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Clôture du 9e Festival de piano de Vilnius avec une création dédiée à Mūza Rubackyté

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Vilnius. Philharmonie. Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) : Straussiana. Franz Schreker (1878-1934) : Valse lente. Richard Strauss (1864-1949) : Fantaisie symphonique sur La Femme sans ombre op. 65. Stefan Lano (né en 1952) : Concerto pour piano et orchestre n° 2 (création mondiale). Mūza Rubackyté, piano, Orchestre symphonique national de Lituanie, direction : Stefan Lano

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Le concert du 29 novembre à la Philharmonie de Vilnius a refermé la 9e édition du Piano Music Festival fondé par la pianiste . Une manifestation ambitieuse dans un lieu mythique de la vie musicale lituanienne depuis 1902.

Le chef d'orchestre américano-suisse dirige le concert dans la Salle philharmonique de Vilnius, avec en soliste. Le programme est aussi exigeant que particulièrement bien élaboré. Exigeant, parce que le public mélomane entend des œuvres rarement programmées dans un concert qui s'achève par la création mondiale du Concerto pour piano n° 2 composé par le chef d'orchestre et dédié à la pianiste. Bien élaboré, parce que les œuvres progressent en complexité, jouant de liens harmoniques entre elles, allant du post-romantisme viennois à la tonalité élargie du concerto.

Straussiana d' ouvre le concert. L'esprit des Strauss (Johann I et II) revisité avec tact, sans le pathos hollywoodien trop souvent associé au compositeur autrichien, est habilement associé à la Valse lente de . fait respirer les cordes homogènes et met en valeur la clarté fruitée des pupitres des bois : clarinette, basson, hautbois et flûte s'approprient une partition chambriste et aux harmonies délicatement ciselées.

Avec la Fantaisie symphonique de La Femme sans Ombre de , la formation occupe au grand complet, toute la scène. La direction de joue de la fluidité des masses sonores, tenant les tempi, modelant les équilibres avec précision, attentif avant tout aux couleurs et à l'exposition des solistes (cor, trombones, bassons, clarinettes remarquables de justesse et de finesse). On aurait aimé peut-être davantage de violence expressive avec un orchestre de cette tenue et dans une page aussi virtuose que les derniers poèmes symphoniques de Strauss.

Ce n'est qu'après le concert que nous apprenons l'étonnante histoire du Concerto pour piano de Stefan Lano dont nous avons entendu la création mondiale. Il y a une dizaine d'années, découvrit que le chef d'orchestre qui la dirigea à plusieurs reprises lors de concerts en Amérique du Sud était également compositeur. Un concerto pour piano lui fut commandé. Alors que les trois-quarts du manuscrit étaient achevés, Stefan Lano fut victime du vol de ses affaires par un faux taxi à Buenos Aires. La musique était perdue et c'est lors de la période du Covid qu'il recomposa entièrement l'ouvrage en ne gardant qu'un thème de la partition originale.

Les œuvres de Stefan Lano que nous avons déjà entendues laissent à penser que le Concerto qui va suivre, s'inscrira dans une filiation proche de la Seconde École de Vienne. Il n'en est rien. L'œuvre est conçue en trois mouvements classiques dont les deux premiers sont enchaînés. Les premières mesure du Moderato en do majeur tendent vers une sorte d'ouverture d'opéra sur un rythme de marche. Le piano s'intègre à l'orchestre non comme soliste, mais comme l'un des pupitres. Étonnante impression d'entendre un concerto pour orchestre avec piano obligato ! Par la suite, Mūza Rubackyté a évoqué « l'extraordinaire complexité de l'écriture avec des pages d'accords de huitième et de neuvième à réaliser à grande vitesse et sur des rythmes à trois pour deux. Le piano semble quêter la paix quand l'orchestre tente de le déstabiliser. »

Enchaîné, le Larghetto reprend un thème du premier mouvement. Il cite en musique le nom de la soliste, présenté d'abord à l'orchestre puis au piano. On entend alors des jeux d'atmosphères, des nappes sonores nées de dialogues lyriques entre les pupitres – excellente trompette solo – et le clavier. L'écriture du piano, qui paraît monochrome à cause de la systématisation des accords à la main droite, gagne progressivement en intensité. La soliste affirme une indépendance de plus en plus marquée jusqu'à une brève cadence au souffle postromantique. Est-ce que le répertoire lyrique viennois qui est l'un des spécialités du chef d'orchestre a influencé le compositeur ? Assurément.

Le finale, Allegro giusto est d'une veine bartokienne. On songe au Concerto pour orchestre du musicien hongrois, mais aussi aux finales des concertos pour piano n° 1 et n° 2 de Prokofiev. L'écriture luxuriante du finale atteint les triples forte. Elle superpose rengaines, bribes de mélodies, citation du Dies Irae… L'ensemble est porté par une danse générale, un emballement orgiaque (comment ne pas songer au finale de la Valse de Ravel ?) que la puissance et la précision de jeu de Mūza Rubackyté dominent sans conteste. Ce mouvement est à ce point apprécié qu'il est rejoué en bis. Quant au niveau technique et musical de l'orchestre, il impressionne et fait jeu égal avec les grandes phalanges européennes récemment entendues. Une tournée de celui-ci en France mettrait en lumière le talent d'une formation de première force. Le public fait un triomphe aux interprètes.

En 2009, Vilnius a été désignée capitale européenne de la culture. À l'évidence, elle l'est restée. En effet, les arts nourrissent la vie quotidienne de ses habitants qui n'ont pas hésité à rejeter massivement et en quelques jours, un ministre de la culture qu'ils ne jugeaient pas à la hauteur de sa mission. L'identité culturelle du peuple lituanien cimente la farouche indépendance de la nation. Elle résonne de manière d'autant plus vive dans le contexte géopolitique actuel.

Crédits photographiques : © D.Matvejev

Mūza Rubackytė en concert à Gaveau à Paris le 12 décembre

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Vilnius. Philharmonie. Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) : Straussiana. Franz Schreker (1878-1934) : Valse lente. Richard Strauss (1864-1949) : Fantaisie symphonique sur La Femme sans ombre op. 65. Stefan Lano (né en 1952) : Concerto pour piano et orchestre n° 2 (création mondiale). Mūza Rubackyté, piano, Orchestre symphonique national de Lituanie, direction : Stefan Lano

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