« Rapprocher la musique et la langue » telle est l'idée première de cet ouvrage écrit par Stéphane Gendron, linguiste et musicien. Le tempo est alerte, les nuances bien en place et la forme intelligente. Voilà un livre qui délecte le lecteur autant qu'il l'instruit.

Les jargons des musiciens se nourrissent de la vie quotidienne des hommes et de leur imaginaire depuis des temps immémoriaux. En échange, les artistes empruntent la saveur des mots pour fortifier leurs communautés. En comparaison, les langages abscons des carabins, des juristes et des traders paraissent d'une efficacité si triste et d'une arrogance terrible face aux expressions ludiques et métaphoriques employés par nos “saltimbanques”. L'imaginaire et l'ironie aidant, ils ont créé leur argot qu'Alphonse Allais et Michel Audiard ne se privèrent pas d'emprunter. Il est vrai que nos musiciens aiment bien vivre de leurs promesses de festins. Produire des sons fait, en réalité, appel à tous les sens…

La corporation qui les unit malgré une concurrence acharnée aime se reconnaître dans une société française qui les a si souvent pris pour de coûteux empêcheurs de vivre en silence. Cet extrait délicieux du romancier Alphonse Karr, gêné par les troubles causés en ville par le piano en témoigne : « J'avais donc proposé de déporter tous les pianistes dans une île à une petite distance de Paris, à l'Île de Clichy, par exemple. Quand un pianiste voudrait se faire entendre, M. Le Préfet de police le ferait venir dans un panier à salade, une escorte suffisante l'amènerait à la salle de concert, et, la chose finie, le ramènerait dans l'Île. Les navires et canotiers éviteraient cette plage inhospitalière, qui serait indiquée sur les cartes de la Seine. »

« C'est du pipeau ! » n'est pas un dictionnaire quoique la richesse des citations suggère la démarche du Littré, en raison de la multitude des citations, des mieux choisies. Les expressions sont d'ailleurs en gras et des reproductions de gravures agrémentent la lecture. Cet ouvrage n'est pas non plus un catalogue quoique l'indexation rigoureuse soit inévitable (instruments, termes musicaux, praticiens, techniques et modes de jeu). Il est encore moins un pensum musicologique dédié uniquement à la musique dite “classique”. Revenir sans cesse à l'origine de toute chose est habile et permet de mieux comprendre l'évolution de la place du musicien dans la société. Fort astucieusement, les chapitres consacrés par exemple au ton, dièses, bémols et gammes ont perdu leur caractère austère parce que les définitions des termes techniques sont indissociables des anecdotes et des digressions érudites. Enfin, les passerelles astucieuses avec la littérature et les autres arts et notamment la peinture, passionnent.

Ce livre est une sorte de vagabondage de trois-cents pages à ouvrir au hasard de l'inspiration. Chapeau bas pour un tel travail.