Avec Cesare in Egitto, à la découverte de Geminiano Giacomelli
Mené par une distribution de choix, premier enregistrement intégral d'un opéra de Giacomelli, un des contemporains de Vivaldi. L'occasion ne se refuse pas.
Pour le mélomane averti, Geminiano Giacomelli est surtout le compositeur du sublime air « Sposa son disprezzata » que Vivaldi n'avait pas hésité à insérer dans son pasticcio Bajazet. L'air, connu au départ sous l'incipit « Sposa, non mi conosci », avait initialement été composé par Giacomelli pour son propre opéra La Merope (1734). De fait, les ouvrages de ce compositeur né près de Parme et formé dans cette ville, en poste ensuite à Plaisance, sont extrêmement peu connus aujourd'hui, même s'ils remportèrent en leur temps les plus grands succès dans des villes comme Parme, Venise, Milan, Rome, Plaisance et Turin.
Cesare in Egitto, que Giacomelli nouvellement nommé à Vienne à la cour de Charles VI avait fait représenter à Graz après l'avoir donné à Milan et Venise, est aujourd'hui considéré comme le chef d'œuvre d'un compositeur qu'on a grand plaisir à redécouvrir aujourd'hui. Grâces soient donc rendues au label Alpha, qui a eu la bonne idée de graver sur le disque l'enregistrement des représentations données lors de l'été 2024 au cours du Festival de musique ancienne d'Innsbruck.
Sur le plan de la dramaturgie, il sera évidemment difficile de ne pas comparer le livret de Domenico Lalli, aidé de Goldoni, à celui mis en musique quelques années auparavant par Haendel. Ce dernier mettait davantage l'accent sur la séduction de César par Cléopâtre, le livret écrit pour Giacomelli insistant plutôt sur la rancune tenace de Cornelia à l'encontre de César et surtout des Égyptiens coupables d'avoir fait décapiter son époux Pompée. Musicalement, la partition de Giacomelli n'a pas non plus la richesse de celle de Haendel, ce qui n'empêchera pas l'auditeur de goûter nombre d'arias bien charpentées et bien structurées, dans le plus pur goût de l'époque qui les a conçues. L'instrumentation est elle aussi relativement conventionnelle, avec ici et là quelques belles surprises notamment dans l'utilisation des vents et des bois. À la tête de son ensemble Accademia Bizantina, Ottavio Dantone dirige tout cela avec musicalité et efficacité, mais sans créer de véritable sensation musicale.
Sur le plan strictement vocal, les six chanteurs chargés d'interpréter cette musique sont tous satisfaisants, même s'ils ne ne parviennent pas toujours à rendre vivants les longs récitatifs qui constituent la colonne vertébrale de l'intrigue. En Cesare, la soprano Arianna Vendittelli incarne un héros sensible, sincèrement amoureux de sa Cléopâtre, au détriment peut-être de la composante guerrière que l'on trouve plus marquée chez Haendel. Face à elle, Emőke Baráth campe une séductrice sûre d'elle, qui sait trouver les accents virtuoses susceptibles de faire chavirer le héros romain. Absolument central dans cette version du livret, le personnage de Cornelia, confié lors de la création en 1735 à la grande Vittoria Tesi, est ici interprété par la mezzo-soprano Margherita Maria Sala, cantatrice dont le timbre chaud et profond confère à la veuve de Pompée toute la fureur et la dignité requises. Dans la mise en musique de Giacomelli, le personnage de Ptolémée encore immature de Haendel est devenu un véritable guerrier et un fin politique, incarné ici par le ténor Valerio Contaldo. Outre la richesse intrinsèque de son timbre, ce dernier parvient à donner force et énergie à des redoutables vocalises qu'il exécute avec une déconcertante facilité et un vrai sens du théâtre. Le contre-ténor Filippo Mineccia est chargé du rôle du traître Achilla qu'il interprète avec son engagement coutumier, servi par le timbre rond et charnu qu'on lui connaît, capiteux dans le haut de la voix, extrêmement expressif dans les notes graves. L'autre contre-ténor de la distribution, Federico Fiorio, fait valoir quant à lui un registre de sopraniste qui n'est pas sans quelques stridences et qui ne contribue pas vraiment à rendre sympathique le personnage de Lepido, autre soupirant de Cornelia.
Si cet ouvrage ne saurait passer pour un chef d'œuvre oublié du baroque, il est un témoignage important de la production d'un de ces nombreux artisans à avoir fait vivre l'opéra dans les premières décennies du XVIIIe siècle. Les auditeurs curieux de nouveautés auraient tort de s'en détourner.









