Futura 2025 dans les étoiles
Pour cette édition à thème, Vincent Laubeuf, directeur du festival des musiques électroacoustiques Futura, a choisi la science-fiction, thématique ouverte proposée aux compositeurs qui ont été particulièrement nombreux à l'honorer, abordant le concept sous des angles aussi divers que personnels.

Inventer des mondes et des êtres situés dans des espaces-temps parallèles et impliquant des technologies et des situations radicalement différentes, tel qu'on peut définir la science-fiction, c'est ce que l'univers électroacoustique, avec sa maîtrise de l'espace et ses capacités mutantes sait mieux que tout autre support faire advenir.
Une myriade de créations
Comme il est d'usage à Futura, les compositeurs, tous présents dans la salle, découvrent leur nouvelle œuvre à travers le jeu à la console de projection des cinq interprètes du festival qui se relaient d'un concert à l'autre : Eric Broitmann, Tomonari Higaki, Olivier Lamarche, Jonathan Prager et Nathanaëlle Raboisson. L'acousmonium, – orchestre de haut-parleurs distribués dans la salle des Moulinages de l'espace Soubeyran – compte cette année plus d'une centaine d'enceintes acoustiques diversifiant au maximum leur fonction et qualité de timbre pour servir au plus près les œuvres sur support (sons fixés) et leur donner une envergure spatiale.
Dans Ecos del eternauta (2025), la compositrice argentine Andrea Cohen se concentre sur les sonorités du bandonéon et de la milonga, matériau malléable et souffleries surdimensionnées qu'elle étire et module pour faire naître un monde parallèle. On entend la voix d'Andrea Cohen dans Toutes les vies (2025) de Marie-Hélène Bernard. Le texte d'une brûlante actualité emprunte un extrait des Mouettes de Tchekhov décrivant la disparition du vivant, auquel la musique de la compositrice donne une aura aussi sensible que finement texturée. Dans Dream Lux (2025), Laurence White invite l'auditeur « à traverser un vaisseau spatial en dérive » ; le son est gorgé d'énergie, qui laisse affleurer la voix humaine ; le traitement de l'espace et la richesse du spectre sonore confèrent à l'œuvre amplitude et profondeur. Dans Solaris, Silhouette, Sibilant (2025), le Japonais Tomonari Higaki, évoquant le film de science-fiction d'Andreï Tarkovski, dit avoir composé avec l'IA qui le guide dans ses choix timbriques et ses trajectoires spatiales. Avec SubliMinimal (2024), mot valise choisi par Bruno Capelle, le compositeur entre en communication avec les esprits, ceux de Mozart, Chopin, Vivaldi, Purcell, Wagner et Beethoven dont la marche funèbre de la « septième » clôt le premier mouvement de la pièce. Sur un simple accord du synthétiseur longuement entretenu, Capelle texture sa trame sonore à l'aide de citations, non transformées mais noyées dans un flux étrange où s'agitent des fantômes. Ludique et rafraichissant, Ça pense, ça danse (2025) d'Agnès Poisson joue avec la pulsation et les superpositions de strates rythmiques dans un registre clair et des sonorités issues du monde instrumental. La deuxième pièce de la compositrice, jour d'orage (2025), bascule dans les graves abyssaux, ouvrant sur d'autres espaces inhabités.
Philippe Leguérinel part, quant à lui, de l'image inspirante de la Ville spatiale du visionnaire franco-hongrois Yona Friedman, une architecture modulaire suspendue qui enflamme l'imagination de l'acousmate. Un grand échafaudage (2025), le titre de sa nouvelle pièce, nous fait lever les yeux vers cette construction rêvée : les sources sonores sont multiples – bruits de mécanique, chocs percussifs, source instrumentale, échos de la ville et permanence de l'eau – qui fait basculer l'écoute du dedans au dehors dans un va-et-vient foisonnant dont Olivier Lamarche, à la console, fait vivre les contrastes.

