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Salzbourg rend hommage à Chostakovitch avec Kissin, Kremer et leurs amis

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Salzbourg. Haus für Mozart. 9-VIII-2025. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Quatre poèmes du capitaine Lebiadkine op. 146 ; trio pour violon, violoncelle et piano n° 2 op. 67 ; sonate pour alto et piano op. 147. Alexander Roslavets, basse ; Gidon Kremer, violon ; Maxim Rysanov, alto ; Giedrė Dirvanauskaitė, violoncelle ; Evgeny Kissin, piano.

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Le jour même des 50 ans de sa disparition, la musique de chambre de était à l'honneur au festival de Salzbourg pour un concert aux tonalités décidément funèbres.

Un seul regret pour ce concert : l'occasion aurait bien justifié une soirée double comme le festival en a souvent proposé ces dernières années. La Suite de mélodies sur des poèmes de Michel-Ange, op. 145, aurait idéalement complété les Quatre poèmes du capitaine Lebiadkine op. 146, la sonate pour violoncelle aurait résonné avec la sonate pour alto, et les mélodies du cycle De la poésie populaire juive op. 79 auraient complété idéalement l'atmosphère du Trio op. 67. Chostakovitch aurait bien mérité cet hommage élargi.

devait donner un récital quelques jours avant ce concert ; il y a renoncé pour raisons de santé, mais il est bien à Salzbourg, et, semble-t-il, parfaitement en forme, pour faire de la musique de chambre entre amis sur la scène de la Haus für Mozart. Des cinq interprètes du concert, il est le seul à apparaître dans les trois œuvres: il entre donc au début du concert avec le baryton . Les poèmes alternativement grossiers, sentimentaux et simplement stupides que Chostakovitch tire des Démons de Dostoïevski présentent le capitaine Lebiadkine comme une figure grotesque, mais aussi inquiétante et brutale, et c'est certainement ce qui l'a attiré à la toute fin de sa vie. Le chanteur de ce soir ne manque visiblement pas d'humour, mais il le met au service de cette vision pleine de menace sourde du personnage. Kissin ne se contente pas de l'accompagner : avec sobriété mais beaucoup de présence, il est un véritable partenaire pour le chanteur, et on aurait décidément aimé un plus large choix de mélodies dans ce programme.

Le Trio op. 67 qui suit ne date pas des derniers mois de la vie du compositeur, mais de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Kissin est ici rejoint par et , violoncelle solo dans sa Kremerata Baltica. Là encore, pourtant, le contexte funèbre est présent, parce que Chostakovitch l'a écrit à la mémoire d'un ami et partenaire artistique trop tôt disparu, mais aussi parce que les choix interprétatifs vont dans cette direction, et pas seulement dans un mouvement lent particulièrement poignant. Les pizzicatos obstinés du quatrième mouvement deviennent ici de véritables fantômes émergeant du piano, et la manière obsédante dont le motif inspiré de la musique populaire juive réapparaît ensuite tout au long du mouvement, jusqu'au plus grave du piano, justifie pleinement l'idée selon laquelle Chostakovitch réagissait ainsi aux premières informations sur l'ampleur de la Shoah en cours dans toute l'Europe.

L'atmosphère funèbre est naturellement encore plus présente avec la Sonate pour alto que Chostakovitch compose dans les toutes dernières semaines de sa vie – la partition est datée du 5 juillet, à peine plus d'un mois avant sa mort. L'œuvre de Chostakovitch est certes un univers multiple, la déploration et les fins dernières n'y sont pas le seul sujet, mais la commémoration de son décès après une vie si pleine de tragédie peut bien justifier ce moment de recueillement. C'est cette fois avec qu' fait équipe. Comme dans les œuvres précédentes, l'investissement chambriste de Kissin force l'admiration : le piano est très présent, avec une précision constante mais sans pathos, une richesse de couleurs et de nuances qui disent ce qu'il faut sans superflu. L'alto de le suit parfaitement sur cette voie sobre et tragique, à l'écoute d'une œuvre qui marque autant par ce qu'elle dit que par les moments de désarroi, de sur place, où la direction à suivre n'est plus visible. L'allant du mouvement central allegretto est irrésistible, mais il n'en fait pas un moment de simple brio, et surtout il est à l'écoute de chaque inflexion de sa partie, sans jamais privilégier l'effet sur la simplicité de l'expression.

Aucun bis n'est ensuite possible : cette inspiration ultime d'un musicien qui incarne comme peu d'autres le XXe siècle tragique ne peut que se fondre dans le silence. Les cinq musiciens du jour, chambristes d'exception entièrement au service de la musique, lui rendent un hommage d'une dignité et d'une pudeur qu'on accueille avec révérence et gratitude.

Crédits photographiques : © SF/Marco Borrelli

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