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Un récital de feu de la pianiste Jiaxin Min, lauréate non classée du récent Concours Reine Elisabeth

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Glabais. Église Saint-Pierre. 8-VI-2025. Samuel Barber (1910-1981) : sonate pour piano en mi bémol mineur op. 26. Robert Schumann (1810-1856) : Fantasiestücke op. 12. Mili Balakirev (1866-1924) : Islamey. Jiaxin Min, piano

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Après l'imposant mois d'épreuves du Concours musical international Reine Elisabeth de Belgique, cette année réservée au piano, place à présent aux concerts et récitals des lauréats, un peu partout dans le Royaume. L'association Musique à Glabais, avec beaucoup de flair et d'à-propos, choisit d'inviter la Chinoise pour un récital incendiaire, alliant originalité de programmation, brillance virtuose et musicalité haletante.

est une jeune pianiste chinoise de vingt-neuf ans, diplômée de la Juilliard School en 2020, où elle a étudié avec Sergei Babayan et Matti Raekallio. Elle a entamé en septembre 2024 auprès de Dmitri Alexeev et Vitaly Pisarenko, un cursus de perfectionnement avancé, pour l'obtention de l'Artist Diploma au Royal College of Music de Londres. Elle a bénéficié aussi, par le passé, des conseils de Robert Levin ou Marc-André Hamelin, entre autres.

Durant cette session du Concours Reine Elisabeth, elle s'est distinguée dès la première épreuve par une technique brillante et virtuose et par la flamme de ses interprétations, n'excluant jamais des moments d'intense et fervente intériorité. En demi-finale, outre un Concerto n° 27 de Mozart à la fois sensible et miraculeux d'intelligence musicale, elle a, en récital, « osé » la rare Sonatina seconda de Ferruccio Busoni et a interprété avec beaucoup d'à-propos, la Sonate n°28 opus 101 de Ludwig van Beethoven, avec ce mélange de poésie de l'instant, de « fantaisie pré-schumanienne » dans les mouvements impairs et de crâne détermination au gré des deux allegros, alla marcia vifs et très décidés. A l'issue de l'épreuve finale, où elle a livré l'une des meilleures interprétations de l'œuvre imposée inédite de Kris Defoort et surtout un Concerto n° 3 de Serguei Prokofiev, aussi félin de raffinement que rafraichissant d'idées, nombre de (télé)spectateurs mélomanes, de critiques musicaux, et de pianistes présents en la salle Henri Le Boeuf la voyaient prétendre sinon à la victoire, du moins à l'une des premières places du palmarès 2025.

Le jury (lequel vote individuellement mais ne délibère pas) en a décidé autrement en ne la classant pas parmi les six prix attribués, et a été assez copieusement hué à cette occasion. Certains membres (Boyan Vodenitcharov, Laura Mikkola) ont marqué à la fois leur désaccord, face à une décision visiblement tout sauf collégiale, et leur enthousiasme artistique par de fervents applaudissements, une fois son nom prononcé !

Une polémique parfois virulente s'est fait jour dans la presse belge et même internationale, ou sur les réseaux sociaux (le concours étant très médiatisé en Belgique), allant jusqu'à occulter quelque peu le premier prix du Néerlandais Nikola Meeuwsen ou même le troisième du Belge Valère Burnon. Plusieurs institutions culturelles, qui ont noué un partenariat avec le concours pour la programmation d'un lauréat « au choix » après proclamation ont pris leur responsabilité, et ont invité dès lors en récital pour notre plus grand bonheur.

Animée par un comité bénévole dans le cadre pastoral du Brabant wallon, la saison musicale de Glabais en est à sa trentième saison d'existence et accueille en l'acoustique parfaite, à peine réverbérée et très transparente, de sa petite église Saint-Pierre, pleine à craquer pour l'occasion, la brillante lauréate chinoise à la mèche éternellement rebelle.