On reste pleinement dans la thématique avec Interstellar Spectral Streams (Flux spectraux interstellaires), une création d'envergure (46') de Frédéric Kahn, dont la puissance des trames sonores, la vitalité des couleurs et la gestion magistrale de la grande forme impressionnent. Elle est tenue de main de maître par Jonathan Prager qui, à la console, en anime le flux, accompagne les ressassements et donne à entendre l'outrenoir des basses profondes.
Projetées très (trop) tardivement – contraintes technologiques obligent –, les six vidéos acousma abordent des rivages science-fictionnels tous azimuts. Ainsi, donné en création, Rensa Germination : chapitre 0 (Rensa signifie chaînes/liens en japonais) conjugue les talents du compositeur Vincent Laubeuf et de la vidéaste et styliste Hiroko Higuchi, collaboration qui se prolonge d'ailleurs au sein d'une installation visible durant tout le festival : la vision anticipatoire d'une vie possible (renaissance) après la destruction du monde, rejoint la question posée dans Le Hurle de Paul Ramage entendu le lendemain. Work in progress, le projet pluridisciplinaire est amené à se développer en faisant appel à d'autres expressions artistiques.
Un concert/une œuvre
L'immersion est totale et le confort d'écoute démultiplié à la faveur des grands formats d'une heure. On est dans l'espace et au milieu des étoiles avec La courbure du temps (2025) d'Edgar Nicouleau, un voyage interplanétaire entre flux serein à évolution lente et perturbations, ruptures abruptes et autres explosions engendrant la discontinuité : dans un espace-temps courbé, le temps, nous dit le compositeur, ne s'écoule pas uniformément… Une dramaturgie se dessine et nous tient en haleine durant les 52 minutes de cette odyssée stellaire sous la ferme conduite de Nathanaëlle Raboisson.
Dans Le Hurle de Paul Ramage, la catastrophe planétaire a déjà eu lieu… Que reste-t-il à préserver pour l'avenir ? La fable de science-fiction imaginée par Lancelot Hamelin nourrit une réflexion sur la trace et la mémoire. C'est un monde sonore étrange et fascinant qui nait sur la toile sonore du compositeur, une mosaïque de sons inouïs flottants dans un espace discontinu où passe la voix singulière de Frédéric Stochl. Le mélodrame est, à l'origine, un spectacle avec comédien, pianiste performer (Alvise Sinivia) et électronique. Paul Ramage en a réalisé en virtuose la version acousmatique, interprétée ce soir avec une rare concentration par Eric Broitmann.
Du multipiste sans les interprètes
La multiphonie, ou écriture de l'espace, sollicitant une technologie ad hoc, est chose rare à Futura dans la mesure où la composition en six, huit, douze points (ou plus), fixée en amont par l'acousmate, ne réclame pas la présence d'un interprète. Aussi, Vincent-Raphaël Carinola, adepte et virtuose des œuvres multipistes, n'avait-il encore jamais été invité au festival ! Dans Cinq études pour une Odyssée, une pièce épousant le format des Alle Breve/Création mondiale de France Musique, il nous conte à sa manière, sur fond d'écologie, le voyage d'Ulysse : « Je me suis plu à imaginer quelle aurait pu être la sonorité des cloches de vache du dieu soleil », écrit-il dans sa note d'intention. Le chant (le pleur) des sirènes devant l'état de la Méditerranée mêle humour et désespoir. Le dispositif d'écoute nous comble, qui fait rayonner le son au-dessus de nos têtes dans un espace serti par une couronne de six haut-parleurs.
Jean-Marc Duchenne parle de transcription (avec changement d'instruments) pour sa pièce Terre, conçue en 2008 pour 84 canaux (!) et réduite à 26 pistes pour le concert de Futura. Le résultat sonore n'en est pas moins foisonnant, invitant l'auditeur à « un long voyage en acousmonef », chemin labyrinthique où l'écoute peut parfois se perdre.
In memoriam

Si Pierre Boulez – qui n'a pas été tendre envers l'inventeur de la musique concrète – n'est pas fêté à Futura, Ivo Malec, qui aurait eu 100 ans en 2025, figure au programme avec l'un des chefs-d'œuvre du répertoire acousmatique, Triola ou Symphonie pour Moi-Même où le compositeur dit utiliser le son « comme le miroir d'une solitude ». Malec façonne son objet sonore, en sélectionne les couleurs (Turpituda) et scrute l'espace pour en capter les ondes mystérieuses (Ombra) ou la fibre sensuelle (Nuda). On est bluffé par la vitalité et l'autorité du son projeté à travers les haut-parleurs dans l'interprétation habitée de Jonathan Prager.
Hommage également est rendu au maître Pierre Schaeffer – dont on célèbre les 30 ans de la disparition – avec Étude aux objets (1959), témoignage sonore du travail de recherche méthodique sur la matière et la nature du « musical » qui aboutira au Traité des Objets musicaux de 1966.
Luc Ferrari est inscrit dans les annales du festival dont il était la tête d'affiche en 2001. Pour l'anniversaire des 20 ans de sa disparition, Futura affiche deux œuvres de cet artiste inclassable : une pièce quasi inconnue qu'édite Maison Ona, Préface (1970), avant Presque rien n°1, une « diapositive sonore » captant l'éveil matinal d'un village dalmate. Luc Ferrari nous fait tendre l'oreille vers des choses infimes dont Tomonari Higaki cisèle avec tendresse chaque émergence sonore.
Membre du Groupe de Recherches Musicales (GRM) et de la compagnie toulousaine éOle, François Donato (1963-2024) était un acousmaticien actif à qui Futura rend hommage. Après Annam, inscrite dans une démarche purement schaefférienne, En Nuestros Labios (2000), au format des Alla Breve /Création mondiale, est une perle de dix minutes où le compositeur met en voix un poème de Francisco de Aldana.
Transmission

Programmé en matinée (11h) et en accès libre, un premier rendez-vous permet au plus grand nombre de se familiariser avec l'acousmonium et l'interprétation des œuvres à travers cette forêt de haut-parleurs qui recèle bien des mystères. Pour ce faire, une œuvre a été choisie, Chronovore (2023) du compositeur Vincent Simionovici, entendue quatre fois au gré de quatre visions interprétatives différentes, celles de Tomonari Higaki, Olivier Lamarche, Yuka Nagamatsu et Jonathan Prager : l'expérience d'écoute est passionnante. Sans verser dans la tribune des critiques – qui n'est pas le propos de la rencontre – chaque interprète est invité à préciser ses orientations interprétatives et à répondre aux questions d'un public à l'évidence très interpelé. On regrette cependant que le compositeur n'ait pas eu son mot à dire !
Le second rendez-vous du matin convie les musiciens qui ont participé au stage d'interprétation qui a lieu chaque année, une semaine avant le festival. On compte une dizaine d'apprentis-acousmates et autant d'œuvres relativement courtes (de 3 à 10 minutes) choisies dans le grand répertoire acousmatique (Beatriz Ferreyra, Christine Groult, Andrea Cohen, Christian Zanesi, Bruno Capelle, Jonathan Prager, etc.) qui ont donné matière à leur interprétation et à la pratique de cet instrument, l'acousmonium, que l'équipe de Futura joue aujourd'hui en virtuose.
Crédits photographiques : © ResMusica
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