Performance de la chorégraphe californienne Faye Driscoll présentée au Centquatre dans le cadre du Festival d'Automne à Paris, Weathering est une entreprise extrême de déstabilisation de l'image du corps contemporain.

Sac au dos ou banane en travers du torse, les performeurs de Weathering sont des passagers ordinaires de nos métropoles. Dans un tableau vivant proche de ceux que peint Bilal Hamdad, actuellement exposé au Petit Palais, ces personnages urbains se rapprochent les uns des autres avec une extrême lenteur. Deux techniciens interviennent à intervalles réguliers pour pivoter le podium central de 180 degrés, nous permettant de découvrir les personnages qui se trouvent l'autre côté de notre champ de vision.

La tension, l'absence de mobilité des visages et des membres conduit les interprètes à laisser échapper des filets de salive ou de bave par leurs bouches entrouvertes. Juchés sur des baskets ou des boots éculées, les corps se crispent dans un déséquilibre permanent. Ils s'accrochent, comme figés, les uns aux autres, dans un ultra ralenti comme une dislocation de la forme et de la matière.

Quand l'évènement le plus sauvage est l'ouverture du bouton pression d'un imperméable ou la chute d'un sac à dos, les personnages dévitalisés se dégonflent comme des ballons de baudruche. Un râle annonce la débâcle, la débandade, tandis que les techniciens, quasi allongés eux aussi, continuent de faire pivoter l'estrade, à moins qu'il ne s'agisse d'un râle de plaisir. Des montres, des lunettes et des portefeuilles sont abandonnés, des vêtements enlevés et un gel translucide appliqué sur certains membres à découvert. Les fluides corporels se mêlent aux odeurs d'agrume ou d'huiles essentielles diffusées dans l'air.

Cette expérience extrême de dislocation sensorielle et visuelle très malaisante est alimentée par la chorégraphe elle-même, qui distribue des glaçons aux danseurs ou remet de l'ordre sur la plateforme. Mais le spectateur peut se sentir de plus en plus mal à l'aise à mesure que les corps perdent leur dignité et leur consistance. Presque nus, les danseurs sont éjectés progressivement par la force centrifuge du podium en rotation, avant d'y remonter en sautant, prenant de l'élan dans la coulisse. Alors qu'une technicienne tente d'écarter les objets qui pourraient être dangereux, la scène devient quasi apocalyptique. Dans une ultime tentative de redressement, les danseurs, défaits, désarticulés, échouent au pied des spectateurs médusés et circonspects.

Crédits photographiques : © Baranova