Nelsons et les Berliner fêtent les 60 ans de l’orgue de la Philharmonie de Berlin
Dans un mois de décembre baroque où les Berliner sont dirigés par Jordi Savall et Raphaël Pichon, Kirill Petrenko laisse aussi sa formation pour trois soirs à Andris Nelsons, qui revient à la Symphonie n° 10 de Chostakovitch et profite du 60e anniversaire du grand orgue de la Philharmonie pour débuter par une pièce de Marcel Dupré.
Inaugurée en 1963, la salle principale de la Philharmonie de Berlin créée par Hans Scharoun à l'initiative d'Herbert von Karajan doit à l'époque attendre encore deux années pour recevoir son grand orgue. Intégré en 1965, celui-ci fête aujourd'hui ses 60 ans, occasion pour les Berliner Philharmoniker de débuter leur programme par le Cortège et Litanie op. 19 no. 2 de Marcel Dupré, puis pour la salle de conclure la soirée par un concert « Late Night », pendant lequel Jan Liebermann joue des pièces de Bach et Widor, certaines accompagnées du flûtiste Emmanuel Pahud.
Les Berliner Philharmoniker retrouvent Andris Nelsons
Deuxième pièce des quatre que comporte l'opus 19 de Marcel Dupré, Cortège et Litanie est la seule transcrite du piano pour orgue et orchestre. Très simple, elle consiste en un court thème cyclique répété et ornementé pendant environ cinq minutes, offrant une ouverture bienvenue pour commencer par faire chanter l'orgue de la grande salle de la Philharmonie de Berlin sous les doigts (et les pieds) de Jan Liebermann, en plus de nous faire profiter déjà de la touffeur des cordes des Berliner.
Ensuite, le Concerto pour violon d'Antonín Dvořák devait revenir à Hilary Hahn, dont l'annulation profite au jeune violoniste américain Benjamin Beilman. Avec force, les Berliner Philharmoniker entrent dans l'œuvre tchèque. Mais à travers les cordes denses ressortent surtout les bois, notamment Emmanuel Pahud et le clarinettiste solo Wenzel Fuchs. De son Guarneri del Gesù « Ysaÿe », Beilman cherche pour sa part principalement à exposer de belles sonorités, malgré un son montant un peu raide dans l'aigu. Pour le reste, il semble jouer cette partition comme une autre, sans en tout cas aller chercher dans ses racines slaves, ni s'y montrer espiègle dans le finale Allegro giocoso, parfois en limite de justesse et accompagné sans finesse par l'orchestre et Andris Nelsons.
Ensuite, la Symphonie n°10 de Chostakovitch ramène le chef letton à ses amours, dans une œuvre qu'il avait déjà magnifiquement abordé en 2014 au Concertgebouw et à Paris l'année suivante dans une concert passionnant. Dès l'introduction du Moderato, il tente de créer un climat très sombre aux violoncelles et contrebasses. Mais à l'entrée des violons, on sent maintenant comme l'ensemble de Kirill Petrenko a pris certains tics du chef russe. Alors, ceux-ci cassent quelque peu l'atmosphère noire, puis la clarinette grossi son solo, et c'est seulement ensuite que Nelsons parvient à ramener toutes les cordes vers le dramatisme de l'écriture. Tout au long de l'interprétation, sauf dans le court Allegro, tenus d'une main de fer par le chef et surpuissant par la force des attaques et la densité des Berliner, se remarque sinon cette impression d'un orchestre maintenant habitué à rechercher la minutie de détails de Petrenko, avec lequel ils ont joué et enregistré l'œuvre en 2021.
Par rapport aux interprétations de Nelsons précitées auxquelles nous étions, ou à sa seconde au disque avec Boston (DG, Clef ResMusica), transparaît, dès qu'il y a un solo ou par la possibilité de différentier presque chaque instrument dans chaque groupe, comment les Berliner sont maintenant façonnés au style de Petrenko, qui cherche pour sa part souvent plus à élever ou surligner chaque mesure ou chaque phrase, plutôt qu'à ancrer l'interprétation dans la longueur et la tension du mouvement, voire de toute l'œuvre. Malgré tout, on profite souvent de la formidable machine symphonique germanique, notamment dans les climax, dont le dernier, impressionnant par sa vigueur et sa résistance.
Late Night : 60e anniversaire du grand orgue
En seconde partie de soirée, la console de l'orgue est cette fois au centre de la scène de la Philharmonie. À côté ne reste plus qu'un pupitre, destiné à Emmanuel Pahud pour accompagner à deux reprises Jan Liebermann dans les Sonates pour flûte et clavecin BWV 1032 & 1033 de Bach. Alors, et même si le concert est avant tout destiné à fêter les 60 ans du grand orgue, on peut encore profiter du souffle et de la souplesse du flûtiste suisse, tandis que l'organiste ne se sert dans cette transcription que du premier clavier. Plus vigoureux en ouverture de concert, il livre une Toccata BWV 565 très moderne dans la dynamique du jeu, qui fait honneur par ses sonorités pleines au grand instrument du lieu, positionné à droite au-dessus de la scène, et en deux parties derrière des caches qui s'ouvrent et se referment sur les côtés de scène.
La Marche du veilleur de nuit du Bach's Memento de Widor profite encore mieux du jeu ample de Liebermann, tout comme le Prélude & Fugue en si mineur BWV 867 tiré du Livre I du Clavier bien tempéré, donné avec dextérité dans la transcription de Max Reger. La Chaconne de la Partita pour violon n°2 BWV 1004 transcrite par Arno Landman conclut avec sérénité cet anniversaire, dans une Philharmonie encore remplie aux trois quarts malgré l'heure tardive.
















