Remarquable petit ouvrage destiné à remettre quelques pendules à l'heure. Un vibrant plaidoyer pour l'opéra, genre musical menacé mais, on l'espère, encore promis à de beaux siècles d'existence.

Excellente idée que d'introduire l'opéra dans la collection des Éditions de l'Atelier consacrée aux idées fausses. Et qui de mieux que Jean-Philippe Thiellay, à la fois connaisseur lyrique éclairé et haut fonctionnaire ayant un brillant parcours dans le monde de la culture et de l'administration de la musique, pour traiter de la question.

Divisé en quatre parties – « L'Opéra, c'est du passé », « Il n'y a plus de public pour l'opéra », « L'opéra, une aberration économique », « Le problème principal de l'opéra, les artistes ? » –, l'ouvrage pose et répond à 46 questions censées illustrer les idées fausses ou stéréotypes inlassablement véhiculés par le grand public depuis des générations. Ces poncifs vont de constatations généralisantes – « l'opéra, c'est ennuyeux », « l'opéra, c'est pour l'élite », « les billets coûtent trop cher » et autres variations autour du fameux « chic, chiant, cher » parfois entendu dans la bouche de nos jeunes… – à des observations plus détaillées portant sur des répertoires bien identifiés, et émanant forcément d'auditeurs déjà bien informés et ayant un jugement un peu plus éclairé : émergent ainsi quelques « idées fausses » sur les opéras de Wagner, Rossini, Puccini, Verdi ou sur l'opéra baroque, idées véhiculées en tout cas par un public déjà capable de reconnaître et de différencier certaines époques et certaines esthétiques.

Le format pour chaque question est à peu près le même. Après avoir paraphrasé et amplifié la question, pour faire ressortir une vision extrêmement pessimiste et négative du sujet abordé, l'auteur nuance le propos pour finalement démonter l'idée reçue et apporter la preuve de sa fausseté, ou plutôt du caractère hâtif et réducteur du jugement à l'emporte-pièce qui a mené à de telles conclusions. Il s'agit donc d'un ouvrage avant tout argumentatif, qui tout en apportant la plupart du temps un cinglant démenti à l'idée analysée, ne minimise pas les éléments ayant pu conduire à un jugement auquel d'aucuns continueront certainement à adhérer. Il sera difficile d'ailleurs, à la fin de la lecture, de ne pas se faire la réflexion que certaines « idées fausses » sont moins « fausses » que d'autres, et l'auteur lui-même, notamment dans la partie consacrée aux différents modèles économiques régissant le monde fascinant de l'opéra, a parfois du mal à cacher un certain degré d'adhésion à certaines de ces idées. Également très nuancées, en fin d'ouvrage, les considérations sur la préférence nationale, un vrai sujet à la fois éthique et économique, ainsi que sur l'existence des troupes comme modèle à la fois économique et artistique, ou la nécessité, pour reprendre les propos de Pierre Boulez, de « faire exploser les maisons d'opéra ». On l'aura compris, tout l'intérêt de l'ouvrage réside dans la capacité qu'aura chacun à peser le pour et le contre, à peaufiner ses arguments et à proposer une synthèse fine et intelligente des différentes options proposées. Par « Faire exploser les maisons d'opéra », on comprend évidemment qu'il ne s'agit pas de tout casser et de faire tabula rasa du passé mais au contraire de faire preuve d'intelligence, de créativité et d'imagination pour renouveler les publics et assurer au genre de l'opéra de nombreux siècles de vie et d'épanouissement, et cela pour le plus grand bonheur de tous. On sera en tout cas tout au long de ces pages conquis par la richesse de l'argumentation, la finesse des analyses et la culture encyclopédique de l'auteur, même si l'on sent une certaine fragilité pour ce qui concerne l'opéra baroque, étonnamment négligé lorsqu'il est question des enregistrements d'opéra récents. Une bibliographie riche et pertinente vient opportunément à l'appui des démonstrations opérées.