Un Roméo et Juliette version péplum au Ballet de Bordeaux
C'est dans un décor unique d'une Vérone marquée par ses ruines de l'Antiquité que Massimo Moricone choisit de camper sa version de Roméo et Juliette, créée en 1991 pour le Northern Ballet, et aujourd'hui reprise par le Ballet de Bordeaux pour les fêtes de fin d'année.
Sur la place du marché, la haine entre les villageois vassaux des Capulet ou des Montaigu reste vive. Il faut tout l'élan et l'humour du groupe de trois amis formé par Roméo, Mercutio et Benvolio pour secouer un peu les rancœurs. Dans le rôle de Mercutio ce soir-là, l'excellent Sachiya Tamara. De caractère plutôt suiveur, Roméo se laisse entraîner par ses amis au bal, introduit par une impressionnante Danse des Chevaliers. Les Dames Capulet sont vêtues de lourdes robes de velours et une résille emprisonne leurs cheveux. Les hommes de main de Tybalt, en pourpoint noir et rouge manient le bâton aussi bien que la dague dans une séquence au mouvement réussi. Le contraste avec Juliette et ses amies, sur pointes et en vaporeuses robes de mousseline blanche, est d'autant plus saisissant. La juxtaposition des deux styles entraîne une forme de confusion que la musique de Prokofiev, jouée par un formidable Orchestre de l'Opéra national de Bordeaux Aquitaine, s'efforce de clarifier.
La rencontre improbable de Roméo avec Juliette, au milieu de ce maelström, est traitée en temps arrêté, un peu comme dans le film West Side Story. Alors que les deux membres du couple se découvrent, les autres personnages restent figés en arrière-plan dans une attitude belliqueuse. Les deux amants se déploient encore davantage dans la scène du balcon, qui suit immédiatement celle du bal. Pas de pas complexes, notamment pour Roméo, mais des piqués et des levers de jambe à la seconde nombreux pour Juliette, alias Vanessa Feuillate, qui livre une interprétation aérienne et mutine. Celle de Roméo par Oleg Rogachev est en revanche plus fade.
Le deuxième acte débute par une scène de village où les facétieux amis de Roméo font encore des leurs aux dépens de la nourrice, le véritable rôle comique de ce ballet, où Emma Fazzi est traitée comme un culbuto. Quelques minutes plus tard, les deux amants s'unissent en toute intimité devant Dieu et le Frère Laurent.
Dans une alternance désormais bien installée entre les scènes de groupe et les séquences plus intimes, l'action revient sur la place pour une scène de bal masqué menée avec une assurance « féline » par les Capulets, hommes et femmes, face aux « oiseaux » Montaigu. Cette séquence est drôle et rythmée avant que, jetant les masques, la situation ne dégénère à nouveau entre les représentants des deux familles. Tybalt, incarné par le brillant Kylian Tilagone, se montre un personnage particulièrement déplaisant et attise la haine, même lorsque Roméo lui offre de faire la paix. Présenté sous la forme d'un jeu cruel, le duel entre Tybalt et Mercutio se révèle mortel pour ce dernier. Roméo, ivre de rage et de chagrin, se bat à son tour avec Tybalt dans la forme classique d'un combat à l'épée et le tue. Le désespoir de la mère de Juliette est une scène clé du ballet. La danseuse Alice Leloup, que l'on avait déjà remarquée au premier acte dans la chambre de Juliette, témoigne d'une autorité et d'un sens de la malédiction très à-propos.
Le rideau du troisième acte s'ouvre sur le lit qu'ont partagé les deux époux pour leur nuit de noces. Le chagrin de la mort de Tybalt semple avoir complètement disparu des préoccupations des parents de Juliette qui font leur apparition au matin avec un prétendant donc la jeune fille ne veut pas, le très falot Pâris. Le père menace de frapper sa fille avec une ceinture et la violence fait à nouveau irruption sur la scène. Juliette, restée seule, est désespérée et prête à tout pour échapper à son destin, ce qui donne un solo d'une grande maturité dans l'interprétation.
Juliette rend alors visite au Frère Laurent qui lui confie le poison qui l'endormira pour lui donner l'apparence d'une morte, et qu'elle absorbe, torturée, dans un très beau solo du poison. C'est une Juliette inanimée que ses amis découvrent au petit matin, après lui avoir donné la sérénade et parsemé sa couche de pétales de rose. Son lit devient alors son tombeau.
Sous le prétexte de raccourcir la durée du spectacle (pourtant lesté de deux entractes) et d'aller droit à l'essentiel, le chorégraphe et le metteur en scène ont supprimé la scène du bannissement de Roméo après son meurtre de Tybalt, qui était pourtant justifié sur le plan dramaturgique. En effet, c'est parce que le Frère Laurent est empêché par des brigands de prévenir Roméo à temps du stratagème que le drame arrive. Le choix du chorégraphe et du metteur en scène rend de ce fait incompréhensible la fin tragique des deux amants de Vérone. Le duo final de découverte des corps de l'un et l'autre est construit en miroir, astucieusement. Si la mise en scène est alerte et bien conduite, la chorégraphie manque de complexité et s'appuie surtout sur le jeu et la pantomime qui permet à certains personnages de se détacher tout particulièrement, comme Mercutio, Tybalt, la nourrice ou la mère de Juliette.
Présentée pour la première fois en France, cette version de Roméo et Juliette n'apporte pas d'éclairage innovant sur l'œuvre et n'affiche pas de style chorégraphique affirmé. Plus à l'aise dans les grandes scènes de groupe, la chorégraphie de Massimo Moricone réserve cependant de beaux moments néoclassiques aux scènes d'amour ou de désespoir, particulièrement dans l'écriture du rôle de Juliette, et coche tous les attendus de la transposition scénique du drame shakespearien.