Le programme de son récital interpelle par son audace et son ambition. Il faut en effet oser débuter un récital par la très exigeante Sonate en mi bémol mineur opus 26 de composée, à la fin des années 1940, en étroite collaboration avec son créateur Vladimir Horowitz, et peu jouée de notre côté de l'Atlantique. Jiaxin Min en magnifie les sortilèges de l'écriture la plus drue (l‘Allegro energico liminaire avec ses séries de douze notes employées dans un contexte tonal élargi), en exalte la puissance quasi symphonique, par un impressionnant éventail de nuances et d'oppositions dynamiques, ou une intarissable verve rythmique comme au gré de la stricte fugue finale, ce soir particulièrement flashy et swinguante. Mais elle y ménage, par le truchement d'une sonorité de rêve, de larges pauses réflexives (le calme deuxième thème du temps initial, l'Adagio mesto d'une souveraine désespérance grise) ou exacerbe l'ironie la plus cristalinement grinçante de l'Allegro vivace e leggero.

C'est avec le même souci de la chatoyance moirée et de la versatilité du discours, au service de l'expression la plus juste qu'elle envisage, le cycle des Fantasiestücke de , placé par essence sous le signe du dédoublement schizoïde de la personnalité, si typique du génial compositeur. Son interprétation a tout compris de ce conflit intérieur larvé entre le rêveur Eusébius (intimiste Des Abends d'une idéale pudeur, l'assagi et quelque peu amer Ende vom Lied au terme d'un long périple) et l'emporté Florestan, d'une noirceur vagabonde (In der Nacht) ou bondissante (Aufschwung). Mais cette approche, sous ses allures instinctives, se veut savamment pensée dans ses agencements musicaux et psychologiques, interrogativement vaporeuse (Warum?) et toujours, tout au fil du cycle,  finement coloriste… on songe déjà aux Bunte Blätter ! Voilà, par ce ton très personnel, magnifié par une technique imparable, un idéal voyage au cœur de l'intimité schumanienne, cortège fantasmagorique de récits aux allures légendaires (Fabel, Grillen) ou de chimères hallucinatoires d'une effervescence châtiée  (Traumes Wirren).

Pour clôturer sa prestation, Janxin Min choisit rien moins qu'Islamey de , dont elle exalte, par delà la verve jubilatoire ou la virtuosité transcendante des sections extrêmes, les subtilités de l'écriture (ainsi le petit motif rythmique qui inspirera à Ravel son Scarbo, dont elle semble presque s'amuser), et la poésie diaprée au gré des sons et des parfums d'une moiteur exotique, distillés tout au long de la section centrale, souvent prosaïquement sacrifiée sous d'autres doigts trop diserts.

En bis, la lauréate, dont on comprend encore moins le non-classement après un tel récital, offre une version d'un diabolisme sardonique et d'un total accomplissement technique des Feux follets de Liszt, en guise de remerciement et d'au revoir adressé à un public aussi chaleureux que justement conquis.

Classée ou pas, Jiaxin Min demeure un nom à retenir, parmi les plus prometteurs, de la jeune génération chinoise. Elle est invitée par Gilles Ledure – par ailleurs président du jury du CMIREB cette année à Flagey – le 22 juin prochain pour un récital au programme quasi identique, juste complété par l'ultime sonate de Joseph Haydn : une soirée d'ores et déjà annoncée complète. Toutes les places du grand studio 4 sont parties en l'espace d'une journée !

Crédits photographiques : Jiaxin Min  © Nine Louvel ; © Saison musicale de Glabais ; © Cédric Hustinx 

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Glabais. Église Saint-Pierre. 8-VI-2025. Samuel Barber (1910-1981) : sonate pour piano en mi bémol mineur op. 26. Robert Schumann (1810-1856) : Fantasiestücke op. 12. Mili Balakirev (1866-1924) : Islamey. Jiaxin Min, piano

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2 commentaires sur “Un récital de feu de la pianiste Jiaxin Min, lauréate non classée du récent Concours Reine Elisabeth”

  • Henri Viel dit :

    Un gros doute. Le contexte politique influence-t-il les jurys des grands concours. Aurait-elle eu un prix si elle avait été occidentale ou, mieux encore, ukrainienne?
    Si tel est le cas, c’est d’une tristesse infinie.
    Mais Martha Argerich nous a déjà appris que les jurys peuvent être composés d’imbéciles…

  • BRUYNOGHE Cécile dit :

    Classement de cette magnifique pianiste au CMIREB juste incompréhensible…!

    Une consolation cependant, c’est que sa carrière est déjà décidée et sera fulgurante !

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