Concerts, La Scène, Musique de chambre et récital

À Genève, l’art de Benjamin Bernheim

Plus de détails

Genève. Victoria Hall. 19-XI-2025. Georges Bizet (1838-1875) : « Je crois entendre encore » (extrait de « Les Pêcheurs de perles »). Henri Duparc (1848-1933) : « L’invitation au voyage » (poème de Charles Baudelaire), « Chanson triste » (poème de Jean Lahor), « La vie antérieure » (poème de Charles Baudelaire), « Phidylé » (poème de Charles de Lisle). Ernest Chausson (1855-1899) : Interlude de « Poème de l’amour et de la mer » (piano solo). Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : « Kuda, kuda » (extrait de « Eugène Onéguine »). Jules Massenet (1842-1912) : « Pourquoi me réveiller » (extrait de « Werther »). Georges Bizet (1838-1875) : « La fleur que tu m’avais jetée » (extrait de « Carmen »). Giacomo Puccini (1858-1924) : « Mentì’ a l’avviso » (poème de Felice Romani), « Terra e mare » (poème d’Enrico Panzacchi), « Sole e amore »,« Morire ». Joseph Kosma (1905-1969) : « Les feuilles mortes » (poème de Jacques Prévert). Charles Trenet (1913-2000) : «Douce France». Jacques Brel (1929-1978) : «Quand on n’a que l’amour». Benjamin Bernheim (ténor), Carrie-Ann Matheson (piano).

Partager

Salle comble pour accueillir le récital du ténor accompagné par la pianiste canadienne .

Avec , il y a l'homme, l'artiste et le métier. Les trois étaient agréablement réunis sur la scène du Victoria Hall de Genève pour cette soirée où le ténor se présentait dans l'habit du récitaliste avec piano. Dans cette salle à la réverbération généreuse, l'épreuve du chant qui voit l'artiste confronté à l'accompagnement spartiate des courtes sonorités d'un piano n'est pas un parcours des plus aisés. Et c'est là que le métier de fait preuve d'une intelligence interprétative exceptionnelle. Attaquant son récital avec rien moins qu'un périlleux « Je crois entendre encore », l'air de Nadir dans Les Pêcheurs de perles, le ténor démontre sa parfaite préparation vocale qui le porte immédiatement dans la maîtrise totale de son instrument. Connue de tous, la cantilène est bien chantée avec son lot de pianissimo, d'aigus et d'ouverture vocale. Il n'en faut pas plus pour emballer le public. Et tant pis si les pianissimo, en fond de salle, s'imaginent plus qu'ils ne s'entendent, le travail est admirablement bien fait.

Il en sera ainsi pour la majeure partie du récital. Un chant parfaitement maîtrisé où brille une diction irréprochable, une apparente décontraction corporelle et un certain charisme extrêmement touchant. Tout juste si l'on regrette quelque peu le manque de ce petit grain de folie qui fait l'artiste. Un grain de folie qu'on lui avait reconnu lors du concert qu'il avait donné à Évian en 2019 ou dans son incarnation remarquée de Laërte dans le Hamlet d'Ambroise Thomas en février 2017 à Lausanne, sans parler de l'enthousiasme qu'il a généré lors de ces nombreuses apparitions scéniques. Certes, comme nous le soulignons plus haut, l'accompagnement d'un orchestre, d'une mise en scène, d'éclairages changeants et de costumes habillent le chant d'une autre dimension que l'aridité du récital avec le seul piano pour accompagnement.

Après une parfaite exécution l'air de Lensky, « Kuda, kuda » tiré d'Eugène Onéguine de Tchaïkovski, Benjamin Bernheim, dans un petit aparté, s'adresse aux quelques étudiants en chant présents dans l'audience, pour laisser entendre qu'il a commencé à étudier cet air 20 ans auparavant. C'est ainsi qu'on rencontre le métier du ténor, capable, sans trembler, d'entonner les airs les plus périlleux du répertoire lyrique en grande décontraction. Dans ces quelques minutes de conversation avec le public, Benjamin Bernheim en vient à remercier ceux qui l'ont accompagné dans son travail, à commencer par sa famille, présente à cette soirée. Au passage, il tient à rappeler qu'il est suisse autant que français et qu'il a passé toute son enfance à Genève. Soudain, on découvre l'homme qui, devant la présence des siens, se charge d'une pression supplémentaire peut-être explicative de cette perfection technique quelque peu désincarnée qui marque son récital. La volonté de bien faire. Parce qu'à observer le chanteur, on découvre l'homme. Il déborde de bonté, de considération envers l'autre. Il suffit de le voir contourner le piano pour, tout en marchant, chanter pour la quelque cinquantaine de spectateurs qui n'ont trouvé place qu'à l'arrière de la scène.

