Prélude pour Saint-Orens et sa Suite révisée pour Modalio, des vignettes sonores qui s'enchaînent où sons fusées, aura de résonance, delay et autre modelage du son rendent compte des « jeux » spécifiques du Modalio.

Alexandros Markeas, a, quant à lui, écrit une nouvelle version de Vertiges pour le Modalio, créée ce soir par Jean-Christophe Revel : des sons toupies entretiennent la tension énergétique d'un espace en 3D où se profilent nombre de figures et autres sonorités carillonnantes de belle envergure. À toutes ces pièces en création répond le geste chorégraphique de France David qui évolue dans le chœur de l'église, sous les effets vibrants et colorés de la lumière.

Transcriptions et improvisations

Si le Modalio est déconnecté dans la Sonate n°1 en fa mineur de Félix Mendelssohn interprétée par Yoann Tardivel, Yves Rechsteiner, directeur depuis 2014 de Toulouse les orgues, met à profit les ressources de Modalio dans ses deux courtes improvisations et les deux transcriptions personnelles qu'il propose en fin de soirée : Danse de la fureur (pour les sept trompettes) est le sixième mouvement du Quatuor pour la fin du temps de Messiaen dont l'organiste sublime le thème à travers l'épaisseur colorée du timbre et la projection du son. Tout est mis en œuvre, avec des pédales d'effet réactives et un bel équilibre sonore pour faire entendre le Libertango de Piazzola qui referme la soirée dans l'esprit de la danse mais, église oblige, sans le couple de danseurs.

Crédit photographique : Pia Alvarado Arróspide© Johnny Chavez C.

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