Israel et Mohamed au Festival d’Avignon : au nom de leurs pères
Duo inédit entre le metteur en scène Mohamed El Khatib et le danseur de flamenco Israel Galván, Israel et Mohamed est une bouffée de tendresse filiale et un objet hybride entre danse et théâtre, comme beaucoup de spectacles du Festival d'Avignon 2025.
C'est par un entraînement de foot incongru que démarre Israel et Mohamed. Très à son aise dans cet échauffement, qu'il a pratiqué en tant que footballeur junior pendant des années, avant de poursuivre ses études à Sciences Po, Mohamed El Khatib en a profité pour remettre en jeu son corps de metteur en scène, réalisateur de films et d'installations documentaires. En djellaba de soirée, prêté par le père du premier, Israel Galvan, figure de proue du flamenco contemporain, le suit en trottinant, visiblement gêné dans les levers de genou par la longue robe bleu ciel qu'il portera pendant presque tout le spectacle.
Avec cette introduction musclée, le ton est donné. À la fois attendri et irrévérencieux, Israel et Mohamed est une bouffée de fraîcheur par deux quinquas qui sont finalement de bons fils. Sans filtre, ils donnent ensemble la parole à leurs pères par le truchement de la vidéo, pour exprimer les attentes déçues et l'incommunicabilité entre les générations. Le père d'Israel, célèbre danseur de flamenco lui-même, avoue à la fois sa fierté devant la virtuosité de son fils et son rejet du style original de flamenco que celui-ci a développé dans sa carrière exceptionnelle. Le père de Mohamed, qui fut toute sa vie ouvrier métallurgiste, témoigne de son incompréhension du choix de son fils pour le théâtre, après avoir fait une brillante scolarité sous la pression paternelle.
Ce duo à deux voix (celle d'Israel, bègue, étant souvent porté par Mohamed) permet à chacun des deux interprètes de revenir à ce qui a marqué leur enfance : l'apprentissage du Coran « par le bout des doigts » et la rudesse des punitions pour le jeune garçon d'origine marocaine, l'absence de cheveux lorsqu'il était enfant et l'obsession de son père pour les prix et les récompenses pour le jeune andalou virtuose. Avec des artefacts – tapis de prière, djellaba, brassée de médailles et perroquet mécanique -, ils construisent à leurs pères des autels sacrificiels, surmontés chacun d'un portrait en noir et blanc.
C'est Mohamed El Khatib, en tant que metteur en scène et vecteur du récit à deux voix, qui porte toute la théâtralité de la proposition. La danse n'est pas absente, mais elle est incidente : démonstration de la Farruca, dont le père de Galván était si fier ou manifestation un peu épidermique du zapateado ancré dans son corps depuis l'enfance. C'est à la rencontre entre ces deux personnalités du même âge et aux points communs finalement nombreux à laquelle on assiste, touchés. La complicité qui s'est construite entre le bavard et le taiseux, entre le solaire et l'ombrageux, éclate dans un drolatique et audacieux final sur la corniche du Cloître des Carmes, où, après avoir fait en juin à Paris un Grand Palais à sa mère, Mohamed El Khatib a construit à Avignon en juillet une mosquée à son père.
Crédits photographiques : © Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon
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