Après l'entracte, son air de Don José dans la Carmen de Bizet, « La fleur que tu m'avais jetée… » souffre de la même beauté passive que son « Pourquoi me réveiller » tiré du Werther de Jules Massenet qu'il avait chanté avant la pause. Ce sont les quatre mélodies de Giacomo Puccini qui vont nous faire rencontrer l'artiste qui jusqu'ici sommeillait dans l'homme, irréprochable professionnel qui hypnotisait son public avec l'assise d'un métier ne pouvant que susciter une certaine admiration. Dans « Mentì' a l'avviso », est-ce la longue introduction de piano jouée avec une très grande sensibilité ? Est-ce l'envoi de ce passage musical si prenant que Puccini le sublimera dans sa Manon Lescaut avec l'air célèbre « Donna non vidi mai » ? Reste que Benjamin Bernheim s'y retrouve totalement libéré. Sa voix soudain s'épanouissant dans un legato superbe accentue le verbe du poème dans une musicalité apaisée et investie. C'est l'artiste au-delà du ténor qui s'exprime. Avec ce fameux «je-ne-sais-quoi» qui porte l'interprète au-dessus des conventions musicales et littéraires d'une partition. Quatre mélodies qui font tout le suc de cette soirée. Le public ne s'y trompe pas en réservant une chaleur jaillissante à ses applaudissements.

La fin du récital est dédiée à trois auteurs iconiques de la chanson française : Les feuilles mortes de Joseph Kosma, Douce France de Charles Trenet et Quand on a que l'amour de Jacques Brel. Dans un nouvel aparté, le ténor explique au public qu'il veut célébrer ces chansons avec sa voix. Peut-être sont-elles toujours trop emblématiques de leurs créateurs et, pour cette reprise, quand bien même la diction reste impeccable, la justesse exemplaire, comment oublier la présence d'un Yves Montand, la douceur poétique d'un Charles Trenet et la projection vocale unique d'un Jacques Brel? Le souvenir de ces interprètes reste encore trop présent pour qu'on puisse s'approprier ce patrimoine sans qu'il souffre de la comparaison.

Généreusement, Benjamin Bernheim et son admirable accompagnatrice offre en bis un joyeux « Dein ist mein ganzes Herz » tiré du Le Pays du sourire de Franz Lehár suivi d'un « L'amour, l'amour !… Ah ! lève-toi, soleil ! fais pâlir les étoiles » tiré de Roméo et Juliette de Charles Gounod où l'on note que ses aigus ne sont pas lancés avec son admirable voix de tête mais poussés en voix de poitrine, démontrant si besoin était que le ténor accuse la fatigue d'un récital engagé vocalement comme émotionnellement.

Crédits photographiques : © Christian Meuwly

Lire aussi : 

Benjamin Bernheim, la raison d'être de La Damnation de Faust au TCE

(Visited 622 times, 1 visits today)
Partager

Plus de détails

Genève. Victoria Hall. 19-XI-2025. Georges Bizet (1838-1875) : « Je crois entendre encore » (extrait de « Les Pêcheurs de perles »). Henri Duparc (1848-1933) : « L’invitation au voyage » (poème de Charles Baudelaire), « Chanson triste » (poème de Jean Lahor), « La vie antérieure » (poème de Charles Baudelaire), « Phidylé » (poème de Charles de Lisle). Ernest Chausson (1855-1899) : Interlude de « Poème de l’amour et de la mer » (piano solo). Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : « Kuda, kuda » (extrait de « Eugène Onéguine »). Jules Massenet (1842-1912) : « Pourquoi me réveiller » (extrait de « Werther »). Georges Bizet (1838-1875) : « La fleur que tu m’avais jetée » (extrait de « Carmen »). Giacomo Puccini (1858-1924) : « Mentì’ a l’avviso » (poème de Felice Romani), « Terra e mare » (poème d’Enrico Panzacchi), « Sole e amore »,« Morire ». Joseph Kosma (1905-1969) : « Les feuilles mortes » (poème de Jacques Prévert). Charles Trenet (1913-2000) : «Douce France». Jacques Brel (1929-1978) : «Quand on n’a que l’amour». Benjamin Bernheim (ténor), Carrie-Ann Matheson (piano).

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Reproduire cet article : Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le faire savoir sur votre site, votre blog, etc. ! Le site de ResMusica est protégé par la propriété intellectuelle, mais vous pouvez reproduire de courtes citations de cet article, à condition de faire un lien vers cette page. Pour toute demande de reproduction du texte, écrivez-nous en citant la source que vous voulez reproduire ainsi que le site sur lequel il sera éventuellement autorisé à être reproduit.