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La nouvelle ère prometteuse du Ballet de l’Opéra de Nice 

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Nice. Opéra de Nice. 23-X-2025. « De loin en loin ».
Nocturne (Création). Chorégraphie : Juliano Nunes. Musique : Luke Howard
Loin (Entrée au répertoire). Mise en scène et chorégraphie : Sidi Larbi Cherkaoui. Musique : Heinrich Ignaz Franz Biber Extraits des Sonates sur les Mystères du Rosaire pour violon et basse continue : Sonata XVI, Sonata I, Sonata IV, Sonata IX, Sonata XIII, Sonata XVI
Avec : le Ballet de l’Opéra Nice Côte d’Azur

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« De loin en loin », le premier programme du nouveau directeur du Ballet de l'Opéra de Nice, , augure d'un mandat qui sera éclectique, exigeant, moderne et classique à la fois. Un tour de force très engageant…

Le tout premier programme d'un nouveau directeur de Ballet est toujours intéressant. Car il y a de fortes chances qu'il soit un manifeste de ce que sera son mandat. Le chorégraphe suédois a pris la tête du ballet de l'Opéra de Nice en décembre 2024, à la suite du décès d'Eric Vu-An. Et les choix qu'a faits Lidberg pour débuter sa première saison à la tête du Ballet de l'Opéra de Nice sont explicites : ce sera de la danse d'aujourd'hui, entre reprises et créations, servie par des danseurs à haut potentiel classique. À l'affiche pour ce programme : deux chorégraphes contemporains, le jeune Brésilien à qui l'Opéra de Nice a commandé une création mondiale, et le très expérimenté Belge , avec une reprise d'une œuvre de 2005, pour une soirée titrée « De loin en loin », telle une incitation au voyage, mais aussi une manière d'arriver, « de près en près » aux couleurs des années à venir sur la Promenade des Anglais.

Le premier ouvre le bal avec  ce tout nouveau Nocturne, une suite d'ensembles virtuoses sur pointes et sur la musique électro de Luke Howard. vient du Brésil, mais il s'est formé et travaille en Europe, dansant principalement en Allemagne ou en Belgique. Il  chorégraphie aujourd'hui pour de nombreuses compagnies prestigieuses (NDT, Philadelphia Ballet, Birmingham Ballet, Ballet de Zurich…). Danser du Van Manen, Ohad Naharin, Forsythe ou Kylian a déposé chez lui des strates d'influences évidentes : un art consommé de la technique, des ensembles, et du duo ou du trio. Un travail de pointes aussi pour les filles (ce qui est encourageant pour la suite niçoise), de partenariat et une virtuosité très gymnique, qui n'est pas le meilleur de cette création. Des fouettés et grand écart facial à foison, des tours en l'air que les danseurs viennent présenter à tour de rôle,  ne créent pas un véritable univers chorégraphique et c'est ce que l'on peut reprocher à cette pièce avant tout démonstrative. De surcroît, les danseurs et danseuses en académiques rouge ou bleu électrique selon les sexes créent visuellement un surprenant revival années 80, lorsque Béjart adulait le lycra qui laissait voir de longues jambes bien gainées. Ces couleurs et rencontres masculin-féminin censées être celles du soleil et de la lune ne sont pas très explicites, d'autant plus que perdurent des ensembles exclusivement masculins ou féminins. Ce dernier tableau étant très réussi, dans un esprit très « femmes puissantes », ce qui n'est pas si fréquent dans l'univers du ballet classique.

Reste cet œil immense, descendu des cintres, qui nous regarde et nous interroge avec insistance avant de disparaitre. Cette entrée en matière encore non aboutie est un peu frustrante, car les danseurs sont dans une vraie dynamique, très en forme techniquement. Et , dans ce qu'il a déjà proposé par ailleurs (notamment des duos masculins ou mixtes, ainsi qu'un Lac des cygnes totalement revisité) prouve qu'il sait proposer un vrai univers et un beau travail sur la technique des corps. Mais une création reste une prise de risque pour une compagnie. Sans doute que la concomitance d'une autre création mondiale, pour l'American Ballet Theatre à New York, six jours après Nice, ne lui aura pas laissé le temps de donner le meilleur de lui-même de ce côté-ci de l'Atlantique ?

La question ne s'est pas posée pour Loin, reprise d'une œuvre de , crée il y a déjà 20 ans pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève et qui n'a pas pris une once d'ancienneté. C'est même étonnant de voir à quel point un chorégraphe peut produire des œuvres qui restent surprenantes et novatrices, même dans la durée.

Lorsque le rideau se lève, nous comprenons d'emblée que nous entrons dans l'univers d'un grand chorégraphe. Deux hommes, de profil, vont longuement faire danser leurs bras par un jeu de toucher d'épaules du partenaire sans jamais bouger le reste du corps, dans un exercice certes physique mais qui devient une vraie conversation dansée. Ils sont vite rejoints par le reste de la compagnie, deux par deux, et de profils, et l'unisson ainsi créé va se retrouver ensuite dans une autre forme de « chorus line » où les danseurs, face public, se mettent à parler tous en même temps, avec les mêmes mots, racontant des souvenirs, souvent drôles, d'une tournée en Chine. Ils scandent le texte, s'arrêtent tous au même moment, reprennent, et cette chorégraphie uniquement vocale est d'une force incroyable.

Le reste est d'une grande beauté et d'une richesse chorégraphiques permanentes. En choisissant les Sonates sur les mystères du Rosaire pour violon et basse continue, de Biber, Cherkaoui marie la musique baroque à son univers contemporain, mais ce dernier relit aussi, à sa manière, le vocabulaire de la danse baroque avec ces délicats moulinets de mains et d'avant-bras. De même, fidèle à son intérêt pour les cultures du monde (il a notamment travaillé avec les moines de Chaolin), il nous entraîne vers le Japon (avec ses kimonos), la Chine et ses arts martiaux, mais aussi le Maghreb de ses origines avec ce mur mauresque côté cour. Ce qui pourrait être un Tour du monde de pacotille est en fait une vraie réflexion sur ce qui nous lie plutôt que ce qui nous éloigne, ce qui nous attire plutôt que ce qui nous rebute.

Entre les chutes au sol, les duos contact si contemporains, les lignes, les cercles traditionnels, le concret et le spirituel, pour qui les religions sont un vaste champ d'intérêt, et le monde son champ d'études, montre plus que jamais, vingt ans après, que sa quête d'universel reste intacte, nécessaire et largement contagieuse. Les danseurs niçois, si investis, l'ont parfaitement démontré. Et transmis au public, qui sait désormais un peu mieux à quoi s'attendre sous le règne de : un éclectisme chorégraphique et une polyvalence des danseurs. Prochaine étape : le Casse-Noisette de Benjamin Millepied pour Noël, une très belle et joyeuse adaptation contemporaine du ballet de Marius Petipa.

Crédits photographiques : © Gregory Batardon

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Nice. Opéra de Nice. 23-X-2025. « De loin en loin ».
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Loin (Entrée au répertoire). Mise en scène et chorégraphie : Sidi Larbi Cherkaoui. Musique : Heinrich Ignaz Franz Biber Extraits des Sonates sur les Mystères du Rosaire pour violon et basse continue : Sonata XVI, Sonata I, Sonata IV, Sonata IX, Sonata XIII, Sonata XVI
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