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Sinfonia de Luciano Berio à Radio France

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Paris. Auditorium de Radio france. 28-XI-2025. Bára Gísladóttir (née en 1989) : Sea sons seasons pour grand orchestre ; Luciano Berio (1925-2003)-Gustav Mahler (1860-1911) : Fünf frühe Lieder ; Luciano Berio : Sinfonia pour huit voix solistes et orchestre. Stéphane Degout, baryton. Neue Vocalsolisten et Orchestre Philharmonique de Radio France, direction : Pascal Rophé

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Il y a cent ans naissait le compositeur italien . L' sous la direction de vient de célébrer cet anniversaire avec deux de ses œuvres majeures, dont l'emblématique Sinfonia pour huit voix et orchestre. Auparavant une création peu convaincante et Mahler orchestré par Berio et interprété par . 

Après notamment les Sequenze entendues en plusieurs endroits ces derniers mois, Sinfonia, l'« œuvre-monde » de , premier volet d'un hommage au compositeur qui en cette fin d'année précède à l'Auditorium de Radio France Laborintus II donné le lendemain par l'orchestre de la maison (mais sous la direction de Marzena Diakun), n'a pas laissé le public indifférent à en juger par sa présence de l'orchestre aux balcons. Composée en 1968, année qui vit la création de quatre de ses mouvements par le New York Philharmonic (son commanditaire) sous la direction de son dédicataire Leonard Bernstein (gravée à l'époque chez CBS), elle fut complétée un an plus tard par un cinquième mouvement, prenant sa forme définitive, celle donnée en cette veille de décembre. De nombreuses fois enregistrée, mais trop rarement programmée, on est heureux de pouvoir l'entendre dans sa dimension scénique, prenant la mesure de cette chance unique que l'on n'est pas certain de retrouver avant longtemps. 

Elle arrive en deuxième partie de programme, présentée par Clément Rochefort puisque le concert capté par Arte est aussi bien sûr retransmis en direct sur France Musique. Malheureusement dès son début le premier mouvement laisse perplexe et sur une déception. Les chanteurs du au premier plan devant les instrumentistes et face à qui les dirige sont à peine audibles, leurs voix noyées sous le son de l'orchestre, les lambeaux de textes de l'anthropologue Claude Levi-Strauss par trop indéchiffrables quand bien même la compréhension littérale n'est pas requise, mais plutôt son impact sonore dans le développement musical. On constate de toute évidence un problème de sonorisation, malgré la présence des micros entre les mains des chanteurs dont on se demande s'ils sont branchés. L'amplification des voix prévue par le compositeur n'opère pas privant ce mouvement d'un équilibre essentiel entre leurs timbres et ceux de l'orchestre, et annulant l'effet de spatialisation sonore voulu (un défaut atténué par la prise de son audiovisuelle, donc moins apparent à la ré-écoute). Cela n'empêche pas d'apprécier le relief et les couleurs de l'orchestre enrichi de ses claviers et de deux saxophones, superbement agencées par Rophé. En particulier dans le mouvement lent qui suit, sous-titré « O king » (en référence à Martin Luther King), dont la sonorité combinée aux voix, presque réfractée par moment, trouve un beau fondu dans les longues tenues. Le troisième mouvement culmine avec son style composite, son tourbillon vertigineux et jubilatoire, sa dialectique d'une virtuosité jouissive qui trouve son expression dans l'art de la citation et du collage comme jamais cela ne s'est vu dans l'histoire de la musique. Hommage de Berio à , ses innombrables citations musicales et littéraires agissent ici, et dans l'ensemble des cinq mouvements, dans un tout superbement structuré et fluide, dont la formidable et vivante hétérogénéité est préservée par une direction à la battue d'une grande netteté, à laquelle n'échappe pas la finalité narrative de l'œuvre. Côté voix, elles émergent davantage à partir du troisième mouvement, avec, prééminente, celle au timbre caractéristique du narrateur qui ponctue comme de coutume celui-ci par un « Thank you Mr Rophé ».

Sea sons seasons pour grand orchestre, la pièce de la compositrice islandaise , donnée en ouverture de première partie, se situe aux antipodes de l'œuvre de , latine d'esprit il est vrai ! La lecture préalable du très naïf texte de présentation (qui fait référence notamment aux diverses créatures marines) inquiète d'emblée…intuition confirmée à l'écoute d'une œuvre d'inspiration subaquatique, fermée sur elle-même, qui faute d'idées saillantes sacrifie à la surenchère de l'empilement et de l'accumulation, dans une volonté semble-t-il d'illustrer une sorte d'ambiance. Le résultat est une tapisserie sonore reposant sur un parti simpliste, la permanence successive de deux notes jouées en octaves avec retour de la première, et par-dessus elles quelques motifs anecdotiques et toute une panoplie de bruits semés ici et là, sans qu'aucune forme n'apparaisse, ni qu'aucune dialectique se dégage. Dix minutes longues à passer qui se finissent sur une surcharge sonore saturée en décibels. 

Suite à cela place à Luciano Berio… via Mahler, et à une formation allégée pour accompagner la voix du baryton , familier de l'art du lied. Dix-sept ans après l'achèvement de Sinfonia, Berio rend un nouvel hommage à en orchestrant son court cycle Fünf frühe lieder. Après ceux-ci, six autres lieder du compositeur viennois passeront par la plume transcriptrice de l'Italien. , accompagné admirablement par l'orchestre, très maître de son chant et de sa voix quoique l'intonation soit par moments un peu nasale, opte pour une interprétation tenue, jamais vraiment lâchée, mais profondément expressive, variant les couleurs de son timbre en fonction des lieder. Saluons sa diction de la langue allemande et la qualité de son articulation, dont le mordant le dispute à la qualité du phrasé. C'est toute l'imagination de Luciano Berio que l'on retrouve dans l'orchestration de ces lieder,  mais aussi cet « amour » et ce « respect » pour un  compositeur sur lequel il a écrit : « il me semble que Mahler a à sa charge toute l'histoire de la musique… », ce dont Sinfonia rend compte génialement, avec sa vingtaine de citations de Bach à Boulez. Cette célébration est aussi une occasion de saluer telle démarche, et le Philharmonique de Radio France l'a fait avec maestria et un réel enthousiasme. 

Crédits photographiques © Jany Campello/ ResMusica (photo de concert) ; Auditorium de Radio France / © Christophe Abramowitz / Radio France (répétitions)

 

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