La célébration du cent-cinquantième anniversaire de la création de Carmen donne l'occasion au Palazzetto Bru Zane d'impulser et de valoriser beaucoup d'études sur  le sujet. Après le spectacle enregistré en DVD et la biographie de Célestine Galli-Marié qui créa cette héroïne sur la scène lyrique, voici un livre d'Hervé Lacombe sur la version de 1875 de l'opéra de Bizet.

.

Mené comme une enquête, selon les mots de son auteur, ce texte court de 128 pages, défend l'idée d'un « spectacle d'art » plus pictural que musical. Cette approche est facilement identifiable au regard de la qualité éditoriale de ce livre qui fait la part belle à l'iconographie et bénéficie d'une mise en page aérée et colorée. Au lieu de la musique (une seule page de partition – page 47- et seulement pour montrer les coups de crayon du compositeur), l'auteur choisit de mettre en avant les pages d'illustrations des maisons d'édition, plutôt que le contenu même de cette première version de l'opéra.

Cela nous permet de découvrir la série des quinze estampes de Hyacinthe Royet publiée dans une partition piano-voix par Choudens vers 1890, faisant basculer la partition aux limites de la bande dessinée. Mais au-delà de cet attrait qui peut sembler anecdotique, le fait que les illustrations soient régulièrement éloignées du texte qui les évoque gêne la lecture, d'autant que certaines d'entre elles ne nous paraissent pas toujours apporter une plus-value au propos (les deux illustrations pour Djamileh par exemple, page 17). De même, beaucoup de notes de bas de page ponctuent la démonstration alors qu'elles sont accessibles en annexe de l'ouvrage. Mais une fois compris que celles-ci sont principalement des éléments bibliographiques sur lesquels s'appuient l'auteur, on délaisse une manipulation du livre trop contraignante pour enfin rentrer dans la narration.

Si la volonté de vulgariser le discours est évidente, la narration reste un peu trop proche des codes universitaires. Par l'utilisation du « nous » d'abord, mais surtout par l'exposition d'un plan très méthodique, voire scolaire, dans la partie dédiée à l'Opéra-Comique, qu'Hervé Lacombe n'hésite pas à remettre en mémoire dans son introduction dédiée au spectacle lui-même (« De véritables tableaux »), tel que le public l'a découvert à l'époque. Pour, in fine, conclure sur l'interprète de Carmen, plutôt que sur l'œuvre ou la vision de son créateur.

Les nombreuses références au Salon, événement culturel en matière de beaux-arts qui a traversé le siècle, auraient pu donner l'occasion à l'auteur de prendre comme fil conducteur pour sa démonstration un parallèle original entre cette institution et les couleurs hispaniques de Bizet, le travail mené entre Carmen et La Danse de Jean-Baptiste Carpeaux se révélant particulièrement intéressant (pages 124-125). D'ailleurs cette partie de l'étude correspond intrinsèquement à la démarche de contextualisation qu'Hervé Lacombe affiche dès son prélude.

L'émancipation de Bizet et des auteurs de Carmen des espagnolades habituelles de l'époque est clairement affichée dans le chapitre intitulé « une pittoresque réalité ». Dans la partie « La préparation du spectacle », le travail de mise en scène faisant évoluer la version de 1874 vers celle de 1875 est également assez riche même si l'auteur semble se perdre dans les détails, fort d'une multitude de sources dont le journal de régie de l'Opéra-Comique, alimenté minute par minute par le scrupuleux Victor Avocat. Les difficultés du chœur de cette maison lyrique et les réactions de ses choristes font également sourire lorsqu'on apprend qu'une grève est envisagée au regard des exigences des créateurs du spectacle.

Par rapport aux deux précédentes propositions du Palazzetto Bru Zane autour de Carmen, pour cet ouvrage, on retiendra surtout le livret de mise en scène de l'opéra de Bizet reproduit en intégralité dans l'annexe de ce livre, évoqué précédemment dans le cadre du DVD du spectacle.